Selon cette enquête, qui a couvert 10 pays durant 7 mois, et qui a été publiée ce dimanche 7 novembre, le marché noir du thon rouge de l'Atlantique occidental pesait au moins quatre milliards de dollars entre 1998 et 2007.
Les révélations des journalistes qui ont mené cette investigation sont alarmantes : les pêcheurs dépassent les quotas de prises en toute connaissance de cause pour alimenter un marché lucratif dominé par le Japon, malgré les menaces qui pèsent sur la survie de l'espèce.
Et la France est particulièrement pointée du doigt. Le ministère de l'Agriculture et de la Pêche serait de mèche avec le secteur pour maquiller les chiffres concernant les prises, d'après ce document.
Les craintes sur les ressources mondiales en thon ont commencé à apparaître en 2007, lorsque la France a déclaré avoir pêché près de 10 000 tonnes de thon, soit presque le double des quotas alloués par la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique (Iccat), une instance de régulation.
"Nous avons découvert que le système avait échoué sur toute la ligne. Les bateaux pratiquaient la surpêche, et les responsables officiels faisaient mine de l'ignorer depuis des années", raconte Kate Willson qui a participé à l'enquête.
"Tout le monde trichait", explique Roger Del Ponte qui, avec cinq autres patrons pêcheurs français, a été assigné en justice dans cette affaire.
Dans un communiqué datant d'hier, Bruno Le Maire a réagi en répliquant que " dès sa prise de fonction en 2007, Michel Barnier a fait cesser les pratiques antérieures et fait strictement respecter la réglementation. Dans un souci de totale transparence, la France a déclaré tous ses dépassements de quotas. Elle a été sanctionnée en 2008 par le remboursement de ce dépassement à travers une déduction dans les quotas des années suivantes. Ainsi, en 2009, le France a obtenu un quota de 3591 tonnes au lieu de 4041 et en 2010, le quota était de 2012 tonnes au lieu de 2462 ".
Face au tollé, l'Iccat a mis en place en 2008 un nouveau système pour mieux surveiller ce commerce. Mais, selon l'étude, sa base de données s'est montrée inefficace et les thoniers se sont déplacés vers des zones moins surveillées, comme l'Afrique du Nord.
Selon la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique, les stocks de thon rouge de l'Atlantique occidental ont diminué de près de 75 % au cours des quatre dernières décennies, avec une singulière aggravation entre 1997 et 2007.
Les scientifiques de l'Iccat estiment qu'une réduction de moitié de quota du thon rouge de 13 500 tonnes en 2010 à 6 000 tonnes en 2011, permettrait d'assurer d'ici 2020 un niveau de "rendement maximum durable" du stock de thon rouge. Les mêmes scientifiques estiment qu'un maintien du quota à 13 500 tonnes permettrait d'assurer le même objectif d'ici 2022.
La France contre une importante baisse des quotas de pêche annuelle
L'Europe doit définir une position commune avant la prochaine réunion de la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l'Atlantique, prévue du 17 au 27 novembre à Paris. A cette occasion, la commissaire européenne à la Pêche, Maria Damanaki, a appelé à une réduction substantielle du quota de pêche mondial de thon rouge, actuellement fixé à 13 500 tonnes.
Mais il y a peu d'espoir pour que les quotas mondial de pêche du thon rouge soient diminués. La France s'y oppose, soutenue par l'Italie, l'Espagne et la Grèce, selon des sources diplomatiques. Malheureusement, la Grande-Bretagne serait le seul pays européen à soutenir la position de Maria Damanaki.
Rappelons que l'objectif numéro 6 de l'accord de Nagoya prévoit que d'ici 2020 " tous les stocks de poisson exploités et autres ressources aquatiques et marines vivantes doivent être capturés d'une manière durable [et reconstitués], et que l'impact de la pêche sur les espèces menacées et les écosystèmes vulnérables doit s'inscrire dans des limites écologiques sûres " !
Lire l'enquête entière (en anglais) "Looting the seas - A global inverstigation" de l'International Consortium of Investigate Journalists
Emilie Villeneuve
Si vous souhaitez vous mobiliser pour la sauvegarde du thon rouge, rendez-vous sur le site www.greenpeace.fr, campagne "sauvons le thon rouge"