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Renvoi des mineurs isolés roumains : méconnaissance du droit à un recours effectif protecteur (CC n° 2010-614 DC du 04 novembre 2010)

Publié le 10 novembre 2010 par Combatsdh

Inconstitutionnalité de la loi autorisant l'approbation de l'accord Franco-Roumain relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français

Renvoi des mineurs isolés roumains : méconnaissance du droit à un recours effectif protecteur (CC n° 2010-614 DC du 04 novembre 2010)Saisi le 13 octobre 2010 dans le cadre de l'article 61 de la Constitution par plus de soixante députés, le Conseil constitutionnel devait examiner la constitutionnalité de la loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs. Il était donc amené dans ce cadre à vérifier la constitutionnalité de l'accord lui-même.

Un premier accord relatif à la coopération franco-roumaine était entré en vigueur le 1er février 2003. Conclu pour une durée de trois ans, il a expiré en 2006. Un nouvel accord visant à prolonger le premier (mais qui entend mettre davantage l'accent sur la lutte contre les réseaux d'exploitation) a alors été signé le 1er février 2007. Le projet de loi autorisant son approbation a été adopté sans modification par le Sénat (le 06 mai 2010) puis par l'Assemblée nationale (le 7 octobre 2010). Ce nouvel accord, institue une procédure dérogatoire de retour en Roumanie du mineur isolé. Il prévoit ainsi en son article 4 que le parquet des mineurs français ou le juge des enfants, saisi de la situation d'un mineur roumain isolé, doit recueillir en France et en Roumanie les informations pertinentes sur sa situation puis, informe l'autorité roumaine compétente qui, après avoir définit les modalités de prise en charge du mineur à son retour en Roumanie " peut solliciter par écrit son raccompagnement ". Or, dans le cas où le parquet déciderait de ne pas saisir le juge des enfants il peut, " dès réception de la demande roumaine de raccompagnement, la mettre à exécution ", s'il estime, " eu égard notamment aux données fournies par la partie roumaine ", que toutes les garanties sont réunis " pour assurer la protection du mineur ".

C'est à l'encontre de cette procédure que se sont concentrés les griefs des requérants. Selon eux cette dernière portait atteinte à l'égalité devant la loi (en ce que les mineurs roumains seraient traités différemment des autres mineurs étrangers), aux droits de la défense ainsi qu'à l'intérêt supérieur de l'enfant (protégé par les dixièmes et onzièmes alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946).

Dans sa décision rendue le 04 novembre 2010, le Conseil considère, sans examiner les autres griefs, que cette procédure de raccompagnement méconnait " le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif " garanti par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen (Cons. constit n° 99-416 DCdu 23 juillet 1999, loi portant création d'une couverture maladie universelle ; et surtout, Cons. constit n° 2010-38 QPC du 29 septembre 2010, M. Jean-Yves G. [Amende forfaitaire et droit au recours] -ADL du 03 octobre 2010) en ce que, " lorsque la décision est prise par le ministère public, ni les stipulations contestées, ni aucune disposition de droit interne n'ouvrent, au bénéfice de ce mineur ou de toute personne intéressée, un recours contre cette mesure destinée à ce que le mineur quitte le territoire français pour regagner la Roumanie" (Cons. 5). Le Conseil considère donc la loi d'approbation de l'accord contraire à la Constitution caraucun recours n'est ouvert contre la décision de raccompagnement lorsque celle-ci est prise par le seul parquet.

Il est à noter, à la suite des CE, 7 juin 2006, Cahiers du Conseil constitutionnel n° 30, que les "sages" ne se prononcent pas sur la nature même de la décision de raccompagnement du parquet (qui ne peut être analysé ni comme une mesure d'assistance éducative ni comme une mesure d'éloignement). Tout juste est-il possible de déduire de la jurisprudence antérieure du Conseil que cette mesure de raccompagnement doit s'analyser en " une sanction ayant le caractère d'une punition " (Cons. constit. n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information) car seules ces dernières entrent dans le champ du droit à un recours juridictionnel effectif. Par ailleurs, on peut regretter que le Conseil ne se soit placé que sous l'angle de ce dernier droit et n'ait pas saisi l'occasion d'évoquer également l'intérêt supérieur de l'enfant (v. not. CE, Sect. 31 octobre 2008, Section française de l'OIP, Req. n° 293785, CPDH 8 novembre 2008) ainsi que la prohibition des discriminations entre les enfants en raison du statut de leur parents (v. Gisti, Aides, Mrap, LDH, Médecins du Monde, Req. n° 285576 ; Comité européen des droits sociaux, décision sur le bien-fondé du 3 novembre 2004, FIDH c. France, Réclamation n° 14/2003).

Cons. Constit. n° 2010-614 DC du 04 novembre 2010, Loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire français [non-conformité].

V. aussi :

Actualités Droits-Libertés du 5 novembre 2010 par Antonin Gelblat*

Les lettres d'actualité droits-libertés du CREDOF sont protégées par la licence Creative Common

* Antonin Gelblat est doctorant contractuel au CREDOF/Paris-Ouest-Nanterre

"C'est une très bonne nouvelle", se réjouit Olivier Peyroux, directeur adjoint de l'association Hors la rue, qui vante la procédure de droit commun qui permet s'assurer des bonnes conditions du retour des mineurs isolés, grâce à une enquête menée dans leur pays d'origine par un juge des enfants français. "Avec cet accord, le délai d'enquête maximum était réduit à 24 heures. La procédure d'expulsion devenait automatique".

"François Fillon a annoncé ce soir qu'un nouveau texte serait présenté au Parlement, après la censure par le Conseil constitutionnel d'une loi de ratification d'un accord franco-roumain organisant le retour dans leur pays d'origine de mineurs roumains isolés.Le gouvernement, qui "prend acte de la décision", "prendra sans tarder l'attache des autorités roumaines afin de compléter la procédure prévue par cet accord, de manière à assurer sa pleine conformité avec la Constitution", écrit le premier ministre dans un communiqué.

Le chef du gouvernement précise qu'il présentera, "dans les plus brefs délais", "un projet d'accord révisé". Matignon indique vouloir mettre en place un "dispositif efficace de protection des mineurs isolés de nationalité roumaine présents sur le territoire français, exposés à des risques d'abus ou d'exploitation, et renforcer la coopération judiciaire avec la Roumanie en matière de lutte contre la délinquance itinérante et les réseaux d'exploitation des mineurs"."


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