Des compagnies mises ŕ l’amende par la Commission européenne.
Le moins que l’on puisse dire est que la Commission européenne a piqué une grosse colčre. Constatant qu’une bonne douzaine de compagnies aériennes s’étaient secrčtement entendues sur leurs tarifs fret, au terme d’une enquęte fouillée et d’une procédure longue et délicate, elle leur a imposé une amende d’un montant total sans précédent, au total prčs de 800 millions d’euros. Dont 339,6 millions pour le groupe Air France-KLM.
Pris la main dans le sac, les contrevenants ont incontestablement trčs mal agi et, aujourd’hui, loin de revenir sur le fond ou de se chercher des excuses, ils se contentent de regretter l’importance stratosphérique des amendes qui leur sont imposées. Air France-KLM a immédiatement fait part de son intention de déposer un recours auprčs du tribunal de l’Union européenne. Le groupe franco-hollandais, dans un communiqué dont chaque terme est soigneusement pesé, estime Ťle montant des amendes disproportionné, dans la mesure oů les analyses économiques produites dans le cadre de la procédure ont démontré que les comportements en cause n’ont pas eu d’effet dommageable pour les chargeurs de fret ou les transitaires qui travaillent avec les chargeursť.
Dans la foulée, touché au portefeuille, Air France-KLM souligne que Ťle montant des amendes ne tient aucun compte des difficultés économiques qu’a connues le secteur du fret aérien et aura pour effet de fausser le jeu de la concurrence dans ce secteurť. Une amende d’une telle ampleur constitue visiblement une trčs mauvaise surprise, sachant qu’Air France-KLM, qui avait compris de longue date que l’épilogue lui serait défavorable, avait prudemment constitué une provision, mais de 127 millions d’euros seulement.
Maigre consolation, d’autres ténors sont lourdement condamnés, ŕ commencer par British Airways, Cargolux et, sous d’autres latitudes, Cathay Pacific, Singapore Airlines, etc. Leur sentiment de culpabilité fait (presque) peine ŕ voir. D’oů un véritable acte de contrition, Air France-KLM s’engageant Ťŕ se conformer scrupuleusement au droit de la concurrence et ŕ veiller en permanence ŕ l’efficacité du dispositif de prévention des pratiques anticoncurrentielles qu’elle a mis en œuvre au sein des entités du groupe, dans le cadre de sa politique générale de conformitéť.
Une affaire étonnante, en en conviendra. Elle indique que les grandes compagnies Ťclassiquesť du canal historique du transport aérien, Ťlegacy carriersť comme les appellent joliment les Anglo-Saxons, ne sont pas encore tout ŕ fait parvenues ŕ moderniser leur code génétique. Au fond d’elles-męmes, littéralement incorrigibles, il leur arrive de retrouver des réflexes datant de l’époque oů l’IATA était un cartel qui n’avouait pas son nom. Les prix pratiqués étaient décidés de commun accord lors de conférences tarifaires tenues au grand jour. On y décidait, pour les passagers et le fret, de la maničre la plus consensuelle de procéder, y compris en matičre de capacité offerte.
Cette maničre ultra-réglementée, qui date d’un autre sičcle, d’une autre époque, fait aujourd’hui sourire. Elle a vacillé sur ses bases dčs la signature par les élus américains de l’Airline Deregulation Act de 1978, précurseur d’un vaste mouvement de libéralisation qui a bientôt déferlé sur l’Europe et les autres continents. On imagine volontiers que les derniers représentants d’une arričre-garde vieillissante continuent de regretter ce bon vieux temps qui interdisait ŕ des trčs éventuels prédateurs de tenter leur chance face ŕ un establishment trčs soudé.
Tel est en tout cas le sentiment qui vient ŕ l’esprit en constatant que d’importantes compagnies ont commis l’invraisemblable faute, doublée d’une grande imprudence, en bafouant des rčgles élémentaires de libre concurrence. S’il est vrai que le trafic fret a dangereusement plongé dčs les premiers moments de la récession, ce comportement n’était pas excusable pour autant. D’autant que l’enquęte a montré que la dérive a débuté dčs le mois de mai 2004 et, de ce fait, ne pouvait ętre Ťjustifiéeť par une crise dont personne ne prédisait alors l’apparition. La Commission européenne, gardienne du temple, a visiblement constaté l’absence de circonstances atténuantes.
Son verdict est cinglant. Il indique que les dirigeants de grandes compagnies aériennes, loin d’ętre des surhommes, ont leurs faiblesses. Ce qui, d’une certaine maničre, les rend presque sympathiques. Męme quand ils commettent délibérément de grossičres erreurs, pire, de sérieuses entorses ŕ un code de bonne conduite post-cartel revu et corrigé il y aura bientôt 30 ans.
Pierre Sparaco - AeroMorning