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Sarkozy écoute, mais pas ceux qu'on croit

Publié le 11 novembre 2010 par Juan
Sarkozy écoute, mais pas ceux qu'on croitMercredi 10 novembre, Nicolas Sarkozy s'est félicité de la promulgation de la loi sur les retraites, après sa validation, la veille, par le Conseil Constitutionnel. Il peut partir tranquille à Séoul, pour un G20 d'avance inutile. Il est d'ailleurs en retard, Barack Obama est déjà sur place. Il peut aussi peaufiné son grotesque remaniement la semaine prochaine. Mercredi, grâce à une fuite opportune et menaçante, on apprenait que Fillon avait redressé Hortefeux dans l'affaire des écoutes téléphoniques de journalistes. Finalement, on écoute beaucoup, au Château.
Finalement, Sarkozy écoute...
Le journaliste Matthieu Aron de France Info a révélé une information qui fait mal : en octobre dernier, les services du premier ministre Fillon ont rappelé à l'ordre les services de renseignement français en matière d'écoutes téléphoniques. Quelques jours auparavant, le quotidien Le Monde avait décidé de porter plainte contre X pour violation du secret de l'instruction, après la révélation que la DCRi s'était procuré des fadettes téléphoniques de l'un des ses journalistes, pour déterminer l'origine des fuites dans l'affaire Woerth/Bettencourt. A l'époque, la DCRI s'était abritée derrière l’article 20 de la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité, et avait nié avoir agi sur ordre de l'Elysée.
Cette belle histoire paraît aujourd'hui moins crédible. Le directeur de cabinet de François Fillon, Jean-Paul Faugère, a transmis une note classée confidentiel défense, au ministère de l'intérieur. Dans ce document, relate France Info, Faugère rappelle que « la loi interdit aux services de renseignement de se procurer directement les factures détaillées auprès des opérateurs de téléphone. » Le dircab précise que « l’article 20 de la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité ne peut être invoquée pour recueillir des données personnelles.» Ce rappel à l'ordre signifie que des interceptions illégales ont été réalisées par les services de contre-espionnage. De surcroît, un porte-parole de France Télécom, auprès de qui la DCRI s'est procuré les fadettes incriminées, a confirmé à Mathieu Aron que « depuis deux ans, les réquisitions qui leur étaient faites par le biais de l’article 20 de la loi de 1991 étaient en augmentation constante. »
Cette fuite tombe à point nommé. Depuis quelques jours, François Fillon est annoncé comme gagnant au concours de « qui veut devenir premier ministre ? » organisé par Nicolas Sarkozy depuis 5 mois déjà. Cette fuite est une belle occasion de pousser le bouchon un peu plus loin, et de rappeler qu'un Fillon hors du gouvernement pourrait être encore plus nuisible.
Dans une autre affaire, celle de l'attentat de Karachi, le président de l'Assemblée Nationale a écrit mercredi au juge d'instruction Marc Trividic, en charge du dossier, qu'il ne livrerait pas le contenu détaillé des auditions réalisées par la mission parlementaire jusqu'au printemps dernier. Il invoque des raisons constitutionnelles, en d'autres termes la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. Ces parlementaires avait auditionné une soixantaine de personnes depuis octobre 2009, dont Edouard Balladur. L'ancien premier ministre est soupçonné d'avoir reçu un financement politique illégal pour sa campagne présidentielle en 1995 émanant d'intermédiaires qu'il avait mandaté pour la vente de sous-marins au Pakistan. Au printemps 2009, Nicolas Sarkozy avait qualifié de « fable » ces soupçons. Mais depuis, bizarrement, le juge Trividic a toutes les peines du monde à obtenir les informations qu'il souhaite auprès du ministère de la Défense (le rapport sur les ventes de sous-marins a été largement tronqué) ou de l'Assemblée nationale qui avait conduit ses propres auditions.
Ce nouveau développement s'ajoute à divers rebondissements intervenus récemment : en octobre, on apprend que le ministère des finances en 1993, avant l'arrivée de Balladur et Sarkozy au gouvernement, avait déconseillé la vente de sous-marins au Pakistan, vente qui fut accélérée par le couple Balladur/Sarkozy dès l'automne 1994. En octobre toujours, Mediapart révélait que les rapporteurs des comptes de campagne pour le scrutin présidentiel de 1995 avaient recommandé au Conseil constitutionnel de l'époque, présidé par Roland Dumas, de refuser l'agrément des 10 millions de francs versés en liquide et sans justificatif sur les comptes de la campagne Balladur en janvier 1995. Enfin, l'enquête sur ce Karachigate a pris une nouvelle tournure le mois dernier quand un autre juge, Renaud van Ruymbecque, a décidé d'enquêter sur des «faits de corruption active et passive».
La justice, en Sarkofrance, est un concept partial et partiel.
... ou n'écoute pas
Dès le petit matin, mercredi 10 novembre, l'Elysée s'est empressée de promulguer la loi de réforme des retraites, avalisée la veille par le Conseil Constitutionnel. Ce dernier avait toutefois censuré une mesure, les articles 63 à 75 concernant l'évaluation par la médecine du travail du handicap à 60 ans révolus comme pénibilité. Pour le reste, la voie était libre. Sarkozy a signé le décret dès mardi soir. Le lendemain, la Présidence publiait une déclaration sobre mais mensongère :
« J'ai entendu les inquiétudes qui se sont exprimées pendant les débats. Et j'ai pleinement conscience qu'il s'agit d'une réforme difficile. Mais j'ai toujours considéré que mon devoir, et le devoir du gouvernement, était de la mener à bien. Avec cette loi, notre régime de retraite par répartition est sauvé.
Les Français sont désormais assurés qu'ils pourront compter sur leur retraite et que le niveau des pensions sera maintenu.»
Jusqu'au bout, Sarkozy aura menti. En 2013, la loi prévoit une nouvelle concertation et envisager le passage à un système notionnel ; et la réforme n'obtient pas l'équilibre, même en 2018.
Mardi, Nicolas Sarkozy aurait déclaré à quelques députés UMP que « l'option sociale, c'est terminé. » Et Jean-Louis Borloo aurait confié qu'il ne croyait plus à ses chances de devenir premier ministre à l'issue du remaniement, à cause de François Fillon et des députés UMP et « de leurs coups tordus. » Le ministre du développement durable a prétexté une mauvaise grippe pour éviter l'hommage au général de Gaulle mardi. Et mercredi, il recevait ses proches du Parti radical. On murmurait qu'il pourrait tout plaquer... Baroud d'honneur ? Jeudi prochain, Nicolas Sarkozy parlera à la télévision. Il veut « exposer les grandes priorités de la fin de son quinquennat » et « préciser les chantiers de son nouveau gouvernement » relate Charles Jaigu du Figaro.
Le monarque a la tête ailleurs. L'option sociale, que d'aucuns dans son entourage avançaient comme un contre-feu pour calmer l'amertume générale après le passage en force sur la réforme des retraites, est donc abandonnée. Le story-telling présidentiel est tout entier consacré à l'agenda international, et le G20 qui débute à Séoul en fin de semaine. Claude Guéant et Jean-Daniel Levitte ont prévenu les ministres : « Le chef de l'Etat fera systématiquement toutes les annonces lui-même » lors de ses rencontres. Les conseillers relayent les messages de leur patron : son agenda est « ambitieux » ; il veut faire du G20 « le coeur d'une nouvelle gouvernance économique mondiale » chargée de mieux réguler les marchés des changes et de matières premières, mais aussi de réformer le système monétaire international. Il a promis un « nouveau Bretton Woods », il veut « jouer collectif » (quelle surprise !). Depuis 2008, on a l'habitude d'entendre Sarkozy s'affirmer réformateur, régulateur et social quand il parle à l'étranger.
En fait, on connaît déjà la fin de cette trop belle histoire : après beaucoup de paroles, un peu d'agitation et quelques communiqués triomphants déjà écrits dans les coulisses des ministères, la réalité reprendra ses droits. Le G20 s'annonce comme une confrontation entre la Chine et les Etats-Unis. La France, au milieu, se tiendra évidemment coite. Mercredi, le Conseil de Stabilité financière démentait les informations du Financial Times de la veille selon laquelle le G20 allait publier vendredi une liste des banques « systématiques », celles dont la faillite aurait des répercussions en cascade sur la finance mondiale. BNP-Paribas, dirigé par le proche Michel Pébereau, et la Société Générale en feraient partie...
Mais le plus curieux est ailleurs : Nicolas Sarkozy ne part que demain pour Séoul, après les cérémonies du 11 novembre. Il arrivera bon dernier, sans doute après la bataille. La plupart des dirigeants du G20 son déjà sur place, y compris David Cameron, Barack Obama et Hu Jintao.


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