Je pense à toi ce matin Pilou. Qui se souvient de toi ? Personne. Le grand entonnoir t'a avalé.
Pilou, j'en ai déjà parlé. Pilou c'est Vincent Moulia. Pilou m'a valu de belles lettres d'insultes. En a valu à Lionel Jospin aussi. Moi, j'avais écrit en 1997 un papier sur SO pour les quatre-vingts ans de cette grande boucherie. Un autre 11 novembre.
Lionel t'a associé courageusement et publiquement dans sa fonction de Premier ministre de l'époque, à la mémoire collective des sacrifiés de 14/18, à la mémoire des autres. Tes copains d'infortune. Les réguliers, morts régulièrement sans broncher, que la France a porté en lettres d'or sur des milliers de monuments aux morts et les autres, dont toi Pilou, les irréguliers, les méprisés, les fusillés de Pétain, les fusillés de 17, pour l'exemple.
Pilou, tu t'es barré du bourbier au moment d'être fusillé. T'as demandé à aller aux chiottes et, courageusement, magistralement, tu t'es taillé à pied à travers la France pour rejoindre ton village qui est tout près de mon village. Vie de paria, vie de réprouvé, vie de chien pendant des années. Obligé de dormir dans les bois, de fuir en Espagne ensuite quand, sur dénonciation d'un voisin sympa, les flics ont failli te serrer.
Tu es mort dans ton lit, heureusement. Rassasié d'années. Heureusement tu en as eu de bonnes. Y'a plus de poilus, bientôt plus d'ancien de la deuxième. Un jour y'en aura pas plus de ceux de l'Indo, de l'Algérie, de l'Afghanistan, que sais-je encore ? Mais y'aura toujours des cons, des criminels, français et étrangers qui déclareront des guerres, qui diront que pour l'intérêt supérieur de la Patrie "faut y aller", que pour lutter contre le terrorisme "faut que ça saigne", que pour éradiquer les rouquins, les boîteux ou ceux qui portent une montre au poignet droit "faut envoyer la troupe". Des politiciens minables, cruels, irresponsables, qui décident qui doit vivre et qui doit mourir.
Pilou, je pense à toi ce matin. Tu aimais la vie, tu aimais ces matins clairs de presque hiver en Chalosse. Je t'offre cette journée camarade. Je pense à toi.