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Obscurité (60)

Publié le 12 novembre 2010 par Feuilly

Quand l’enfant se réveilla, il faisait complètement noir. Il voulut bouger, mais aussitôt une douleur atroce lui déchira la poitrine. Où était-il ? Que s’était-il passé ? Il ne se souvenait plus de rien. Il constata que son bras droit était immobilisé. Étrange. Il tâtonna avec la main gauche et nota la présence de plusieurs tuyaux, fixés sur cet avant-bras. Ensuite, il voulut enlever ce qu’il avait devant les yeux et qui le gênait, mais il n’y parvint pas. C’était une sorte de tissu bien ficelé, probablement un pansement. En-dessous, la peau brûlait et faisait mal. Il continua son inspection et constata qu’une de ses jambes était dans le plâtre. Alors, oui, tout lui revint en mémoire. Le soleil éclatant, la petite Peugeot qui filait sur une route sinueuse, les motos qui approchaient, la mère qui s’essuyait le front d’un revers du bras. Puis ce virage en épingle à cheveux. Lui qui criait et elle qui ne réagissait pas. Et finalement la chute dans le vide, cette impression horrible dans l’estomac, ce creux qui donnait la nausée et en même temps cette peur panique de ce qui allait arriver. Puis plus rien. Il se souvient d’un choc terrible et c’est tout. Après c’est le noir absolu, il a tout oublié. Bon, il est en vie, c’est déjà cela et il doit probablement se trouver dans un hôpital. Mais dans quel état ? Et pourquoi ne voit-il rien ? Que signifie ce bandeau sur la figure et les yeux ? Et s’il avait perdu la vue ? Si son existence, désormais, allait se réduire à cette obscurité ? Non, ce n’était pas possible, il ne le supporterait pas.

Et les autres, qu’étaient-ils devenus ? Où étaient sa mère et Pauline ? Et lui, depuis combien de temps était-il ici ? Il voulut se lever, mais c’était impossible. Il n’y avait pas que son bras droit qui était attaché, c’était tout son corps qui était immobilisé par des sangles ou des ficelles ou par il ne savait trop quoi. Sans doute avait-on peur qu’il ne tombât. C’était ridicule, après la chute qu’il venait de faire avec la voiture, tomber d’un lit semblait dérisoire. Il tenta d’appeler, d’abord faiblement, plus de plus en plus fort, mais personne ne répondit. On était sans doute en pleine nuit, ce qui expliquait cette obscurité profonde. A moins que ses yeux… Ces élancements sur la peau du visage, cette douleur, c’était sûrement une brûlure. Si cela se trouvait, la voiture avait pris feu en s’écrasant au fond du canyon. Et ses yeux alors ? Auraient-ils été atteints ? Cette fois, une peur panique s’empara de lui. Certes, il restait immobile, par la force des choses, mais il sentait son cœur qui battait la chamade. Il avait envie de crier. De crier et de pleurer.

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Il avait dû se rendormir, car à un certain moment il entendit deux femmes qui parlaient tout près de lui. « Où suis-je ? » murmura-t-il. Alors on lui expliqua qu’il était dans un hôpital. Il avait eu un accident et il était arrivé aux urgences dans un bien triste état. Cela faisait trois jours qu’il était inconscient et plongé dans une sorte de demi-coma. « Et mes yeux ? » murmura-t-il, « je ne vois rien. » Pas de panique, ses yeux n’avaient rien, mais on avait été obligé de lui mettre un bandeau pour le laisser dans l’obscurité, car il avait eu une commotion cérébrale et dans ce cas la lumière était très mauvaise. Et puis il avait eu aussi le visage ensanglanté, à cause de sa chute le long des rochers. Mais le médecin allait passer bientôt et on allait enlever tout cela pour vérifier l’état des blessures. Tant qu’on y était, autant qu’il sache tout de suite qu’il avait trois côtes cassées et un genou complètement démis. Qu’il ne s’inquiète pas, cependant, tout cela allait s’arranger dans quelques semaines. Il suffisait d’un peu de patience. En fait, il avait eu une sacrée chance !

De la chance… Si on veut, oui. Et sa mère et sa sœur, où étaient-elles ? Mais là, il y eut un silence de quelques secondes, un silence qui lui parut une éternité. Puis une des infirmières répondit qu’il ne devait pas tout apprendre d’un coup, qu’il était encore très faible et qu’il devait se reposer. Là-dessus, elles sortirent toutes les deux, en rappelant que le médecin allait bientôt passer.

Il resta dans son lit, la tête vide, incapable de penser, incapable de quoi que ce soit. Même pleurer semblait impossible. Il était là, prostré, ne comprenant plus rien, mais pressentant une vérité terrible. Une vérité qu’il ne parvenait pas à traduire par des mots et qui donc ne signifiait rien. Mais en même temps un gouffre immense se creusait en lui, un gouffre dans lequel il n’en finissait plus de tomber en tournoyant jusqu’au moment où il s’écrasait tout au fond. Il hurla. Quel cauchemar ! Une infirmière entra de nouveau, alertée par son cri. Il lui raconta son rêve et elle dit que ce n’était rien, que c’était à cause des narcotiques utilisés pendant qu’on avait opéré son genou. Qu’il était aussi bourré de somnifères, pour qu’il ne ressentît pas trop la douleur et que ceux-ci provoquaient souvent ce genre de cauchemar. Allons, qu’il prenne courage, dans deux ou trois jours il se sentirait beaucoup mieux… Beaucoup mieux, c’était vite dit ! Il la laissa partir sans oser la questionner davantage et il resta seul avec lui-même, seul comme il n’avait jamais été et comme il le serait toujours désormais, il le pressentait. Il ne pleurait toujours pas. C’eût été impossible.

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Vers le soir, le médecin vint enfin et on enleva le pansement qu’il avait devant les yeux. Une lumière vive lui brûla instantanément la rétine. C’était douloureux, mais quel bonheur aussi de voir et de regarder, alors qu’il avait cru, oui, être devenu aveugle. Voilà enfin une bonne nouvelle. Ce fut là le début d’une lente remontée qui allait prendre du temps, beaucoup de temps. Le médecin se montra un peu plus loquace que les infirmières. Il expliqua que dans son malheur il avait eu beaucoup de chance car il avait été éjecté de la voiture avant qu’elle ne s’écrasât au sol. Il s’était donc retrouvé sur un promontoire intermédiaire d’où les pompiers avaient eu beaucoup de mal à l’extraire. On n’y était finalement parvenu qu’avec l’aide de l’hélicoptère. D’habitude, l’issue est souvent dramatique pour les personnes éjectées, mais dans son cas cela avait été bénéfique. C’était comme s’il n’avait fait qu’une chute de quelques mètres entre la voiture qui avait rebondi sur le promontoire et le rocher où on l’avait trouvé. Tomber jusqu’en bas, évidemment, aurait été beaucoup plus dramatique.

Le médecin n’en dit pas plus. Était-il au courant, seulement, que sa mère et Pauline étaient à bord ? Mais une nouvelle fois, l’enfant n’osa rien demander. C’était trop tôt, il le sentait. D’ailleurs on le lui avait dit que c’était trop tôt. Et puis, sans le savoir, le médecin venait de répondre : une chute jusqu’en bas de la falaise ne pouvait être que fatale… Il ne ressentait rien. Rien qu’un grand vide, une sorte de gouffre, une nouvelle fois, dans lequel il n’en finissait plus de tomber.

Quelques jours se passèrent ainsi. Il pouvait maintenant marcher un peu dans la chambre, en s’aidant d’une paire de béquilles. Ce n’était pas facile, ô non ! Il crut même plus d’une fois qu’il allait perdre l’équilibre et tomber tout de son long, mais heureusement il parvint à éviter ces nouveaux drames. Le genou lui faisait mal, mais pas trop. Le plus douloureux, finalement, c’étaient les fractures des côtes, car à chaque respiration il sentait une vive douleur dans la poitrine. Par moment, une incroyable mélancolie s’emparait de lui et il se sentait seul et désespéré, alors il tournait en rond dans cette chambre comme dans une cage.

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Un soir, n’y tenant plus, il s’aventura dans le corridor. Tout était calme à cette heure et les infirmières devaient être occupées ailleurs ou bien en train de manger sur le pouce dans leur vestiaire. Il progressa comme il put, clopin-clopant et, tout au bout du couloir, il découvrit un petit local ouvert, avec quelques banquettes et une table basse sur laquelle étaient déposées des revues. Une sorte de salle d’attente en quelque sorte ou plutôt un endroit calme réservé aux malades. Épuisé par sa marche, l’enfant s’assit pour se reposer. Ses muscles étaient affaiblis et il se sentait sans force, aussi resta-t-il là un bon moment. Pour passer le temps, il prit distraitement une revue, puis une autre. Dans la pile, il découvrit une édition récente de « La Provence » et alors le titre qu’il lut le glaça d’effroi : « Un terrible accident dans les gorges du Verdon. La vitesse seule en cause ». Ce titre était en grosses lettres capitales et on ne voyait que lui. En-dessous, il y avait une photo des gorges, qu’un hélicoptère survolait.

Le cœur serré, il se mit à lire l’article. Il y apprit qu’une Peugeot 206, dont des gendarmes avaient déjà noté la vitesse excessive dans les environs de Castellane, avait dérapé sur la route des crêtes avant de terminer sa course au fond d’un ravin, après une chute de plus de six cents mètres. Arrivés rapidement sur les lieux du sinistre, deux motards de la brigade de Draguignan n’avaient pu que constater le drame. Ils avaient immédiatement alerté les secours. Un jeune garçon, qui avait été éjecté du véhicule pendant sa chute et qui était resté coincé sur un rebord rocheux, avait pu être secouru grâce à l’hélicoptère des secours en montagne et l’intervention du PGHM (Peloton de gendarmerie de haute montagne). Il avait été hospitalisé à l’hôpital du Luc dans un état grave mais stationnaire. Ses jours n’étaient pas en danger. Quant aux deux autres occupants du véhicule, une femme de trente-huit ans et sa fille de huit ans, elles étaient décédées à l’arrivée des secours, d’autant plus que le véhicule avait pris feu après s’être écrasé au bord du Verdon. L’identification des corps avait été difficile. D’après le commissariat de Castellane, la jeune femme, originaire du Nord-Est, était recherchée par la police pour enlèvement d’enfant. La cause de l’accident était manifestement la vitesse excessive. Le maire de Castellane, qui s’était rendu sur les lieux de l’accident, avait tenu à remercier les forces de l’ordre et les secouristes pour leur rapidité d’intervention.

Le titre suivant était consacré à l’Olympique de Marseille qui venait de battre le Paris-St Germain

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