Leçons d'une enquête de "futuribles", par Corinne Lepage
En ce début d’année, je voudrais plus particulièrement m’adresser aux plus jeunes d’entre eux, dont les études statistiques et sociologiques soulignent le manque de confiance et la baisse de moral. Pour leur dire d’abord que notre génération, qui a été particulièrement gâtée, porte une part importante de ce désarroi et qu’elle doit le reconnaître. Pour affirmer ensuite, sans tomber pour autant dans le jeunisme, qui est une caricature de ceux qui ne veulent pas s’accepter tels qu’ils sont, que les jeunes sont porteurs de valeurs différentes des nôtres et notre devoir est de leur permettre de réaliser leurs propres rêves, en tentant, pour ce qui peut l’être ,de réparer les conséquences de nos propres erreurs.
Il nous faut donc connaître ces valeurs et essayer de comprendre les raisons du classement des jeunes français avec les jeunes Polonais et Japonais, dans les plus pessimistes quant à leur avenir personnel et leur carrière professionnelle future .
Tel est le résultat d’ une très vaste étude intitulée « european youth in a global context » menée sur 22 000 personnes et publiée dans le numéro de janvier de Futuribles. La faiblesse de la croissance et le fort taux de chômage explique pour partie cette situation, car cette étude établit une forte corrélation entre la croissance économique et l'optimisme général . Mais, cela suffit pas à expliquer la situation.
Si l’on s’en réfère à cette étude,les jeunes Français participent d'une génération qui présente incontestablement des points communs dans les 17 pays dans lesquels cette étude comparative a été menée : une génération dite » moi- nous « très individualiste mais en même temps qui considère que les relations humaines (famille, communauté,) sont une priorité ; une génération définie également comme homo zappiens, marquée par l’ impatience, la mobilité et un comportement changeant ;une génération bien davantage consciente que la génération antérieure des menaces mondiales, pollutions , terrorisme et guerre.
L'Europe du nord protestante, dans laquelle assez curieusement se trouve placée la France, en limite de l'Europe catholique et des pays anglophones, semble montrer l'avenir avec cinq grandes valeurs :
· l'importance accordée à la liberté civile et politique,
· le soutien de la parole publique,
· la tolérance envers ce qui n'est pas conforme,
· la propension des individus à l'épanouissement personnel
· l'importance de la confiance en l'homme.
Ces notions se combinent avec
· un faible intérêt pour la religion,
· un patriotisme très modéré,
· un respect limité pour l'autorité,
· un très faible enthousiasme vis-à-vis de l'obéissance
· une faible inclination pour le modèle familial traditionnel.
Ce faisant, le rapport met en lumière les particularités de l'identité européenne par rapport à identité américaine : 25 % des jeunes Américains font confiance aux institutions religieuses contre 15 % des jeunes européens ;75 % des jeunes Américains croient en Dieu contre 38 % des jeunes européens et 50 % des jeunes Américains pensent que la religion constitue un important ciment de leur identité alors que seuls 22 % des jeunes européens sont de cet avis.
Il résulte de ce constat que nous avons de véritables transformations à accomplir pour répondre aux exigences démocratiques de notre jeune génération, qui passe par la légitimation de l’autorité, la cohérence entre la parole et l’exemple ou encore pour reprendre la belle expression d’Alain Gérard Slama, mettre un terme à la confusion des ordres et à la concommitance des contraires. En effet, un certain nombre de particularités de notre jeunesse devait attirer notre attention.
Constatons une curiosité. A partir de 10 objectifs de vie, a été réalisé un diagramme pour lequel l'axe vertical représente la dimension d'affirmation personnelle (le moi) par rapport au conformisme (le nous ) et l'axe horizontal ,les valeurs liées au succès personnel (argent ou apparence physique) les valeurs liées et aux considérations humanistes (faire le bien et la valeur famille).
Sur cette carte, les jeunes Français se classent avec les jeunes issus des pays de l'Est dans une prééminence donnée au moi sur le nous et données à la possession des biens sur les valeurs humanistes. Ils sont ainsi à l'opposé des jeunes des pays du nord de l'Europe, plus sensibles aux valeurs humanistes et au développement du nous plutôt que du je. L'Allemagne et les États-Unis appartiennent, à une moindre mesure à la même catégorie.
Pourquoi ? Comment expliquer cette dérive dans le pays porteur de la déclaration des droits de l’Homme ? On observera que la tranche d'âge de 30 à 50 ans en France est plus sensible aux valeurs humanistes que les plus jeunes. L’absence d’idéal et de projet collectif et les incohérences relevées ci-dessus sont probablement des facteurs explicatifs qui mériteraient d’être approfondis. Il faut y ajouter la perception de la mondialisation comme une menace plutôt que comme une opportunité, ce qui est une particularité française en Europe.
En revanche, des facteurs très positifs apparaissent :
· une confiance dans l'avenir, manifestée par le désir d'enfant puisque les jeunes Français sont les plus nombreux -80 % -à envisager d'avoir des enfants dans les 15 ans qui viennent ,la moyenne européenne étant autour de 72%.
· Une préférence marquée - 75 % – pour bénéficier d'un environnement agréable plutôt que de bonnes opportunités professionnelles contre 67 % pour l'ensemble des jeunes européens qui s’exprime notamment par le désir de vivre à la campagne plutôt qu'en ville , - 57 % contre 43 % des jeunes européens
· Et, surtout, les jeunes Français sont probablement les plus européens puisqu'ils sont les seuls en Europe à se déclarer plus proche des jeunes Européens que des autres Français. Même s’ils ne font pas pour autant confiance à l’Union Européenne puisqu'ils sont seulement 14 % dans ce cas, cela signifie qu’ils attendent de l’Europe les évolutions qu’ils désespèrent de trouver chez leurs concitoyens.
Ainsi, l’Europe constitue très probablement pour nos jeunes un des principaux facteurs d'espoir et de construction d'une société conforme à leurs propres valeurs, et ce d'autant plus que les jeunes Français sont parmi ceux qui souhaitent le plus s’investir dans la vie politique et sociétale. C'est donc par nos jeunes que passeront les réformes que notre pays attend , avec une synthèse originale qui se dessine entre les valeurs partagées d'une jeune génération Européenne et un esprit français. À nous de sortir du cynisme, de l'égoïsme, d'une realpolitik incompatible avec nos valeurs seulement déclamées pour convaincre la jeune génération de se rapprocher des valeurs plus collectives et généreuses
dont nous devons rester porteurs.
(Chronique France-Culture : tous les lundis à 7H25)
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