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Martine la chti

Publié le 11 novembre 2010 par Argoul

Mercredi matin, sur France Culture, Martine Aubry délivrait la bonne parole. Du posé, du raisonnable, du bon garçon. Je pourrais dire « bonne fille », mais – voyez le sexisme ambiant – la langue française fait de cette expression une chose plus mièvre que le bongarçonnisme, attitude positive à l’anglo-saxonne. Martine Aubry s’est présentée, durant cette heure de débat avec les journalistes de Normale Sup ou Science Po, comme l’anti-Sarkozy. Pas bien difficile, direz-vous ? Pas si sûr justement : il était bon de le prouver.

Car chacun le constate, dame Ségolène fait du Sarkozy médiatique, El-Mélenchon fait du Sarkozy outré, Mister Hollande lui-même fait du Sarkozy technocrate. Donc l’anti-sarkozysme est un art, même s’il ne peut être lui-même une politique. Comment Martine le réussit-elle ?

• En posant d’entrée son goût pour la culture (mesurez l’antithèse avec l’actuel Président !) ;
• En déclinant ensuite ce goût comme non pas élitiste (suivez son regard !) mais créateur de lien entre les gens (eh oui, l’anti-Qui-vous-savez…).

Le « care », ce mot « mal choisi » (dit-elle), signifie le soin mutuel – mais pas dans le sens doloriste ou victimaire de l’autre candidate. Il signifie que chacun doit faire attention à l’autre au lieu de se murer dans son égoïsme, collaborer à l’œuvre commune et aider, au lieu de la compétition à outrance qui écrase et méprise. La culture fait penser, émeut, donne à partager. Elle sort aussi des seules préoccupations matérielles, elle « donne du sens ». Culture et lien : voilà l’anti-sarkozysme positif.

Si vous avez suivi jusqu’ici, il s’agit d’une philosophie.

Travailler avec et pas contre les gens ; œuvrer ensemble pour un avenir clair et commun ; tenir compte des réalités mais dans la transparence. N’est-ce pas cela, la culture chti ? Le film bien connu en a donné la quintessence : pragmatisme et chaleur humaine, entraide et effort partagé. Le Nord de la France est proche de l’Angleterre et Martine Aubry a osé prononcer deux fois le mot « libéraliser » ou « libéral » : à propos de Mitterrand et des radios libres, à propos de la liberté pour chacun de partir à 60 ans s’il veut – mais avec décote (elle l’a répété, sans tomber dans la démagogie de l’ambiguïté de certains). Pas question non plus de tomber dans la décroissance chère aux écolos mystiques. Il n’y a pas que des illuminés dans la mouvance verte et promouvoir un bien-être autrement est un défi pour l’avenir. Avec nombre de verts, « on peut travailler », affirme-t-elle.

Martine Aubry, c’est l’État.

Malgré son évolution, elle reste amoureuse de la puissance publique garante, selon la théorie rousseauiste, de « l’intérêt général ». Le lien social est en ce sens ambivalent : il est la corde qui empêche l’alpiniste de déraper, mais aussi celle qui oblige à suivre la cordée. Tout ce qu’un Américain déteste et qu’un Russe adore. Le Français étant entre les deux, tenté à la fois par Proudhon et par Lénine, autoritaire pour les autres ou quand il a le pouvoir, mais frondeur apte à la manifestation dès que n’importe quoi lui déplaît, tenir l’équilibre n’est pas facile. Surtout dans un parti où les mauvaises habitudes sont légion, du centralisme soi-disant « démocratique » où un bureau restreint décide au fond pour tous, à la croyance ancrée qu’il faut faire le bien des gens malgré eux car ils sont innocents, immatures, désinformés. Pas facile de se libérer des habitudes techno-léninistes !

L’État, dit quand même Martine Aubry, ne peut pas tout faire. Les leçons Rocard et Jospin sont retenues, malgré les « camarades ». D’ailleurs, n’écoutez pas les « petites phrases » des egos, susurre Martine, la seule chose qui compte, c’est la synthèse de ceux qui « travaillent » au projet du PS. L’État ne peut pas tout faire, son rôle est de « donner le cap » ; à la société civile de prendre le relai concret (collectivités, associations, entreprises, syndicats…) ; à chaque individu de se couler dans une équipe.

D’ailleurs, le point crucial est l’éducation.

Thème évident à gauche, mais qu’il est excellent de renouveler, surtout après les décennies de corporatisme prof où « l’intérêt général » était systématiquement traduit par « profitation » : plus de moyens, plus de salaire, plus de considération. Le nouveau projet du PS, auquel « ont travaillé » enseignants, syndicalistes, experts, mais aussi philosophes, sociologues, parents d’élèves, etc. est ambitieux. Sans cesse Martine Aubry répète le mot « travail », comme pour distinguer celui qui produit plus de celui qui gagne plus. Et les profs sont donc en première ligne dans cette nouvelle façon : le service des élèves nécessite plus de présence horaire des profs, une réduction des jours de vacances, une refonte des programmes et des méthodes de pédagogie… en bref tout ce qui hérisse a priori les enfeignants. De quoi, sans nul doute, séparer le bon grain de l’ivraie, ceux qui se saignent de ceux qui feignent, les vrais enseignants des véritables enfeignants. C’est ça aussi le lien social !

Disons-le tout net, si ce projet réussit à réformer le Mammouth et ses petits arrangements entre amis, voilà de la grande politique. Car Martine Aubry cite volontiers de Gaulle : si elle n’est pas d’accord avec tout ce qu’il a fait, elle admire sa position au-dessus des intérêts catégoriels, sa volonté de représenter la France dans le monde et sa capacité à donner un cap mobilisateur. Tout ce que Sarkozy a raté, si l’on veut.

Au fait de Gaulle, né à Lille, était chti lui aussi.

Martine Aubry à réécouter (+ vidéo) dans Les Matins de France Culture, mercredi 10 novembre 2010.


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