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Des lieux de la cyberguerre (III)

Publié le 14 novembre 2010 par Egea

Je poursuis mon étude sur la cybergéopolitique, entamée le mois dernier dans le cadre du thème du mois d'AGS. C'est Stéph qui va être content.....

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Voir le premier article, et le second.

Un quatrième et dernier est prévu.

Stratégie et cyberdéfense

Le cyber, un milieu de la guerre comme un autre

Le cyber fait l’objet d’un débat entre les anciens et les modernes. Dans cette nouvelle bataille d’Hernani, le fond de la discussion porte sur l’influence du cyber : le mode cyber modifie-t-il radicalement la guerre, au point d’en modifier tous les paramètres ? ou au contraire, ne s’agit-il que d’une innovation comme il y en a eu déjà tant ? Initialement, le débat a porté sur la notion de « révolution dans les affaires militaires ». Sans entrer dans toute la littérature spécialisée, on peut résumer le débat à la question du milieu : ce qui nous permet de revenir à notre interrogation sur la géopolitique du cyber.

Une révolution

Selon les "modernes", tenants de la révolution cyber, les nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC) affectent l’art de la guerre de manière radicale : révolutionnaire. Selon cette approche, les principes qui avaient jusqu’ici prévalu seraient obsolètes. Le brouillard de la guerre serait dissipé par les nouvelles techniques : la puissance de calcul, accélérant la boucle OODA, procure une supériorité dénommée « information dominance ».

Il n’est pas besoin de revenir sur les limites de cette théorie dont la mise en œuvre a été efficace pour vaincre Saddam Hussein, mais par pour gagner la paix à l’issue. Depuis, les partisans de cette approche se sont faits plus discrets, les débats stratégiques sur la guerre réelle se concentrant sur la guerre insurrectionnelle. Toutefois, si l’approche intégrant armement et technologie de l’information a subi une éclipse (passagère ?), la conception d’une révolution par les NTIC s’est transformée au moyen du concept de cyber-guerre : puisque l’intégration de la guerre classique et de la guerre « nouvelle » n’a pas été aussi concluante, c’est probablement que la guerre nouvelle est tellement nouvelle qu’elle constitue un milieu à part entière. Ceci motive l’existence de tous les cybercommands qui fleurissent, selon la vogue contemporaine.

La critique de Colin Gray

Face aux modernes, les anciens ont trouvé leur porte-voix : Colin Gray, dans « La guerre au 21ème siècle », a apporté une objection fondamentale à cette approche du « nouveau milieu ». Il reconnaît au cyberespace « la caractéristique de non linéarité historique militaire » (p. 276) qu’il partage avec l’espace et les ADM : ces trois domaines de puissance « se réfèrent à l’exploitation militaire d’un nouvel environnement géographique, si l’on peut se permettre d’identifier ainsi le spectre électro-magnétique ». Toutefois, revenant à Clausewitz, Colin Gray rappelle que « la guerre est menée pour servir la politique » (p. 277) et que donc « la guerre cybernétique fera partie des moyens qui fourniront un soutien plus ou moins direct aux éléments de pointe ». Ce faisant, Gray relativise l’apport cyber à une arme d’appui au reste des opérations. Car « c’est simplement un fait physique que la terre, la mer, l’air, l’espace et le cyberespace constituent cinq dimensions uniques dont les géographies distinctes commandent : la façon dont les êtres humains peuvent se comporter dans, sur ou à travers elles ; l’éventail des choix techniques réalisables ; l’étendue du comportement tactique. Il ne s’agit pas de déterminisme technique ; c’est plutôt la reconnaissance du fait que la guerre sur terre, sur mer, dans l’air, dans l’espace et au travers du cyberespace ne peut être autre que dominée techniquement et tactiquement par les contraintes de chaque milieu spécifique » (p. 282). Colin Gray identifie ainsi le cyberespace comme un lieu géographique, où des actions de guerre peuvent se dérouler : pour notre propos, cela revient à dire qu’il s’agit réellement d’un milieu géopolitique.

Est-ce à dire que Colin Gray reconnaît l’innovation radicalement différente que constituerait la cyberguerre ? il s’en faut de beaucoup. Pour lui, « la cyberguerre c’est encore la guerre » (p. 297). Rappelant Clausewitz (« quatre éléments composent le climat de la guerre : le danger, la fatigue, l’incertitude et le hasard »), il précise : « la supériorité informationnelle pourrait diminuer l’importance et l’effet de ces éléments, mais elle ne peut pas les éliminer » (p. 301). Et plus loin : « Les événements d’Irak ont illustré la pertinence des vérités immuables : l’information, la connaissance et la compréhension sont trois choses différentes » (p. 303).

Au fond, Colin Gray reconnaît l’utilité de la dimension cyber dans la guerre contemporaine. Mais se référant à l’exemple de Douhet, qui avait estimé (à tort) que l’arrivée de la puissance aérienne allait radicalement transformer le visage de la guerre, il constate qu’elle ne l’a rendu que plus compliquée, ajoutant une couche de complexité à des opérations qui jusque là étaient soit terrestres, soit navales; et que si on ne saurait aujourd’hui envisager une guerre sans l’arme aérienne, personne ne croit plus sérieusement qu’à elle seule, elle pourrait permettre de gagner la guerre, mais seulement des batailles ; qu’à cet exemple, il en est de même des nouveaux milieux de la guerre, celui de l’espace ou, en l’espèce, celui du cyberespace.

« L’émergence de la puissance spatiale et de la puissance cybernétique doit être abordée comme le fut, ou aurait dû l’être, la puissance aérienne. Aucune de ces trois puissances n’a transformé la conduite de la guerre, elles n’ont fait qu’ajouter à sa complexité. Il y a deux raisons manifestes pour lesquelles l’exploitation impressionnante d’une nouvelle dimension géographique de la guerre échoue, d’une façon répétitive, à métamorphoser les choses. Premièrement, il n’y a pas de dernier coup dans le flux des nouveaux outils de la guerre : apparue avec la révolution industrielle, l’innovation est devenue pratique courante (...) Deuxièmement, -comme nous ne cessons de le répéter à la suite de Clausewitz- la guerre est un duel » (p. 313).

Ainsi, la cyberguerre en saurait constituer, à elle seule, la mère future de toutes les batailles, sans qu’il faille pour autant relativiser ses effets. Elle manque surtout d’un théorie stratégique. En effet, ce qu’on peut observer trop souvent dans les articles ayant trait à la cyberstratégie, c’est un discours autocentré, qui conjuguent deux défauts principaux : celui d’être très technophile, celui de se cantonner à son seul milieu.

Réf :

(à suivre, notamment sur les caractéristiques d'une théorie stratégique cyber)

O. Kempf


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