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| 24 heures abordo :: last part |

Publié le 09 janvier 2008 par Diel
102.jpgIl a été moins facile d'écrire cette dernière partie qui est beaucoup moins jalonnée de repères temporelles que les deux premières. La fin de la journée est le moment où les questions sur le fond de ce que je fais, de ce que je n'aime pas faire et de ce que j'aimerais faire m'assaillent. Cela touche de prés mon activité et c'est là à ce sujet que je suis la plus fragile.
Sans emploi, sans activité professionnelle officielle et rémunératrice, pour le système je n'existe pas. Cependant je jouis d'une grande liberté de gestion de mon temps. C'est d'ailleurs ce qui peut effrayer au début, cette totale autonomie qui s'offre à nous lorsqu'on perd son job.
Dans une culture où le travail est synonyme d'épanouissement, de vecteur de réussite, d'identité et même, de la bouche de Nabonux, de liberté, c'est en réalité lors de la perte de son emploi que l'on se retrouve face à ce que l'on est vraiment, au temps que l'on a et à ce que l'on a envie d'en faire. D'où cette frayeur puisque jusqu'ici les réponses à ces questions été toutes trouvées.
Depuis la maternelle nous sommes encadrés par des horaires et des devoirs. Et bien que ceux-ci perdurent lors d'une période de chômage en prenant la forme du pointage et de l'entretien mensuel, il se dégage parallèlement un espace d'indépendance propice à une remise en question, à la vraie recherche de soi-même et de ses aspirations que peu ont le courage d'affronter tant nous n'avons pas l'habitude de penser par nous-mêmes.
Beaucoup de chômeurs se contraignent à suivre le même rythme qu'ils avaient pendant qu'ils travaillaient comme pour se prémunir du pêché de l'oisiveté, et comme si, par une sorte de superstition, cela favorisait également leur chance de retrouver un emploi. Fondamentalement cela ne change pourtant rien à la donne, les journées font toutes vingt quatre heures pour tout le monde, chacun est donc libre de les employer comme bon lui semble.

Toujours à cause de cette culture judéo-chrétienne qui sacralise le labeur, le sacrifice pour le travail et le respect que celui-ci attribut automatiquement à tous ceux qui s'amassent à la pointeuse avec l'enthousiasme d'un chien constipé qui chie sous la pluie, chacun est convaincu sans vraiment y avoir réfléchi qu'il n'y a que de cette façon que l'on peut gagner sa place dans la société, et de ce simple fait se sentir honorablement exister. Cela dit en passant, c'est tout de même curieux que l'église qui véhicule avec énergie ce concept avilissant est à l'inverse nettement plus muette pour ce qui est de demander l'interdection de l'ouverture des magasins le dimanche; petit aparte.

Le chômage, ce serait donc l'enfer, le mal, la mort et la damnation. Dés que ce mal nous frappe, l'un des sept pêchés capitaux qu'est la paresse nous glace avec effroi et fixe notre conscience sur une culpabilisation entretenue avec zèle par les médias, les amis, la famille et par les administrations chargées de notre radiation du suivi de notre "projet personnalisé d'accés à l'emploi type parcours recherche active".

Se contraindre à un rythme qui n'a pas démontré son efficacité quant à l'objectif à atteindre doit être remis en question. En Australie, en Nouvelle-Zélande et aux Etats unis, où d'ailleurs est né l'idée de simplicité volontaire, plusieurs citoyens aspirant à travailler moins pour gagner moins et vivre mieux, ont diminué leur temps de travail jusqu'à trente heures hebdo pour certains, et fait preuve ensuite d'une efficacité supérieure à ceux qui ne bénéficiaient pas de ce gain de repos.

C'est tout à fait compréhensible d'avoir des difficultés à adopter ce point de vue au regard de l'intoxication que l'on nous vomit quotidiennement; ce discours qui veut que la croissance soit le remède à tous nos maux, qui nous veut davantage au travail en promettant des revenus en hausse quand seul le prix du gaz augmente. C'est certes d'autant plus difficile d'entrevoir une chance au travers du chômage, celle du temps libre gérable selon ses aspirations et ses priorités, celle aussi de l'élargissement de sont point de vue plutôt que la seule perspective fantasque d'un objectif de retour rapide à l'emploi.

Je hais sincèrement les objectifs. Je n'en ai aucun, hormis ceux que je visse à mon boîtier (photographique). La vie m'a démontré que les buts ne servent qu'à rétrécir notre champ de vision. Ceux que j'ai pu me fixer adolescente sont tellement loin de ce que j'ai dû apprendre et affronter par la suite, ne serait-ce que pour jouir du privilège d'avoir un toit...

En milieu d'aprés-midi j'aspire donc à l'évasion. J'ai besoin de fuir les murs de ma grotte pour aller humer les émanations de dioxyde de carbone, faire de l'oeil au soleil ou jouer du parapluie entre les piétons, renifler la goutte au nez, m'apaiser de l'espace qui file entre les Cours, puis me poser dans un café et lire, écrire, ou regarder. J'observe critique le passage cyclique des saisons urbaines et approximatives, le martèlement et la course d'une foule hystérique, les couleurs scintillantes dans les flaques, le clignotement des feux électriques, et je me laisser bercer par le mouvement presque organique de ma ville nervurée par ce gris serpent mécanique.

Quand on a compris que tout ce flux métronomé dont on nous enjoint de remplir nos vies ne sert qu'à nous détourner de l'essentiel sur cette planète, on fait face à notre passage éphémère et on change de regard sur notre carte de pointage, notre carte bleue et notre carte de bus.

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19h30 - Intérieur soir - lampes éteintes

Aprés avoir enfilé un pantalon de pyjama, mon sweet en pilou-pilou et mes pantoufles fourrées, je bois un grand verre d'eau. Je réfléchis. Je décide de ce que j'ai envie de faire, de ce que j'aime qu'il soit fait et je m'abandonne à mes obsessions qui s'animent entre les synapses de mes neurones. Je m'applique à cerner le sens de mon regard, celui que je veux donner sur le temps, je dérive dans une errance intélectuelle qui me mène, aux hasards de mes humeurs et de mes aspirations, vers l'action ou l'inaction, jusqu'à l'orée des premières lueurs de l'aube.
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