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Un colloque à Berne sur le libéralisme en Suisse

Publié le 18 novembre 2010 par Francisrichard @francisrichard

Colloque LibéralismeLe Cercle Démocratique Lausanne ici et le Liberales Institut ici ont organisé un colloque sur le libéralisme en Suisse le vendredi après-midi 12 novembre 2010 et le samedi matin 13 novembre 2010. Les interventions étaient faites en français, en allemand et en anglais.

Ce fut pour moi l'occasion, parmi les intervenants, de retrouver Victoria Curzon-Price, Pierre Bessard et Uli Windisch et de faire la connaissance d'Olivier Meuwly, de Pierre Weiss et de Philippe Nemo; parmi les auditeurs de renouer des liens avec des amis connus lors de la dernière Université d'été de la nouvelle économie d'Aix-en-Provence, en 2009 [voir mon article Le dissident russe Vladimir Boukovsky à l'Université d'Aix-en-Provence ].

Pour rentre compte des différentes interventions de ce colloque, je me suis inspiré largement des résumés mis à la disposition des participants, sans faire usage de guillemets qui auraient alourdi mon texte et qui n'auraient de toute façon pas correspondu à de réelles citations. 

La première demi-journée du colloque a été consacrée à l'histoire du libéralisme suisse.

Le premier intervenant, Alexis Keller, professeur à l'université de Genève, a parlé des sources intellectuelles du libéralisme suisse et a montré que les libéraux suisses, Usteri, Sismondi, Bellot, Zschokke, Monnard, Snell ou Cherbuliez, ont puisé leurs réflexions à trois sources principalement : la philosophie des Idéologues, la pensée politique britannique (l'utilitarisme et la culture whig écossaise) et la tradition républicaine. Ils s'inspiraient sans problèmes à la fois de Montesquieu, de Rousseau et d'Adam Smith.

Bela Kapossy, professeur à l'université de Neuchâtel, a montré ensuite quel rôle avait joué les conflits internationaux dans la naissance du libéralisme suisse. Le libéralisme suisse est né au XVIIIème siècle. Il s'agissait, alors que se déroulait la guerre de Sept Ans, vers la moitié du siècle, pour les républiques de la Confédération, de trouver la meilleure manière de se défendre contre la pression économique et politique des puissances commerciales européennes. Modernisation de l'économie domestique, critique de la position privilégiée des villes, positionnement au sein de l'Europe d'une Suisse adepte de l'économie de marché ont nourri les débats des libéraux suisses dans la seconde moitié de ce siècle.

Karen Grossmann, professeur à l'Université de Zurich, à partir de l'étude des Constitutions successives  de la Confédération, de 1848, 1874 et 1999, constaste que la liberté absolue, présente à l'origine dans les deux premiers textes, s'est atomisée avec le troisième en libertés sectorielles et en droits fondamentaux, l'Etat limitant toujours plus la liberté et vidant de sens le rôle de contrôle du Tribunal fédéral toujours plus lié par la législation fédérale.

Olivier Meuwly, vice-président du Cercle Démocratique Lausanne et chargé de cours à l'Université de Genève, rappelle qu'une singularité du libéralisme suisse a été d'accepter l'Etat démocratique comme ferment d'une liberté au service du plus grand nombre. Le libéralisme suisse devra cette réconciliation avec la vocation gouvernementale au mouvement radical, au pouvoir pendant des décennies, pendant lesquelles ce dernier développera l'Etat social, puis intégrera des socialistes au sein du Conseil fédéral. A la fin du XXème siècle il perdra de son influence, faute d'avoir réinventé des limites à l'Etat, au profit de l'UDC qui, certes, lui empruntera des éléments libéraux, mais assortis d'une vision conservatrice de la société.

Pierre Bessard, directeur du Liberales Institut et délégué de l'Institut Constant de Rebecque, évoque le rôle de refuge de la Suisse pour les libéraux pendant la Seconde Guerre mondiale sous la houlette de William Rappard, cofondateur de l'Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève qui accueillera, de 1934 à 1940, Ludwig von Mises, qui partira alors aux Etats-Unis, et, de 1937 à 1966, jusqu'à sa mort, Wilhelm Röpke. Après guerre, en 1947, la Société du Mont-Pèlerin ici, enregistrée aux Etats-Unis, mais financée par la finance et l'industrie suisses, réunira en Suisse les défenseurs de la liberté face au collectivisme. William Rappard prononcera d'ailleurs le discours inaugural. Le premier président en sera Friedrich Hayek et le second Wilhelm Röpke... 

Le marché et l'Etat
Robert Nef, président du conseil de fondation du Liberales Institut, insiste justement sur l'actualité de Röpke. Son influence a été grande sur les décideurs qui se retrouvaient dans son éthique de l'économie de marché et adhéraient comme lui aux principes de la propriété et de la concurrence, au fédéralisme décentralisé et aux limites de l'Etat fiscal. Depuis l'Etat providence, l'Etat redistributif et l'Etat titulaire ont pris une place démesurée, incompatible avec les idéaux de Röpke. Ce dernier, à travers ses nombreux ouvrages, gagne aujourd'hui en actualité. A ce propos son livre Au-delà de la loi de l'offre et de la demande a été réédité en français en 2009 ici.

Uli Windisch, professeur à l'Université de Genève, raconte plusieurs faits divers qui attestent que l'insécurité n'est pas seulement un sentiment mais une réalité. Il pose donc les deux questions liées entre elles : Faut-il un Etat fort pour assurer la sécurité ? Si oui, est-ce bien compatible avec le libéralisme ? Il expose l'exemple de la ville de New York, qui, après avoir été une des villes les plus dangereuses au monde, est devenue une des plus sûres. Il explique qu'aux habituelles prévention et répression s'est ajoutée la solution de la réparation. Le délinquant, le criminel, sont tenus de réparer les dégâts qu'ils ont commis. 

La seconde demi-journée du colloque a été consacrée à la philosophie et à l'économie.

Pour Philippe Nemo, professeur à l'ESCP-EAP ici et maître de conférence à HEC, dans l'après-guerre, le libéralisme, en tant que doctrine favorable aux libertés intellectuelles, politiques et économiques, a fait ses preuves. C'est ce qui lui a pemis de l'emporter sur le modèle communiste. Il définit d'ailleurs la liberté comme capacité de non imitation. Toutefois, selon l'intervenant, les théoriciens libéraux devraient éclairer mieux qu'ils ne le font leur réponse à ce qu'il appelle les effets du mimétisme, c'est-à-dire au phénomène des bulles. Dans les domaines de la gestion pluraliste des savoirs, des institutions politiques et juridiques, de l'économie, les théories libérales sont pleinement mûries. Mais elles doivent entreprendre d'autres chantiers sur des phénomènes qui relèvent, d'autres disciplines, telles que la sociologie, la géopolitique, l'histoire ou la morale, tels que l'immigration, les revendications indentitaires, le communautarisme ou le terrorisme.

Le libéralisme pourra-t-il ramener l'Etat à ses dimensions naturelles ? C'est à cette question qu'a tenté de répondre Gerhard Schwarz, directeur d'Avenir Suisse ici. L'Etat a trois dimensions : libérale, coopérative et subsidiaire. Le libéralisme ne refuse pas un tel Etat, nécessaire pour garantir la liberté et la propriété, mais il souhaite le maintenir dans des limites les plus petites possibles : "Aussi peu d'Etat que possible, autant d'Etat que nécessaire". Il n'y a cependant pas de mesure objective aux dimensions de l'Etat. On peut se donner des objectifs quantitatifs ou procéduriers pour le contenir. On peut dresser la liste de ses tâches. On peut formuler les lois de façon générale, ce qui permet de laisser la plus grande liberté à l'individu. On peut édicter des interdictions et non des commandements à agir. On peut restituer des domaines à la société civile et à l'économie de marché.

Victoria Curzon Price, professeur honoraire à l'Université de Genève et présidente du conseil d'administration de l'Institut Constant de Rebecque ici  fait l'éloge de la petite Suisse qui a su faire de ses handicaps des avantages en les surmontant. Les Suisses ont en effet développé depuis des lustres leur goût pour l'indépendance, l'originalité de leur offre et le commerce, toutes choses qui les ont prédisposés à échanger sur un marché extérieur devenu de plus en plus mondial. Leur refus depuis longtemps de la centralisation politique aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur est aujourd'hui pour elle un facteur important de compétitivité.

Vincent Valentin, maître de conférences à l'Université Panthéon-Sorbonne et à Sciences-Po, s'est attaché à montrer que le droit positif n'est pas une menace pour le libéralisme. Selon l'intervenant il faut distinguer entre science du droit et philosophie du droit. La science du droit est descriptive et ne se prononce pas sur la philosophie qui le sous-tend. Aux libéraux de faire valoir leur conception pour faire évoluer le droit.

Gerd Habermann, professeur honoraire à l'université de Potsdam et président exécutif de la F.A. von Hayek Stiftung ici, dresse un portrait du combat des libéraux contre l'Etat-providence depuis son apparition en Prusse au XVIIIe siècle. La critique est alors morale, esthétique, politique et économique. Elle est menée par Mirabeau, les auteurs "classiques" allemands et Emmanuel Kant. Au XIXe siècle les libéraux triomphent dans les domaines économique et politique. Mais les réformes de Bismarck viennent réduire à néant leurs efforts. Une période néolibérale s'ouvre après la Seconde Guerre mondiale, mais elle s'accommode d'un Etat providence de plus en plus égalitariste. Lueur d'espoir : les mouvements libéraux connaissent un renouveau ... à l'extérieur du Parlement.

Il revenait à Pierre Weiss, député au Grand Conseil genevois et vice-président du Parti Libéral-Radical, de conclure ce colloque. Le libéralisme a-t-il triomphé ? A-t-il gagné ou perdu une étape ? Difficile de répondre. L'intervenant pense que le libéralisme doit redonner toute sa place aux valeurs et à la morale, aux devoirs aussi bien qu'aux droits, qu'il doit dessiner un nouveau paysage dans lequel figurent en bonne place dignité, responsabilité et éthique.

Francis Richard


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