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Les modes de pensée qui nous usent

Publié le 18 novembre 2010 par Yann Frat / Un Infirmier Dans La Ville

Je me permets un petit écart sur mon sujet de base pour partager avec vous, maintenant que j'arrive à les formuler, les modes de pensées de mes contemporains qui s'étendent à une vitesse folle et qui me gâchent souvent de quotidien...

1- L'intention justifie toujours l'action :

Suis-je le seul à l'avoir remarqué? Depuis quelques temps l'intention seules d'une action justifie forcement l'action et c'est ce que j'appelle la pensée "un quatre quart pour le tiers monde" dans le sens ou une intention louable (sauver le tiers monde) justifie une action inutile, voire contestable, absurde souvent  ( envoyer des quatre quarts en Somalie). Sauf qu'il est interdit de contester l'action parce qu'alors on vous reproche de contester l'intention (Quoi? tu ne veux pas faire un quatre quart, tu ne veux pas sauver le tiers monde?)

Or non, l'intention la plus louable ne justifie pas toujours l'action : Protéger ses biens par exemple ne justifie pas d'enfermer une ville entière dans une forteresse, ni de tuer tous ceux qui vous agressent...

2- Sur prégnance du visuel et de l'émotif sur le discours et sur le sens:

Vous pouvez passer des heures à expliquer une action, un choix rationnel, si ceux qui vous contestent sortent une photo d'enfant d'enfant qui pleure, à cause plus ou moins directement de votre choix, vous êtes mort.
La qualité réelle de votre choix est alors réduite à néant et c'est à vous de pleurer car vous n'avez pas d'arme: l'émotif et le visuel sont les armes ultimes et elles peuvent tout justifier, ce qui, quand on sait maintenant tout ce qu'on peut faire avec des photos... fait souvent froid dans le dos.

3- Sur valorisation de la parole individuelle

Télé-réalité, internet et médias interactifs ont ouvert la boite de pandore et elle n'est pas prête de se refermer... Chacun estime comme un droit de donner son avis sur tout, sans recul, sans analyse, brut de brut.
Le pire c'est que personne ne conteste le populisme qu'il y a à faire croire pour les journaux que "votre avis nous intéresse" parce que c'est faux. D'ailleurs les médias dits interactifs ne le sont pas. La preuve en est que lorsqu'on réagit à un article, jamais le journaliste n'intervient à nouveau pour vous répondre et commenter à son tour et recadrer... Les journaux sous couvert "d'interactivité" ont simplement ouvert des défouloirs, où chaque clampin voit sa parole exposé quasiment à égalité avec celle du journaliste. On n'est donc plus dans le débat mais dans la basse flatterie, chaque jour, "votre avis nous intéresse".

4- Mis à plat de toutes les paroles:

Conséquence logique, la hiérarchisation des paroles (au moins entre la parole professionnelle et la parole spontanée) est devenu impossible, inentendable. Le clampin, tout regorgé de la gloire énorme de donner son avis tout le temps et partout n'a plus de limite et surtout devient incapable de repérer deux niveaux de paroles, notamment entre parole professionnelle (objectif) et témoignage ( subjectif).

Pas plus tard que ce matin à la radio une gourdasse quelconque s'est permise d'interpeller vivement un professeur de pneumologie "Quoi? vous dites que le vaccin est sans danger mais moi juste après le vaccin MOIIIII j'ai été le malade alors c'est bien la preuve que vous dites n'importe quoi..."

Pouic, pouic, pouic...

5- Sacralisation morbide de l'enfance

Là je n'en peux plus: l'enfant, l'enfance me semblent devenus l'ultime divinité; le dernier intouchable...Les besoins de l'enfant sont des impondérables et reste aux adultes de vivre autour... Pire, l'enfant est devenu l'arme ultime de censure avec le fameux "et si mes enfants tombent dessus" (alors que "si tes enfants tombent dessus" c'est que tu es c*** et que tu ne sais pas poser un interdit) et cette pensée absurde, ultime argument de la réaction est devenu absolument sans appel... Si un enfant ne peut pas le faire alors on n'a pas le droit de le faire, si un enfant ne peut pas voir ce que vous faites alors vous n'avez pas le droit de faire... mais où va ton ma bonne dame?

Le pire dans tout ça c'est qu'on ne se confronte même pas forcement à l'enfance réelle et à ses blessures potentielles mais plutôt à l'idée que se font les adultes de l'enfance et de ses blessures potentielles. Or pour beaucoup d'adultes les enfants doivent vivre dans un monde lapinous roses et de bisounours donc les adultes autour, aussi. De gré ou de force.

Par exemple, en troisième je pense que les ados d'aujourd'hui ont une idée de l'homosexualité et ne sont plus vraiment "choqués" (amusés, lourdingue, rejetant peut être mais pas "choqués") par elle. Faites leurs étudier un texte sur l'homosexualité et vous avez 30 parents dans la classe au cri de "on perverti nos enfants", de qui parlent-ils alors?

6- Culpabilité parentale:

Cqfd, une fois qu'on a viré toutes les figures référentes car "douteuses" (l'instit (incompétent) , le prêtre (pédophile), le médecin (nul et à la botte des labos) etc...), une fois qu'on s'est bien mis dans le crane qu'on est seul possesseur d'une vérité intéressante à formuler tout le temps et qu'enfin, comme l'intention justifie l'action, vouloir le bien de son enfant suffit à aller sur le bon chemin.... Et bien les parents sont terriblement seuls face à la pression qu'ils se mettent tout seul, et qui dit culpabilité dit agressivité bien sûr... Et là on parle de culpabilité énorme puisqu'on parle de la différence entre l'idéal de l'enfance qu'ils ont en tête et l'enfant réel qu'ils ont devant eux (quoi avec tout ce que j'ai fait (tout seul sans l'aide de personne!!!) mon enfant n'est pas avocat ou médecin, il n'est pas premier en sport et en littérature comparée, il n'est pas premier à la crèche??? RRaaaaah mon dieu mais pourquoiiiiiiii ???? Et surtout que personne ne me le diiiiise et que personne ne dise que c'est ma faute!!!!).

...

...

Sans rire, maintenant c'est simple : quand je vois une femme avec une poussette, je m'écarte...

7- difficulté d'accès à la pensée complexe

Bon là j'assume ce que je vais dire. Je ne sais pas vous mais moi j'ai vraiment l'impression que plus ça va, plus les phrases à deux propositions (tu prendras le train si tu arrives à l'heure - 2 propositions) (vous devez vous faire vacciner si vous faites partie d'une population à risque- 2 propositions encore) sont de moins en moins comprises... Le flou, la demi teinte, la polysémie sont insupportables au plus grand nombre...

Et je ne peux m'empêcher de faire un lien avec les médias ou justement ces temps là sont interdits : dans les médias, on est pour ou on est contre, on fait le bien et on est totalement bien ou on fait le mal et on est totalement mal (à lire par exemple les débat hallucinants sur Céline et Cantat : des salauds peuvent ils être des artistes intéressants ? Est il immoral d'aimer leurs prose?) . Je ne sais pas, c'est comme si cette pensée binaire avait fini par imprégner les cerveaux, les réponses données aux questions me semblent de plus en plus simplistes, banales, manichéennes, rabâchées... autour des mêmes postulats...

A l'arrivée et pour conclure la fusion de tous ces faits là donne ses plus beaux fruits à l'école, ou régulièrement (je connais pas mal de profs...) les parents remettent en cause la parole du prof, s'estimant plus à même que lui pour juger ce qui bien et ce qui est entendable, mûs intimement par la folie de croire que son avis et toujours valable et surtout que l'intention (vouloir le meilleur pour son gosse) justifie toujours l'action (engueuler le prof qui l'a puni...) .

Idem à l'hôpital d'ailleurs où "j'ai lu sur internet" + "je veux que mon fils guérisse" =  "j'en sais plus que vous tous réuni bande de nazes et vous allez faire ce que je vous dit et MAINTENANT"

..

...

J'en ai parlé avec des amis l'autre soir et ils sont plutôt d'accord avec moi (c'est pourquoi je tente avec vous)...

On n'a trouvé cependant qu'une seule conclusion possible :

"Et ben, on n'est pas sortis du lac..."

;)))


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