METISSAGE DES LIEUX.
Quand j’étais petite, les lieux me rendaient triste. J’avais l’impression qu’aucun d’eux n’était fait pour moi.
Je n’y étais toujours qu’en état de grand écart : pour moitié en ici, et pour moitié ailleurs.
J’étais toujours à cheval entre deux réalités, celle de l’environnement familial, des souvenirs d’autres lieux, qui me maintenait captive, et celle de l’environnement plus large, où je n’osais jamais vraiment me poser, me tenir, assurer ma prise.
Il en résultait une sensation permanente de décalage, de porte à faux qui avait quelque chose d’éminemment étrange.
Je me demande maintenant si ce n’est pas cela qui me précipita dans les mots…dans une sorte de pays immatériel, imaginaire, qui survolait tout le reste.
Lire. Ecrire. Peindre. Photographier.
Cela n’avait pas de pays.
Cela se nourrissait à la fois de passé, de présent et d’avenir.
Cela me soustrayait à mes impressions confuses d’arrachement, à mes problèmes identitaires.
Cela m’aidait à traverser tous les ponts du déracinement chronique. A enjamber toutes les ravines qui me séparaient de moi-même et des diverses versions de moi-même.
Par l’écriture, je me réappropriais l’épaisseur des lieux , leur mystère. Je jetais un grappin qui se plantait dans la présence, la chair du présent. J’arrivais enfin à me convaincre que j’existais bel et bien.
Cela devint ma façon de répondre au flou, au problème de place légitime.
L’écriture me fraya un chemin, me tissa un fil qui se mit à serpenter au travers des innombrables patchworks incertains , indécidables de mon être.
Et, avec le temps, le fil s’étoffa, se mua en colonne vertébrale !