Et voici le début de ma lecture du nouveau concept stratégique de l'Alliance.
Tout chaud sorti du four!
O. Kempf
Organisation du document
Le concept de 1991 comptait quatre parties et 60 articles, celui de 1999 quatre parties et 65 articles : le nouveau concept détonne car s’il y a cinq parties, il ne compte plus que 38 articles.
Les cinq parties s’intitulent : Tâches et principes fondamentaux, L’environnement de sécurité, La défense et la dissuasion, La sécurité par la gestion de crise, Promouvoir la sécurité internationale par la coopération (avec cinq sous-parties : La maîtrise des armements, le désarmement et la non-prolifération, La porte ouverte, Les partenariats, La réforme et la transformation).
Auparavant, les concepts s’organisaient différemment : par exemple, celui de 1991 avait une partie sur le contexte stratégique, une autre sur les objectifs et fonctions de sécurité de l’alliance, une sur une conception large de la sécurité (qui reprenait une vision plus politique et ouvrait la voie aux partenariats) et des orientations pour la défense (comment organiser l’outil).
On remarque ainsi l’effort de sobriété, mais aussi une volonté d’innovation. Toutefois, donner des tâches et missions avant d’évoquer l’environnement paraît curieux. Cette impression est toutefois amendée par la partie « défense et dissuasion » qui correspond aux fonctions de sécurité de l’alliance. Les deux dernières parties sont déséquilibrées : cinq articles pour l’une, douze pour l’autre.
SI enfin il n’y avait à lire qu’un extrait de ce concept, le préambule y suffirait puisqu’il énonce les principes décrits par le texte : affirmation de la défense commune, gestion de crise, partenariats multiples, alliance nucléaire, porte ouverte et enfin réforme sont les six mots clefs qui structurent le concept.
Première partie : les « Tâches et principes fondamentaux »
Les principes réaffirment la « communauté de valeurs » qui sont rappelées : liberté individuelle, de la démocratie, des droits de l'homme et de l’état de droit, avec une citation de la charte des Nations Unies. L’engagement transatlantique se traduit par trois tâches essentielles : la défense commune (celle de l’article 5) qui est rappelée pour rassurer les pays d’Europe centrale et orientale, qui ont rejoint l’Alliance à partir de 2002 et n’avaient donc pas participé à l’écriture du précédent concept ; la gestion de crise et la stabilisation, pour rappeler les nombreuses missions opérationnelles conduites par l’alliance depuis vingt ans ; enfin, une notion nouvelle, celle de sécurité coopérative qui s’inscrit dans le cadre plus politique de la sécurité internationale. Enfin, cette partie évoque la fonction de « forum transatlantique », en citant expressément l’article 4 du traité, souvent omis.
Ainsi, le discours est classique, hormis l’innovation de la sécurité coopérative dont il faudra examiner les effets pour savoir s’il ne s’agit que d’une invention sémantique ou de quelque chose de plus profond.
Deuxième partie : L’environnement de sécurité
L’article 8 mérite l’attention : « la menace conventionnelle ne peut être ignorée. Beaucoup de régions et de pays du monde se sont lancés dans l’acquisition d’importantes capacités militaires modernes » : on pense bien sûr à la course aux armements qui a lieu en Asie, mais la région est fort éloignée de la zone du traité. C’est pourquoi le texte précise aussitôt : « Il s'agit notamment de la prolifération des missiles balistiques, qui représentent une menace réelle et croissante pour la zone euro atlantique » : on notera que cette menace balistique est ici présentée comme « conventionnelle », et donc non liée au nucléaire, non plus qu’aux autres armes à effet de masse. Cela mérite d’être noté alors que chacun lie habituellement la question des missiles à celle du nucléaire (voir le débat sur la complémentarité de la DAMB et du nucléaire).
D’ailleurs, l’article 9 vient aussitôt effectuer cette liaison : « La prolifération des armes nucléaires, d’autres armes de destruction massive et de leurs vecteurs » etc. On notera qu’heureusement, le texte distingue le nucléaire des autres ADM (que j’appelle AEM, cf. mon livre p. 446 sqq.) et que surtout il évoque les « vecteurs » qui sont soit des missiles, soit des bombes lancées (artillerie) ou portées (avion).
Suivent des paragraphes attendus sur le terrorisme, l’instabilité au-delà des frontières (manière de justifier l’intervention en Afghanistan), les cyberattaques. Plus novateurs sont les articles 13 à 15 qui évoquent la protection des voies de communication et de transport (ce qui paraît plus solide que la notion de « sécurité énergétique » qui était avancée il y a quelques années), les nouvelles tendances technologiques (« armes laser, des techniques de guerre électronique et des technologies limitant l'accès à l'espace ») et enfin « des contraintes majeures en termes d’environnement et de ressources » : les formules qui ont été trouvées, ainsi que leur sobriété sont heureuses et, à mon goût, convaincantes (le lecteur habitué y retrouvera, pour partie, mon propos sur la géopolitique des ressources).
Troisième partie : La défense et la dissuasion
Cette partie commence par citer l’article 5 du traité, pour préciser que « l’Alliance ne considère aucun pays tiers comme son adversaire ». La nature nucléaire de l’alliance est également précisée : « La dissuasion, articulée autour d’une combinaison appropriée de capacités nucléaires et conventionnelles, demeure un élément central (...) Aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire ». Qu’on ne s’y trompe pas : l’association du nucléaire à l’article 5 n’est pas l’effet du hasard, mais rappelle la nature profonde de l’Alliance et le parapluie américain : ces deux articles, n’en déplaise à certains, étaient principalement réclamés par les pays de l’Est, et pas seulement par la France comme les observateurs parisiens l’ont trop souvent cru. D’ailleurs, les armes américaines sont nommément citées, tandis que « les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume-Uni et de la France » ce qui est de doctrine constante depuis les accords d’Ottawa en 1974, qui consacraient l’autonomie de la dissuasion française. Là encore, rien de bien nouveau, mais le rappel de fondements que le nouvel environnement ne modifie pas, même si les autres modalités d’action de l’alliance ont pu, elles, changer. L’alliance existe, d’abord, par le nucléaire.
Les articles suivantes peuvent alors décrire les autres façons de mettre en œuvre le dispositif de défense : des forces conventionnelles, la capacité à conduire plusieurs opérations simultanément, la projection de forces (avec mention de la NRF, qui entre ainsi dans le concept, ce qui la consacre), les entraînements et la planification de circonstance, la planification de défense, la défense antimissile, la défense contre les armes NRBC, la cyberdéfense, la détection du terrorisme international, la contribution à la « sécurité énergétique » (qui revient donc par la fenêtre alors qu’on l’avait évacuée par la porte), l’examen des technologies émergentes, enfin des budgets de défense au niveau approprié. On le voit, des choses classiques et des innovations ( DAMB, cyber, sécurité énergétique). La conclusion sur les budgets de défense est importante, car elle traduit l’inquiétude américaine devant le désarmement moral et surtout financier de l’Europe.
(à suivre)
O. Kempf