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Nussbaum, entre l’expressionnisme et la nouvelle réalité

Publié le 22 novembre 2010 par Les Lettres Françaises

Nussbaum, entre l’expressionnisme et la nouvelle réalité

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Félix Nussbaum et sa femme Felka sont cachés par des amis dans les Ardennes. Quand il le peut, il peint dans le sous-sol de la maison. Dénoncés, ils sont envoyés à Auschwitz depuis le camp des Malines, en Belgique. Le convoi nº XXVI/284 part le 20 juin et arrive au camp de la mort le 2 août. Après, plus rien. Felix Nussbaum avait tout juste quarante ans.

Fils d’un prospère quincaillier et peintre amateur, Felix Nussbaum passe son enfance dans une petite ville de la Basse-Saxe. Il part pour Hambourg en 1922 pour étudier la peinture et, l’année suivante, il est à Berlin. Sa première passion est Van Gogh. Mais ses premières peintures ont de la retenue, même s’il démontre aussitôt une originalité dans le style et la composition comme le montrent ses Entrepôts, achevés en 1926. Son Paysage avec montgolfière (1928) révèle son désir de rester fidèle à une relation avec la réalité, mais qui n’exclut ni une singularité de traitement du sujet ni une liberté dans le choix des harmonies chromatiques. Les années qui suivent, il est proche de la Neue Sachlichkeit et de l’esprit du Novecento italien (il n’est que de voir son Portrait de groupe, de 1930). Mais dès qu’il aborde des thèmes liés à ses origines ou à sa vie personnelle (le Peintre dans l’atelier, 1931), il fait preuve d’une liberté expressive plus grande. Il entreprend un voyage en Italie grâce au grand prix de l’Académie prussienne : il séjourne à la villa Massimo de Rome d’octobre 1932 à mars 1933. Il a un rapport singulier avec la Ville éternelle : « Tout m’y est apparu tellement artificiel, archéologique, irréel. » Sa peinture traduit ce sentiment, qui prend une tournure à la fois mélancolique (on pense un peu à Sironi) et à la metafisca de Chirico dans Narcisse 2 (1932) ou Destruction 2 (1933). Mais Nussbaum n’en conserve pas moins un mode d’expression qui lui est propre. En réalité, il ne cesse de changer d’état d’esprit et ne se laisse pas enfermer dans une formule. Le masque qu’il porte dans l’Autoportrait de 1928 et qui sort tout droit de l’univers d’Ensor se retrouve dans Masques et Chat (1935), mais dans un autre esprit pictural. Toujours lui-même et toujours un peu un autre, il est volontairement inclassable. Son obsession pour le travestissement et le double (il n’est que de voir son Autoportrait avec son frère, 1937, l’Autoportrait dans l’atelier, 1938) pour comprendre qu’il traduit dans son art la situation qu’il connaît : mis au ban de la société allemande, parti en exil à Paris avec son épouse en 1935, puis à Ostende, il poursuit une oeuvre qui manifeste le désespoir et l’angoisse, mais toujours avec cette singularité qui rend son langage si prenant : le Réfugié 1 (1939) présente un globe terrestre posé sur une table blanche dans une chambre immense et vide où un homme est assis et prostré. La perspective accélérée et la bizarrerie de la mise en scène en font un ouvrage superbe et frappant. Le Joueur d’orgue de barbarie (1943), les Damnés (1943) et l’incroyable Triomphe de la mort (1944) sont des chefs-d’oeuvre où il représente avec une rare puissance son drame et le drame du monde en guerre.

Gérard-Georges Lemaire

« Félix Nussbaum », musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, jusqu’au 23 janvier 2011. Catalogue Skira Flammarion, 192 pages, 30 euros.

Novembre 2010 – N°76



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