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Le 24 janvier, journée "hôpital mort" ! Pourquoi ?

Publié le 10 janvier 2008 par Christophe Laurent
  Dans un peu moins d’un mois, précisément le 24 janvier l’ensemble des organisations syndicales à l’hôpital ont appelé à une journée « hôpital mort ». Alors que les syndicats d'urgentistes et d'anesthésistes en grève ont menacé en début de semaine de durcir leur mouvement via une grève des soins non urgents le 17 janvier, il apparaît utile de revenir sur le contexte de l’hôpital qui de l’extérieur n’est pas toujours explicite mais qui vu de l'intérieur semble de plus en plus chaotique. Pour exposer les contradictions qui secouent l’hôpital, le mieux est de se référer à une lettre de mission en date du 12 octobre 2007, de Nicolas Sarkozy par laquelle il donnait mission à Gérard Larcher consistant à présider une commission de concertation sur le thème de l’hôpital  en vue d’un « réexamen approfondi de ses missions avec un double objectif de qualité des soins et d’optimisation des moyens ».   S’agit-il d’une réelle concertation ou d’une démarche participative dans sa forme mais dont le fond serait déjà largement tracé d’avance ? A la lecture de la lettre de mission du président de la République, on s’aperçoit que les axes, sinon les objectifs, sont clairement définis et qu’en tout état de cause le double objectif susmentionné parait largement contradictoire :    « Les complémentarités avec tous les acteurs de l’offre de soins doivent être renforcées » notamment « avec les professionnels de santé libéraux, pour désengorger les urgences de l’hôpital. » Commentaire : il s’agit là d’un véritable défi pour l’organisation des soins en France qui devrait être organisée autour du patient. En effet, comment faire en sorte que l’hôpital sorte de sa logique « hospitalo-centriste » ? Comment faire en sorte que la médecine de ville accepte de mieux collaborer aux missions de service public que constitue en réalité la prise en charge des soins ? On peut se demander si d’emblée la volonté courageuse ainsi affichée n’est pas tronquée par les limites même de la compétence de la mission et des travaux de la conférence qui ne porte sur le seul hôpital.   « pour un territoire donné, une appréhension globale des atouts de chacun des établissements publics et privés que les soins doivent être organisés, et certaines fonctions mutualisées. » Commentaire : On comprend d’emblée que l’objectif principal est fixé par la mutualisation des fonctions et donc des moyens, tant pour le domaine public que privé. Toute la question, pour les patients lesquels ont droit à un égal accès aux soins, est de savoir si les préconisations se feront de manière à maintenir un juste équilibre entre le secteur public et le secteur privé. A défaut, le risque est grand que la restructuration de notre système hospitalier ne favorise encore une fois les catégories de la population les plus favorisées au détriment des autres.   « Le développement de l’hospitalisation à domicile et l’articulation entre l’hôpital et la ville, seront dans les prochaines années des leviers incontournables de la qualité des prises en charge » Commentaire : L’objectif est certes louable et correspond de toute évidence à une modernisation de la prise en charge des pathologies compte tenu d’une part de l’attente des patients qui ne souhaitent pas forcément rester à l’hôpital [qui le souhaite vraiment ?]. Cependant, en premier lieu, la motivation de cet objectif clairement affichée dans la lettre de mission [« la diminution des durées moyennes de séjour et l’accélération des cycles d’hospitalisation »] doit être expliquée au grand public. Ces deux aspects de l’organisation hospitalière s’explique à titre principal d’une part, dans les hôpitaux publics, par l’effet de la rationalisation des coûts et d’autre part, dans les hôpitaux privés à but lucratif, par la recherche de l’augmentation régulière des profits comme dans toute entreprise. En second lieu, il faut également savoir que pour réaliser cet objectif tout en garantissant une « qualité des soins », cela nécessite des moyens et donc de l’argent. Or, la logique qui sous-tend cet objectif est encore une fois de faire des économies sur les dépenses de l’hôpital. Cela semble manifestement contradictoire.   « L’amélioration des prises en charge ne se fera pas sans une gouvernance réaffirmée. » Commentaire : Cet objectif concerne a priori de toute évidence le seul secteur public dans la mesure où l’éternelle question « y a-t-il un pilote à l’hôpital ? » ne se pose pas de la même manière pour les hôpitaux privés. La lecture de la lettre de mission le confirme d’ailleurs et révèle les vrais objectifs de la mission à Gérard Larcher « la restructuration de l’hospitalisation publique, déjà engagée, devra être accélérée. ». Seulement, on avance là aussi sur des faux semblants. On réaffirme d’un côté la « plus grande autonomie de gestion » des directeurs lesquels devront « être responsabilisés sur leur capacité à répondre aux besoins de la population d’un territoire » [et en tant que directeur d’hôpital moi-même, je ne peux que la trouver légitime]. On oublie de dire d’un autre côté que depuis plus de dix ou quinze ans les gouvernements successifs ont tous réaffirmé haut et fort à grand coup de textes réglementaires cette « autonomie » alors que dans le même temps, la réalité de l’organisation hospitalière, de la tarification et du financement des établissements a conduit ceux-ci à perdre tout autonomie et ce pour deux motifs faciles à comprendre : d’une part les modalités d’autorisation des installations coûteuses et des activités par discipline de plus en plus contraignante et d’autre part l’amenuisement des ressources propres en investissement des établissements les conduisant à devoir emprunter [et donc à obtenir l’aval du ministère de la santé via l’échelon régional pour pouvoir emprunter]. Cette situation conduit de manière inexorable les hôpitaux publics à devoir être gérés comme les établissements dépendant de l’éducation nationale dont je ne suis pas certain qu’il s’agisse là du meilleur exemple de bonne gestion !   En matière de ressources humaines « faire émerger les conditions de l’attractivité de l’hôpital » notamment « pour la réalisation de l’activité privée à l’hôpital » et par « le développement de l’exercice mixte et les partenariats public-privé »  Commentaire : l’ambiguïté des propos frôle ici la provocation. En tant qu’ancien directeur des ressources humaines, je peux répondre de suite que pour être attractif, un employeur doit garantir à ses salariés des conditions [tant financières qu’organisationnelles] attrayantes. Or manifestement, l’hôpital n’offre ni l’un ni l’autre. Et je ne vois pas comment cet objectif sera réalisé dans un contexte où le personnel ne peut qu’accumuler des jours RTT en s’entendant dire dans les négociations nationales actuelles que l’on peut peut-être espérer en être indemnisé « partiellement ». Cela veut-il dire que les personnels auraient travaillaient gratuitement pour partie de leur temps ? Je n’ose imaginer ce qu’il adviendrait si, au même moment, l’ensemble des personnels hospitaliers qui ont accumulé des millions de jours RTT écrivait à leur employeur et demandait soit le solde financier des ces jours soit de partir en congés payés comme ils en auraient le droit ! Mais çà serait la banqueroute ! On comprend mieux la farouche volonté du ministre de la santé à rassurer les personnels hospitaliers. La ministre de la Santé a ainsi que les 700 millions d'euros qu'elle a prévu d'affecter au paiement de ces heures supplémentaires étaient « disponibles, sanctuarisés ». « C'est une somme vérifiable », insiste-t-elle pour « rassurer les personnels ». Aurait-elle peur de l’impact d’une perte de confiance ? Alors, oui je décrypte mieux l’indication du président de la République qui montre au président de la commission, comme le ferait un maître vis-à-vis à de son élève, la résolution du problème de l’attractivité en développant « l’exercice mixte et les partenariats public-privé ». Mais là encore, ce qui n’est pas écrit, et pour cause, c’est en faveur de qui se fera ce développement.   « en matière de recherche biomédicale (…) les centres hospitaliers et universitaires » devront « se repositionner dans les domaines de l’enseignement et de la recherche » pour autant « l’enseignement et la recherche ne pourront rester l’apanage des CHU » Commentaire : est-ce à dire que les CHU devront renoncer à leur rôle de proximité, ce que nous appelons dans le jargon la bobologie mais qu’il faut bien prendre en charge ? Les circonstances de la mort dans la nuit de la Saint-sylvestre d’un homme hémiplégique à son domicile à Brest avec une heure et demi de délai pour que le médecin urgentiste puisse parvenir sur les lieux risquent de compliquer sérieusement cet objectif.   Le dossier de la conférence de presse en date du 21 décembre de la commission Larcher d’ailleurs disponible sur le site du ministère de la santé (mais il faut bien chargé!) permet lui aussi de décrypter ces contradictions. En effet, si il met en avant que « l’existence d’un service hospitalier public et privé de qualité constitue pour notre pays un atout important sur le plan économique et social et un facteur d’attractivité » bénéficiant d’une « grande confiance de la part de la population » c’est aussitôt pour indiquer « système est toutefois assez coûteux », que » ceci s’explique par « l’organisation de notre système de santé : une large couverture par l’assurance maladie, un libre choix du patient, un cadre libéral de l’exercice de la médecine de ville, ainsi que des normes exigeantes en matière de sécurité. » C’est aussi pour indiquer que le nombre de lits d’hospitalisation en France ou la densité médicale y sont plus élevés qu’ailleurs.   La lecture abrupte de ces phrases doit froid dans le dos notamment si on en renverse la logique. Pour que notre système de santé se rapproche de la moyenne des pays de l’OCDE en terme de coût, faudra-t-il limiter la couverture de l’assurance maladie au détriment de quelle catégorie de population (la mise en place des franchises semble avoir donner le sens …), faudra-t-il restreindre le libre choix du patient (mais alors comment faire pour garantir le droit à l’accès à des soins de qualité quelque soit son lieu d’habitation et sa condition sociale ?), faudra-t-il convenir que le cadre libéral de l’exercice de la medecine de ville pèse sur la mission de service public que constitue la prise en charge des soins (n’oublions pas qu’une partie non négligeable de la représentation nationale sont médecins de formation et de métier et constitue de fait un puissant lobby), faudra-t-il revenir sur l’application rigoureuse de normes de sécurité (dont on s’aperçoit tout de même au vu de l’actualité sur les risques sanitaires notamment dans les disciplines les plus exigeantes, médecine nucléaire par exemple, que tout n’est pas non plus parfait).   Nul doute que les conclusions de la commission Larcher sont attendues avec impatience par le monde hospitalier.

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