Dans l’article précédent, nous avions abordé la situation actuelle du monde de l’entreprise et de ses collaborateurs avec les fameuses « injonctions paradoxales ». En fin de papier, nous avions conclu que « tous ces éléments démontrent les liens de cause à effet, entre le travail et la santé des salariés. Dans ce papier, nous nous interrogerons si certaines formes d’organisation du travail entraînent plus d’impacts négatifs en termes de santé de travail ? »
A partir d’une étude portant sur deux mille cinq cent entreprises françaises de plus de vingt salariés du secteur marchand non agricole, le Centre d’Etudes et de l’Emploi (CEE) a publié un rapport de recherche intitulé Formes d’organisation du travail et relations de travail (2008).
Les chercheurs ont utilisé quatorze variables :
Autonomie dans le travail Autonomie procédurale : c’est l’accomplissement du travail : Par la fixation d’objectifs globaux
Par une description des tâches précises à exécuter
Autonomie événementielle : En cas d’incidents : Encouragements des salariés à régler d’abord eux-mêmes les problèmes
A en référer à la hiérarchie.
Contrôle du travail Type de contrôle : Par la hiérarchie supérieure
La hiérarchie intermédiaire
Autres types
Fréquence du contrôle : Permanente
Intermittente
Occasionnelle
Rotation des tâches Passage d’un poste à l’autre au cours du travail : Pour une majorité de salariés
Pour une minorité de salariés
Pour aucun salarié
Travail en équipe En équipes autonomes de production : Selon le pourcentage de salariés concernés.
En groupes de qualité, groupes de résolution de problèmes : Selon le pourcentage de salariés concernés.
En groupe de travail pluridisciplinaire ou équipes de projet : Selon le pourcentage de salariés concernés.
Travail en juste à temps Le juste à temps Avec les fournisseurs
Le juste à temps avec les clients Avec les clients
Dispositif de raccourcissement de la ligne hiérarchique
Démarche de qualité totale
Communication dans le travail Coopération horizontale dans le travail : Encouragements à coopérer directement entre services différents ou non, ou sans objet
Réunions régulières de travail : Réunions régulières d’atelier, de bureau, de service… selon le % de salariés concernés
Selon les travaux d’Edward Lorenz et Antoine Valeyre (2005), sur la base des données de l’enquête européenne sur les conditions de travail en 2000 et en référence à des modèles couramment décrits dans la littérature sur les modes d’organisation du travail, quatre formes d’organisations sont précisées :
1. Les organisations apprenantes (37 %) : Peter Senge (1991) les définit comme étant des « entités adaptatives, conscientes de ses erreurs passées et sans cesse capable de se transformer ». Les salariés des organisations apprenantes :
- Disposent d’une large autonomie dans le travail ;
- Auto-contrôlent en partie la qualité de leur travail ou font contrôler leur travail par le management intermédiaire ;
- Sont nombreux à travailler en équipe ;
- « Rencontrent fréquemment des situations d’apprentissage et de résolution de problèmes imprévus » et suivent de nombreuses formations continues .
2. Les organisations en lean production (25 %). Présenté comme « le système qui va changer le monde » (Womack J at al., 1992), le système de production au plus juste, mis au point par le constructeur automobile japonais Toyota, a été qualifié de lean manufacturing par le Massachusetts Institute of Technology (MIT). Les organisations en lean production se caractérisent par :
- Une gestion de la production en juste à temps ;
- Un travail en groupes (équipes autonomes de production, cercles de qualité ou groupes de résolution, groupes pluridisciplinaires ou par équipes de projets) ;
- Une rotation des tâches qui demande la polyvalence des salariés ;
- Une gestion de la qualité qui nécessite l’autocontrôle de la qualité et le respect de normes de qualité précise ;
- Une communication dans le travail par des coopérations horizontales et des réunions régulières ;
- Une marge d’autonomie plus faible, que dans les organisations apprenantes, qualifiée d’autonomie contrôlée par Béatrice Appay (2005) ;
- Des multiples contraintes de rythme.
3. Les organisations tayloriennes (24 %) se caractérisent par :
- Une faible autonomie donnée aux salariés dans leur travail ;
- Des contraintes de rythme de travail ;
- Des tâches répétitives et monotones ;
- Le respect de normes de qualité précises ;
- Un niveau élevé de contrôle du travail pratiqué le plus souvent par le management intermédiaire.
4. Les organisations de structure simple (14 %) sont décrites dans l’ouvrage Structure et dynamique des organisations de Henry Mintzberg (1998, 440 p.). Ces organisations se caractérisent par :
- Une faible diffusion du travail en équipe ;
- Un travail relativement monotone et à faible contenu cognitif ;
- Un travail peu répétitif ;
- Une rotation des tâches ;
- Un rythme de travail peu contraint ;
- Une gestion de la qualité ;
- Une faible formalisation des procédures ;
- Un mode de contrôle par supervision directe souvent effectué par le sommet hiérarchique.