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La cheminée humaine

Publié le 24 novembre 2010 par Corboland78

S’il en est dont on découvre la présence par hasard, par un concours de circonstances, d’autres vous sautent aux yeux immédiatement. Lui, dont je ne connais pas le nom et même, le saurais-je, je le tairais par respect de l’anonymat, dès le premier jour je l’ai repéré.

Je le croise régulièrement quand je vais faire mes courses chez Carrefour Market car nous avons les mêmes horaires, c'est-à-dire assez tôt le matin peu après l’ouverture du magasin. Il se déplace toujours assez rapidement mais, handicapé, il projette sa jambe droite vers l’avant plus qu’il ne marche. Parfois je me demande s’il ne court pas après cette jambe qui semble bien pressée d’en finir, fatiguée de trotter peut-être et comme un cheval sentant l’écurie proche, hâte le pas pour rentrer au bercail. Néanmoins, il se déplace sans autre problème particulier si ce n’est cette démarche qui attire le regard et rappelle vaguement le personnage du Docteur Folamour joué par Peter Sellers dans le film éponyme de Stanley Kubrick.

Ce n’est pas non plus le seul trait remarquable de ce passant affairé, avec lui c’est un peu la tête et les jambes. Les gambettes nous en avons fait le tour, reste la tête affublée d’un tic brutal qui l’oblige à la rejeter en arrière ou sur le côté, presque à chaque pas. Résumons, il marche vite avec une jambe qui semble vouloir quitter l’attelage et la tête qui paraît vouloir entraîner l’équipage dans une autre direction. La mécanique donne l’impression d’être bien désordonnée, pourtant l’un dans l’autre, tous les membres suivent la même route et gagnent le port groupés, ce qui est le moins qu’il puisse espérer j’imagine.  

Vous me direz, tout cela est bel et bien mais quel est le rapport avec le titre de ce billet ? Satisfait de constater que vous lisez attentivement mes écrits, j’y arrive dès à présent. Si le personnage est déjà remarquable par son allure, encore que personne à mon idée n’ose l’examiner de trop près car son regard que j’ai eu l’occasion de croiser par mégarde vous cloue d’une fixité sévère autant que terrifiante, et qu’en hiver il porte un bonnet en laine bleu haut et pointu d’un effet comique irrésistible sur tout autre, ce n’est pas ce point qui me l’a fait repérer. C’est qu’il fume.

Et quand je dis qu’il fume, je ne mégote pas car je ne pense pas qu’il soit techniquement possible de fumer plus que lui. Il a toujours, absolument toujours, une cigarette à la main. Tenue entre le majeur et l’annulaire, le coude près du corps, il la tète goulûment sans arrêt si ce n’est pour aspirer une goulée d’air pour respirer. Comme il est interdit de cloper dans le magasin Carrefour, il patiente devant la vitrine de Bricolex qu’il scrute de son air mal aimable, le temps d’avoir fumé sa cigarette et quand il attaque le filtre il se décide à entrer faire ses courses. A peine ressorti, il allume une nouvelle tige et repart au pas d’une charge bringuebalante laissant dans son sillage un épais nuage de fumée malodorant de tabac brun. De loin, on dirait une locomotive anthropomorphe comme dans les dessins animés, cahotante et roulant des mécaniques sur ses rails gondolés, dégageant de longs jets de fumée.     

Je le croise parfois aussi dans le quartier, ou bien l’aperçois de ma fenêtre, et toujours cramponné à sa cigarette pompée convulsivement, il va ou revient de son pas tressautant. 


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