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L’antimatière mise en boite au CERN

Publié le 23 novembre 2010 par Benjamin Bradu

La semaine dernière, l’expérience ALPHA du CERN annonçait avoir pour la première fois « piégé » de l’antimatière, mais au fait, c’est quoi l’antimatière ?

alpha antimatter

Atomes d’anti-hydrogènes non capturés s’annihilant sur la surface interne du piège ALPHA au CERN le 10 Novembre 2010. © CERN.


Un peu d’histoire

Jusqu’en 1930, le monde des physiciens était exclusivement fait de matière. Cette matière était composée de petites « briques élémentaires » appelées particules et portant des noms étranges comme électrons, photons ou protons (voir mon billet sur le bestiaire des particules pour plus de détails).

C’est alors que le physicien Paul Dirac, pour résoudre une équation de physique, postulat qu’il devait exister une autre particule, identique à l’électron, mais ayant une charge électrique opposée. En effet, l’électron a une charge électrique négative, alors que l’équation de Dirac possède une solution supplémentaire correspondant à une « particule jumelle » positive. Cette nouvelle particule hypothétique fut baptisée positron (plus tard renommée antiélectron) et fut découverte rapidement en 1932 en analysant les rayons cosmiques venant de l’univers.

Dirac

Paul Dirac en 1933, « inventeur » du positron, la première antiparticule


Cette théorie fut ensuite généralisée à toutes les particules que nous connaissons et l’ensemble de ces nouvelles particules furent nommée antimatière. Cependant, il faudra attendre 1955 pour découvrir l’antiproton et 1995 pour créer le premier antiatome au CERN.

Je tiens à préciser à ce sujet que la paternité du positron revient toujours à Paul Dirac alors que Jean Becquerel, le fil d’Henri Becquerel, avait déjà postulé l’existence d’électrons positifs en 1908 dans un article (Jean Becquerel. «Sur les électrons positifs», Radium (Paris) 5, 1908, pp. 193-200).

Matière Vs Antimatière

Ca ressemble à de la matière, ça a le gout de la matière mais ce n’est pas de la matière : c’est de l’antimatière !

Comme on l’a vu, la différence qui caractérise l’antimatière est la charge électrique opposée, ce qui veut dire que si on fait passer une particule et son antiparticule dans un champ magnétique, les 2 particules sont déviées dans des directions opposées. Outre cette propriété, les antiparticules ont la même masse et le même comportement physique que leur homologue de matière.

 

positron-electron

Electrons et positrons sont déviés dans des directions opposées dans un champ magnétique. © Noémie.


Comme les charges sont opposées, matière et antimatière s’attirent mutuellement (les particules positives attirent les particules négatives et vice-versa). Lorsque matière et antimatière se rencontrent, elles se désintègrent pour se transformer en énergie pure selon la célèbre formule d’Einstein E=mc² : la matière est convertie intégralement en énergie sous forme de photons (rayonnement gamma).

Fabriquer de l’antimatière

Pour fabriquer des antiparticules en labo, il « suffit » d’avoir un accélérateur de particules assez puissant. Le fait de projeter des particules accélérées à grande énergie sur des cibles métalliques permet de transformer l’énergie cinétique des particules en couple particule/antiparticule : encore E=mc² mais ici l’énergie se transforme en masse (ce processus est ainsi réversible).

Le problème des physiciens n’est pas de « fabriquer » de l’antimatière mais de la « conserver » pour la manipuler et l’observer. A cause des grandes énergies mise en jeu, les antiparticules créées vont pratiquement à la vitesse de la lumière et si elles rencontrent une particule de matière, elles s’annihilent !

Pour contrer ce problème, il faut littéralement freiner l’antimatière pour pouvoir l’étudier, ce n’est donc plus accélérateur qu’il faut mais un décélérateur ! Le décélérateur du CERN s’appelle AD (antiproton decelerator) et mesure 188 m de circonférence. AD permet de diminuer l’énergie d’antiprotons de 3000 MeV à 5 MeV (leur énergie est divisée par 600), ce qui veut dire que les antiprotons sont ralentit au tiers de la vitesse de la lumière.

Fabriquer des antiatomes

Fabriquer des antiparticules est une chose mais les physiciens veulent aller plus loin pour comprendre l’antimatière et pour cela, il faut fabriquer des antiatomes, c’est-à-dire un antinoyau formé d’antiprotons et d’antineutrons avec des positrons qui tournent autour.

En 1995, le CERN a ainsi créé les premiers atomes d’antihydrogènes (le plus simple des antiatomes, composé d’un antiproton et d’un positron qui tourne autour). Neuf antiatomes ont été créés pendant 40 milliardièmes de seconde avant de se désintégrer. L’exploit a été réitéré par la suite aux USA plusieurs centaines de fois mais ces antiatomes étaient toujours trop volatiles, se désintégrant quasi instantanément et ne permettant aucune étude approfondie.

 

LEAR

Le décélérateur LEAR (Low Energy Antiproton Ring) au CERN ayant fabriqué les premiers antihydrogènes en 1995. © CERN


Pour stabiliser cette antimatière et l’étudier à la loupe, l’idéal serait de la ralentir jusqu’à l’immobiliser (la piéger). Il faut comprendre que plus une particule est énergétique, plus elle est agitée et donc « chaude ». Les physiciens doivent alors refroidir l’antimatière le plus possible. Pour cela, les antiprotons sont envoyés à travers de fines feuilles de métal et à travers des pièges électromagnétiques appelés pièges de Penning. Ainsi, on arrive à refroidir les antiprotons à environs -269°C (4 kelvins). On procède de même avec des positrons et on met l’ensemble (antiprotons + positrons) dans une espèce de bouteille électromagnétique jusqu’à ce que le positron (positif) se mette à tourner autour de l’antiproton (négatif) pour former un antihydrogène. C’est ce que vient de réussir l’expérience ALPHA du CERN. Voir une animation comment attraper un antihydrogène (en anglais).

alpha trap

Piège de l’expérience ALPHA au CERN ayant capturé un antihydrogène. © CERN


Pourquoi étudier l’antimatière ?

Pour étudier l’antimatière, les physiciens étudient de près ce qu’ils appellent la symétrie CPT (Charge-Parité-Temps). Lors d’une réaction particulière sur une particule, cette même réaction doit être observée sur son antiparticule mais de manière symétrique. Dans le théorème CPT, tout est inversé : la charge (positif Vs négatif), la parité (droite Vs gauche) et le temps (le temps doit s’écouler à l’envers). Un monde composé d’antimatière serait l’image de notre monde à travers un miroir.

Le problème, c’est que l’univers n’est pas aussi symétrique qu’il n’y parait. En effet, si matière et antimatière étaient strictement identiques (en dehors de la charge électrique), nous ne serions pas là selon la théorie du Big-bang qui stipule qu’à l’origine, matière et antimatière ont du être créées en même temps et en quantité égale (toujours le E=mc², la matière est toujours créée en quantité égale avec de l’antimatière). Un raisonnement simple aboutit donc sur la non-existence de notre Univers car matière et antimatière auraient du s’attirer juste après le Big-bang pour s’annihiler et fin de l’histoire… La réalité semble tout autre : nous sommes bien là et notre univers semble être composé quasi exclusivement de matière, seuls quelques phénomènes physiques dans le cosmos génèrent de l’antimatière mais en quantité infime et cette antimatière est rapidement annihilée en touchant de la matière ordinaire. Conclusion : les astronomes et les cosmologistes ont perdu la moitié de l’Univers !!

proton nono

Un proton et un antiproton. © Noémie.


Ce qui peut expliquer cette observation étrange est que matière et antimatière ne sont pas si symétriques que cela : on parle alors de violation de symétrie. Les symétries entre matière et antimatière sont parfois non respectées et pourraient expliquer pourquoi toute l’antimatière a disparue aujourd’hui au profit de la matière. Les accélérateurs de particules ont déjà mis en évidence certaines de ces violations de symétries et ces recherches sont toujours très actives aujourd’hui car il est très difficile d’étudier l’antimatière qui est très volatile.

Applications de l’antimatière ?

La réaction d’annihilation entre matière et antimatière est la plus puissante que la physique connaisse mais il faut relativiser (sans mauvais jeu de mot): c’est inexploitable actuellement pour fabriquer une bombe à antimatière comme le laisse suggérer le roman de Dan Brown Anges et Démons. Si vous prenez  10 milliards de protons et 10 milliards antiprotons, l’énergie équivalente qu’ils pourraient dégager serait d’environ 1 Joule… soit assez d’énergie pour soulever une pomme de 1 mètre… Pour faire une bombe, il faudrait fabriquer beaucoup plus d’antimatière que la science est capable de produire et il faudrait dépenser une énergie supérieure à la consommation d’énergie mondiale.

De toute manière, l’énergie mise en jeu pour « fabriquer » de l’antimatière sera toujours nettement supérieure à ce que l’annihilation matière/antimatière peut dégager donc aucune source énergétique de ce côté-là…

Cependant, l’antimatière a déjà trouvée une application dont vous avez peut être déjà entendu parler en imagerie médicale : La Tomographie par Emission de Positons (TEP). En Effet, les positrons sont utilisés en imagerie médicale pour obtenir des images d’organes en 3 dimensions en cancérologie, neurologie et cardiologie.

Par Benjamin Bradu - Publié dans : Phys. Particules/Quantique
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