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"Dans le piège irakien" de Mgr Jean Benjamin Sleiman

Publié le 24 novembre 2010 par Francisrichard @francisrichard

Dans le piège irakien a été écrit il y a quatre ans par Mgr Jean Benjamin Sleiman, archevêque de Bagdad des Latins depuis mars 2001. Il s'agissait alors d'un véritable cri du coeur de la part de cet évêque libanais, âgé aujourd'hui de 65 ans, cri destiné à attirer l'attention sur ses malheureuses ouailles et à prêcher la réconciliation nationale. Ce cri n'a, hélas, rien perdu de son actualité.

En effet, après l'assassinat de chrétiens à Mossoul en février de cette année ici, les projecteurs des médias ont à nouveau éclairé le terrible sort des chrétiens d'Irak à la suite du massacre à Bagdad de fidèles dans la cathédrale catholique syriaque Sayidat-al-Najat - Notre Dame du Perpétuel Secours - le 31 octobre dernier.

Les fidèles assistaient à la messe du dimanche soir quand des terroristes qui venaient d'affronter les forces de sécurité irakiennes se sont réfugiés dans l'église. 

Après avoir insulté les fidèles en les traitant de "chiens de chrétiens", les terroristes ont commencé par abattre ceux du premier rang et le prêtre qui cherchait à s'interposer. Puis ils ont enfermé les femmes dans la sacristie et y ont jeté des grenades. Pour faire taire les hurlements de la foule ils ont alors tiré dans le tas. En rupture de munitions, ils se sont enfin fait exploser. Bilan : près de 60 morts et davantage encore de blessés, sans compter les terroristes.

Ce tragique épisode fait partie d'une longue litanie d'épisodes tout aussi tragiques qui se sont déroulés dans l'après-guerre de 2003. A l'époque les chrétiens d'Irak représentaient 3% de la population totale, soit près d'un million. Ils sont aujourd'hui moins de 1%.

Dans le piège irakien explique ce qui pousse ces malheureux chrétiens à fuir un pays dont ils ont été parmi les premiers occupants, depuis des millénaires, mais où leur vie et survie sont désormais en grand péril.

Mgr Sleiman n'a aucune mansuétude pour le régime de Sadam Hussein :

"La liberté politique était définitivement bannie, l'initiative économique menacée. La liberté religieuse confinée dans le culte et dans les lieux de culte. Toute ouverture à d'autres cultures jugée suspecte. La parole surveillée et l'autocontrôle étaient une règle générale."

Mais ce régime, selon lui, n'était pas à l'origine de la mélancolie des chrétiens d'Irak qu'il a constatée dès son arrivée là-bas. Il n'en était qu'un facteur aggravant.

Tout au long du XXe siècle le pays a connu des violences qui ont engendré une contre-violence à laquelle il n'était pas possible aux chrétiens de répondre "autant par vertu et charité chrétiennes qu'en raison du profond déséquilibre des forces", d'où leur frustration.

Mgr rappelle ce qu'est la dhimmitude à laquelle sont réduits les juifs et les chrétiens d'Irak encore de nos jours. Pour les musulmans les dhimmi, les gens du Livre pour faire court, sont à la fois considérés comme inférieurs et comme différents. De ce fait ils doivent acquitter des taxes et observer des règles qui ne sont imposées qu'à eux :

"J'insiste, en partant de mon expérience et de mes observations des comportements et des discours, sur la permanence de la dhimmitude dans les lois et dans la pratique, dans la perception majoritaire comme dans le narcissisme minoritaire." 

Pour sortir de cette dhimmitude nombre de chrétiens d'Irak, alors qu'ils sont d'origines diverses, ont cherché en quelque sorte à se racheter en se faisant les chantres du nationalisme arabe. Ils croyaient pouvoir ainsi dépasser les clivages musulmans-dhimmis. Peine perdue...

Mgr Sleiman s'élève contre la légende selon laquelle Sadam Hussein aurait protégé les chrétiens. En réalité, sous le régime du raïs, ils n'avaient le choix qu'entre l'allégeance et l'exil pour continuer seulement d'exister. Ceux qui n'ont pas pris le chemin de l'exode ont échappé aux persécutions en faisant preuve de loyauté et de soumission au régime. Ce qui ne leur a pas évité totalement ni vexations, ni provocations.

Depuis la chute du régime l'insécurité touche tous les habitants du pays.

Cependant :

"En tant que minorité, les chrétiens ressentent tout attentat comme une destruction de leur existence. Toute disparition d'un membre est une diminution de l'ensemble perçue comme une mise en marche d'un processus d'élimination du groupe."

De plus :

"Les chrétiens ne bénéficient d'aucun traitement de faveur de la part des forces alliées. Ils sont dans cette situation historique dramatique déjà connue : les guerres occidentales sur leur territoire aliènent les sympathies musulmanes en leur faveur, mais ne leur assurent en compensation aucun nouvel appui."

Pour s'en sortir il leur faut donc demander protection à des clans. Ce qui renforce leur dhimmitude :

"On n'est pas en paix parce que l'on est citoyen, mais parce que l'on est le protégé des uns et des autres. Les relations persistent dans leur inégalité."

Quand ils se rendent compte qu'il est plus facile à un musulman qu'à eux d'émigrer en Europe ou aux Etats-Unis, ils ne comprennent pas, ils s'inquiètent, ils en éprouvent de la frustration. De même que lorsque les aides occidentales chrétiennes sont indifféremment distribuées aux musulmans et à eux, à qui tous les subsides irakiens sont refusés, systématiquement.

A l'égard des Américains qu'ils admiraient :

"L'illusion aura été grande. La désillusion pénible. L'obscurcissement de l'image du libérateur davantage encore." 

Ils n'ont pas compris l'expression malheureuse de "croisade contre la terreur" dont ils subissent les conséquences. Car, dans l'imaginaire musulman, croisé égale chrétien et rappelle les croisades du Moyen Âge, avec cette différence près qu'alors les chrétiens étaient empêchés par les musulmans d'accéder aux Lieux Saints, ce qui n'est pas le cas de nos jours...

A propos de l'exode des chrétiens Mgr Sleiman ne s'inquiète pas :

"Je suis sûr que les chrétiens voueront une loyauté totale aux pays d'accueil, mais au prix de la perte de leur identité, de blessures intérieures, de rupture de liens familiaux jusque-là protecteurs."  

Ce livre, jalonné d'histoires tragiques vécues, s'achève sur une note d'espoir, sur le rôle "de rassembleurs, de médiateurs et d'interlocuteurs agréés de tous les partenaires" que les chrétiens d'Irak pourraient jouer dans leur pays au profit de tous ses habitants.

Mais cette note d'espoir est contrebalancée par ce passage qui termine l'annexe du livre, consacrée à la Petite histoire d'Irak, terre chrétienne :

"Aujourd'hui, la civilisation chrétienne en Irak est devenue tragiquement minoritaire. Pourra-t-elle préserver son identité et sa mémoire ? Il ne semble pas que l'époque qui s'ouvre inaugure pour les chrétiens une ère d'intégration nouvelle dans la société irakienne."

Après deux années de répit, jusqu'au début de cette année, il ne semble pas, en effet... 

Francis Richard


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