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Quand N. Sarkozy en “off” révèle des journalistes

Publié le 25 novembre 2010 par Vogelsong @Vogelsong

“Enfin écoutez, j’ai eu plaisir à vous voir (rires)… Amis pédophiles, à demain !” N. Sarkozy (aux journalistes) 21.11.2010 – Sommet de l’OTAN

A. Leparmentier a prévenu, le “off” de N. Sarkozy ne vaut “pas tripette”. “Pas tripette” mais anthologique sur bien des aspects. Le journaliste du Monde s’est spécialisé dans le décryptage des faits et gestes du Président. Il tient même un blog, “l’Élysée côté jardin. A. Leparmentier est surtout l’archétype du journaliste en Sarkozie. Tout ce qui ne passe pas par lui, ne vaut “pas tripette”, et seule l’information présidentialisée compte. Qu’elle soit critique ou pas. En l’occurrence le “off”, ce “off”, qui déprésidentialise N. Sarkozy. De cet affaissement, pâtissent tous les journalistes qui couvrent la présidence de la République. Dans ce travail de concert qui veut que la presse honore la fonction, le Président élève par sa fonction ceux qui l’honorent. Avec ce “off” mis en ligne par le journal Libération, tous ces repères explosent.

Quand N. Sarkozy en “off” révèle des journalistesLa rumeur courait, au sommet l’OTAN, face à quelques journalistes, N. Sarkozy s’emportait sur les conjectures le liant à l’affaire Karachi. Selon les premières versions, pris d’une colère froide, il qualifia les journalistes de “pédophiles”. Démentis, euphémisations, ce n’est que 48 heures plus tard que l’on retrouve (étrangement) les bandes de cet évènement. Que Libération publie in extenso.

D’ire, de coup de gueule, il n’y eut point. Au contraire, le verbatim (ainsi que l’enregistrement) laisse entrevoir une certaine proximité dans un échange (bien que) vertical entre le maître et ses disciples. Dans un quasi-monologue, N. Sarkozy qui rappelle à son auditoire qu’ils sont des professionnels, donne aussi dans la démonstration d’avocat sur la nécessité de la preuve pour incriminer. À raison, pointe les lacunes de la profession qui laisse entendre depuis des mois qu’il fut trésorier de la campagne d’E. Balladur. Information erronée qui a produit un long écho.

Mais au-delà, ce qui transparaît dans ce morceau, c’est la qualité du langage. La manière dont le président s’exprime. Un sabir inconcevable, d’un registre qui confine à la vulgarité, celui d’un individu tourmenté, la voix rentrée jouant l’ébahissement, la consternation devant le monde qui l’entoure. Dans le verbatim on ne dénombre pas moins de vingt-quatre faux questionnements pour étayer sa démonstration. Dans cette forme sarkozienne de l’interrogation rhétorique qui, soit inclut la réponse dans la question tant elle apparaît triviale, soit induit sa propre affirmation par un jeu personnel quasiment tautologique. On se situe à la limite de la raison. Transposer cette forme à toute autre personne dans n’importe quel espace du débat public entraînerait un amusement inquiet sur le sérieux du protagoniste. Ou l’affublement de “dingo” ou pire par les témoins. Sous cette forme tout propos émanant d’un quidam passerait dans le registre journalistique “du banlieusard et de sa concubine”. La forme vulgaire du citoyen désaxé et acculturé, à la limite de la débilité.

Puis, les rires entendus des journalistes. Ceux qui s’activent par les zones du cerveau contrôlant la soumission et la révérence. Le “ha ha ha” qui sort de la mâchoire, et non de la gorge. Celui que les laquais prodiguaient à leur souverain lors de festoiements. Le ton badin de l’oligarque aux piliers de la démocratie : “Mais non. C’est sans rancune, hein, le pédophile (rires)”. Non bien sûr on discutaille entre gens de bonne compagnie. On prend la leçon de l’(ex-)avocat chef d’État en faisceaux de présomptions et éléments de preuves.

Car on n’accuse pas sans preuve. Les grands professionnels ne se livrent pas à des assertions sans éléments irréfutables. Comme lors du drame de Clichy-sous-Bois en 2005, où N. Sarkozy avait formellement affirmé que les fuyards avaient tenté de cambrioler un chantier et n’étaient pas poursuivis au moment de rentrer dans le transformateur électrique qui leur sera fatal. Thèse contredite par la suite grâce à l’enquête. Mais manifestement les journalistes pris de narcolepsie préfèrent laisser N. Sarkozy exposer la grandeur du métier de reporter-enquêteur. Un Sarkozy proche de prendre la mouche sur une affaire gênante au plus haut point. Un président en mission de reconquête, qui briefe un parterre de journalistes avachis sur les épaisses moquettes d’un symposium de l’OTAN.

Pour A. Leparmentier, le “off” est rituel d’initiés, bien trop complexe pour la plèbe butée. « Pas tripette » dans le “off” sarkozien ? On y entend un président de la République, brouillon à la limite de la raison, déballant une explication confuse devant des journalistes connivents. Seul le cabri de BloombergEt sur l’Irlande, où est-ce que nous en sommes maintenant ? (rires)” simule encore vaguement un ersatz de professionnalisme, de sérieux. Turpitudes, peau de banane, chances, mais aussi beaucoup de travail ont permis à cette poignée de publicistes d’avoir le privilège de transmettre l’information, de donner à penser sur le monde. À ce niveau de responsabilités, les justifications d’A. Leparmentier ou d’autres sont caduques.

Car à la fin des fins : Tutoyer les sommets pour échouer dans le petit jeu de manipulation du pouvoir. Servir de boîte à lettres ou de dictaphones à l’oligarchie, et prétendre qu’il s’agit des rouages du métier ? Les pièces dans le dossier Karachi citant la société luxembourgeoise (Heine) existent. Pourtant haut et fort, on perçoit un Président de la République infliger une leçon de déontologie et de morale à la Presse. Dans une quasi parfaite complicité. On s’affuble de “pédophiles” en toute décontraction. Plus que l’insulte, ce que ce document montre, c’est la parfaite entente des protagonistes dans le jeu présidentiel. Tous assis sur la même branche, chacun à sa place. Il montre surtout les insuffisances de chacun dans leurs fonctions. Les uns dans leur incapacité à être des passeurs de l’information, rouages essentiels à la démocratie. L’autre, dans son incapacité à être un chef d’État. (rires).

Vogelsong – 24 novembre 2010 – Paris

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