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Napoléon, l’homme qu’on détestait trop

Publié le 25 novembre 2010 par Ruddy V / Ernst Calafol

Napoléon, l’homme qu’on détestait tropL’étude de l’épopée napoléonienne sera presque supprimée des prochains programmes scolaires du collège. Il ne nous reste plus qu’à décréter Waterloo fête nationale.

D’après France Soir, la place consacrée à Napoléon et Louis XIV dans les manuels du collège devrait être drastiquement réduite. Quelque soit l’ampleur réelle de ce changement de programme, il rejoint un profond mouvement d’auto-dénigrement à la française, dont les dernières années nous ont fourni quantité d’exemples. Notre identité nationale française, ne cherchez plus, c’est la crise d’identité permanente.

On se souvient par exemple qu’en décembre 2005, le bicentenaire de la victoire d’Austerlitz avait été fêté en catimini. Alors même qu’à l’époque, le napoléonien Dominique de Villepin était premier ministre (il a argumenté plus tard que le contexte politique ne se prêtait pas à des festivités). L’année suivante, en 2006, pour fêter les victoires d’Iéna et d’Auerstadt, il y avait davantage de célébrations en Allemagne qu’en France ! Récemment, un ami racontait qu’en Chine, l’œuvre napoléonienne servait parfois de sujet dans le cadre d’examens pour recruter les hauts fonctionnaires.

La France fait dans l’anti-austerlisme primaire

En somme, le français Napoléon Bonaparte fascine des millions de personnes dans le monde, mais il ne faut surtout pas que la France en profite. Elle doit même agir à rebours de cette passion. Elle, la France, la même qui reste tétanisée par cette mondialisation qui risque de dissoudre sa culture, elle qui tient enfin une figure historique qui pourrait améliorer son image, jouer en sa faveur, solidifier sa réputation, elle qui tient une des épopées les plus admirées de l’histoire de l’humanité : elle fait à peu près tout pour ne rien en tirer. Deux cent ans après avoir fait Austerlitz, la France fait dans l’anti-austerlisme primaire.

Pourquoi ? Car la France a un problème avec elle-même ; elle sent qu’elle n’est pas à la hauteur de son histoire et de sa culture ; elle a pitié d’elle-même, elle ne se respecte pas, elle s’abime dans l’idée de la défaite, du remords, de la honte.

Beaucoup de Français ne l’admettront pas facilement. La plupart du temps, ils justifieront ce refus d’élever Napoléon comme un trophée national par des fausses raisons : on dira qu’il était un tyran inhumain, qu’il a bridé les libertés, qu’il a laissé la France plus pauvre qu’elle ne l’était, qu’il est la cause des centaines de milliers de morts, etc. On peut mettre en doute la valeur historique de ces points de vue qui font porter la responsabilité d’une époque exceptionnellement mouvementée sur un seul homme. Pour s’innocenter, c’est l’habitude de certaines personnes de désigner un Grand Fautif. Technique efficace, simple, qui permet de ne pas avoir à prendre en compte toute l’ambiguïté de l’existence. Donc technique disqualifiante sur le plan intellectuel.

On ne peut pas aimer la France et mépriser Napoléon

Car il n’est pas tenable d’être pro-droits de l’homme et foncièrement anti-napoléonien. Pareillement, on peut difficilement aimer Hugo, Chateaubariand, Balzac, Stendhal, Lamartine, et tellement d’autres, tout en détestant Napoléon. On ne peut pas aimer le XIXème siècle français sans avoir un intérêt marqué pour la Révolution et l’Empire ; autrement dit, on ne peut pas sérieusement prétendre aimer la France en méprisant Napoléon.

Allons plus loin : si Napoléon est l’un des exemples de l’homme fort, ces millions de personnes qui s’en débarrassent d’un revers de main, ne sont-ce donc pas les militants farouches de l’impuissance personnelle ? En effet, comment ne pas entendre, chez ceux qui cherchent à ternir l’éclat des grands hommes, artistes ou militaires, le fond désolé de l’échec privé ? Et pour eux, quelle meilleure manière de redonner du lustre à cet échec que dénigrer les oeuvres des plus illustres ? Pour les prêtres de l’existence manquée, c’est-à-dire, apparemment, beaucoup de nos contemporains, l’homme victorieux est assimilé au tyran, à l’oppresseur ; on ne peut pas réussir sa vie sans être un criminel. La victoire vous rend suspect. Par contre, l’oppressé est forcément bon, il pense aux autres, ne provoque pas de souffrances, etc.

Et les millions de morts de la Grande Guerre ?

Prenons également en compte cet autre argument, lui aussi éclairant : Napoléon est détestable parce qu’il est responsable de centaines de milliers de morts. Comme nous l’avons déjà dit, le jugement est plutôt simpliste. Mais ce qui est intéressant dans cette remarque, qu’on entend régulièrement, c’est de la comparer avec l’image qu’ont les Français de la Grande Guerre (14-18). Là, étrangement, alors qu’elle a causé non pas des milliers, mais des millions de morts, et pour le coup sans aucun panache, on est beaucoup moins violent. On la regrette, mais on ne la hait pas comme on hait Napoléon, et on n’admire pas particulièrement ses héros français (Clemenceau, Pétain, Foch, Joffre…), plutôt tombés dans l’oubli.

Concernant la Grande Guerre, le progressiste n’a aucun tyran diabolique à dénoncer ; aucun représentant du Mal, ni du bien. Mais il pense aux morts, à ces millions de morts oubliés. Le rapport à la Grande Guerre de nos contemporains s’est progressivement mué en une sorte de culte mortifère, un culte de la désolation, une communion dans le désastre anonyme, dans la conviction intime que l’existence humaine n’est qu’un immense raté. Et ça, en général, ça parle beaucoup à ceux qui détestent Napoléon ; et même, cela soulage de se désoler d’un désastre mettant en scène la folie irrépressible de l’homme moderne, dépassé par sa technologie. Le brillant Napoléon doit donc absolument être terni, vilipendé, rendu hors d’état de luire.

Le Grand Enterrement de l’humanité héroïque

Faut-il en conclure qu’au fond, on est plutôt indulgent envers une guerre de masse, à la responsabilité diffuse, où les hommes étaient réduits à de la chair à canon ? Alors qu’on juge très sévèrement une guerre au sens classique, gênante parce qu’elle nous obligerait à considérer des valeurs humaines positives comme le courage, l’audace, l’insouciance, le coup d’oeil ? Tout se passe comme si, même en termes de guerre, nous n’acceptions plus que les guerres ratées. Nous n’acceptons plus que de considérer les guerres qui nous donnent des arguments pour détester absolument LA guerre. Toute guerre ayant laissé trop de place au caractère humain, au génie singulier de certains grands militaires, n’existe plus, puisqu’au fond, on déteste celui qui gagne et qui a un nom. On préfère le règne absolu de LA mort qui fauche anonymement. On se doit d’être tous égaux dans notre mortalité.

Un homme n’a plus le droit de quitter cette vie en hurlant dans son dernier souffle : « Vive l’Empereur ! » Aujourd’hui, l’on doit mourir sans avoir rien compris, en se disant que l’amour ne mène à rien, que tout a une fin et que tout est absurde et qu’on est tous sous la domination de LA mort. Il vous faut participer au Grand Enterrement de l’humanité héroïque, orgueilleuse, puérile.

Est-il encore utile de rappeler qu’au cours de la première campagne d’Italie (1796-1797), la division Masséna livra du 13 au 16 janvier 1797 trois combats, tous gagnés, et pour cela marcha un jour et deux nuits, parcourant 86 kilomètres ?

En tout cas, on peut actuellement voir dans le métro parisien une affiche qui conseille aux jeunes citadins de marcher 30 minutes par jour, en allant au ciné (7 minutes), à la fac (5 minutes), chez les copains (6 minutes) ou au concert (12 minutes). Impossible n’est pas français !

Crédit photo :  Sanggi / Flickr



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