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Les Martiens ne nous sauveront pas de la crise !

Publié le 25 novembre 2010 par Jblully

Après de rudes débats, nos amis irlandais ont accepté d’être sauvés du désastre. C’est gentil de leur part, et c’est une bonne nouvelle. Il est vrai qu’après des années de croissance – soutenue par une politique de dumping fiscal particulièrement vigoureuse – la chute aura été dure. De quoi avoir l’amour-propre égratigné.

Une moins bonne nouvelle : l’économiste américain Nouriel Roubini vient d’émettre sa conviction que les finances publiques de la France ne sont pas « en bien meilleur état » que celles de la Grèce ou de l’Irlande. La principale différence tiendrait au fait que la France a conservé assez de crédit pour parvenir encore à lever les fonds nécessaires au refinancement de sa dette. Voilà un jugement sévère ! Mais le propos prête à réfléchir : après tout, le Portugal ou l’Espagne, par exemple, sont plus mal placés que la France sur l’échelle des risques.

Quelle conclusion tirer de ce propos ?

La principale est que la confiance se mesure mal, et que la défiance est par conséquent très difficile à anticiper. Il existe certes des critères objectifs identifiant un « maillon faible », ils sont connus. Mais dans un monde d’incertitude financière, il n’existe plus de périmètre des risques qui puisse être circonscrit ex ante. Une application élémentaire du principe de précaution voudrait donc que des efforts majeurs soient faits dans tous les pays, au sens le plus large, risquant, à un degré ou à un autre, justement ou injustement, d’être soumis à la pression financière des marchés :

- à court terme : engager des politiques de rééquilibrage rapide des finances publiques. Mais sans en méconnaître les limites : tout d’abord, une partie du gain espéré est immanquablement effacée par la diminution automatique des rentrées fiscales. Ensuite, malgré les progrès éventuellement réalisés ici ou là, le relativisme propre aux marchés financiers pourra toujours, sans avertissement, mettre sous pression d’autres pays qui se croyaient pourtant hors de danger. En somme, le risque n’est pas totalement supprimé. Il est en large partie déplacé, et (peut-être) dilué. Ne surestimons pas ces politiques. Ni leur effet d’image.

- le deuxième effort découle de ce constat : engager des programmes crédibles de réformes structurelles garantissant une amélioration durable des finances publiques, qui mette les pays les plus menacés à l’abri des prochaines crises. Toutefois les quantités considérables de monnaie injectées dans l’économie mondiale accroissent inévitablement le risque de bulles financières, et de crises futures. En somme, si les gouvernements ont mieux géré la récession que leurs prédécesseurs des années 30, ils ont aussi repoussé une partie des risques vers une période future, pas forcément très éloignée d’aujourd’hui. Il n’est donc pas acquis que des réformes structurelles nationales, même bien menées, se révèlent, à elles seules, à la mesure du défi.

- le troisième effort consiste à accorder l’attention qu’ils méritent aux déséquilibres extérieurs. Ceux des pays de la zone euro, pour l’essentiel, n’ont pas de fondement monétaire. Or, un pays dont la compétitivité extérieure est dégradée a rarement des finances publiques florissantes. Ici encore, il ne faut pas se leurrer : un pays très excédentaire, tel l’Allemagne, tire une partie importante de sa compétitivité des économies d’échelle permises par la taille relative de son industrie au regard de celles de ses partenaires européens. Si les excédents extérieurs traditionnels de l’Allemagne ont été amplifiés par les politiques de restriction de la demande intérieure, leur persistance doit aussi beaucoup à cet effet d’échelle, qui est durable, comme son avance technologique. Pas de remède magique, donc, de ce côté-ci non plus.

Avons-nous donc des solutions sûres ?

Certes, le fonds d’intervention enfin mis en place dans la zone euro constitue une avancée majeure, impensable voici encore peu d’années.

Certes, le FMI a fait la preuve qu’il peut puissamment contribuer à éteindre les incendies.

Mais il y en aura d’autres. Et qu’adviendra t-il quand les mécanismes de la zone euro et ceux du FMI seront parvenus au bout de leurs possibilités ? Comme le fait observer M. Roubini, « personne ne va venir de Mars ou de la lune pour sauver le FMI ou la zone euro ».

Il a raison, et c’est très dommage : la lune est déserte (on est allé vérifier sur place), les Martiens ont disparu (avant, il y en avait beaucoup, mais c’était une autre époque) …et nous n’avons que quelques années – avant la prochaine récession – pour pallier la défection inexcusable des extraterrestres.

La voie sur laquelle avancer n’est pas simple, mais c’est la plus sûre : mettre en place une véritable coopération budgétaire et fiscale européenne. Faire partie de la zone euro doit impliquer, automatiquement, l’intégration à des mécanismes budgétaires de convergence et de régulation mis en œuvre dans le cadre d’une concertation organisée et permanente, avec des moyens financiers substantiels et des modes de décision efficaces.

Ne parlons pas, c’est entendu, de gouvernement économique ou de fédéralisme budgétaire – des mots qui réveillent les fantômes des désuètes mais sacro-saintes « souverainetés nationales ». Mais observons que les Etats-Unis ont 50 Etats et une seule monnaie. Et reconnaissons que la simple invocation de critères incantatoires comme ceux du traité de Maastricht a fait la preuve de son inefficacité – voire de ses effets pervers.

Bien sûr, personne ne peut dire que la construction européenne ne progresse pas. Mais à la vitesse à laquelle elle avance, quelques années sont un délai terriblement court. Le patient travail d’imagination, de construction, de compromis, devenu aujourd’hui indispensable et qui n’aurait pas été fait au cours des prochaines années pourra t-il être fait, « à chaud », dans l’urgence, lors de la prochaine crise ? Non.

Les enjeux monétaires du G20, présidé par la France pour un an, sont évidemment considérables. Mais ils ne doivent pas occulter cette urgence. Il en va de la pérennité d’un acquis majeur de l’Europe : sa monnaie unique. Et le rétablissement des grands équilibres monétaires mondiaux ne se fera pas si la première puissance commerciale de la planète, entravée par les divergences d’intérêts nationaux et de politiques économiques, laisse ses finances publiques à l’état de champ de bataille.

Renonçons aux Martiens, soit, n’y pensons plus. Mais alors, sauvons-nous nous-mêmes. Et commençons dès maintenant, avant que la reprise économique nous rende amnésiques.


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