Magazine Société

La fiscalité irlandaise ou la « concurrence déloyale » expliquée aux ratés

Publié le 29 novembre 2010 par Lecriducontribuable
Bank of Ireland

Les difficultés financières de l’Irlande auront eu raison de sa réticence à saisir la main tendue par ses partenaires. Le Fonds de stabilité européen et le FMI débloqueront 85 milliards d’euros sur quatre ans pour sauver l’Irlande du naufrage. En échange de quoi, Dublin adopte un plan de rigueur prenant la forme de coupes budgétaires et de hausses fiscales. Mais pas question d’augmenter l’impôt sur les sociétés, auquel les Irlandais doivent une si grande part de leur succès économique. C’est bien ce qui dérange leurs partenaires européens, qui crient au « dumping fiscal ».

En proie à un déficit public de 32%, l’Irlande était confrontée à un dilemme : devait-elle continuer d’ignorer la main tendue par ses voisins et prendre le risque d’aggraver son cas, ou bien la saisir et réviser en retour son modèle économique ? Les Irlandais doivent beaucoup à leur fiscalité, et plus particulièrement au bas taux de leur impôt sur les sociétés, qui s’élève à seulement 12,5% – contre 27,5% en moyenne pour la zone d’euro –, attirant ainsi les investisseurs étrangers. C’est pourquoi le plan de rigueur annoncé pour la période 2011-2014, qui prévoit d’augmenter de 5 milliards les recettes fiscales, devrait se contenter d’une augmentation de la TVA et d’un élargissement de l’assiette fiscale. Car Dublin ne veut pas remettre en cause une fiscalité tournée vers la libre entreprise.

Vous avez dit « concurrence déloyale » ?

C’est précisément ce qui agace ses partenaires européens. La France surtout, qu’une tradition fiscale aberrante rend inévitablement jalouse de Dublin, accusée de pratiquer un « dumping fiscal » nuisible à notre compétitivité. Parler de concurrence déloyale aurait du sens si le succès économique irlandais était tributaire aides européennes. On pourrait alors se demander pourquoi les membres de l’Union Européenne aideraient l’Irlande à leur faire concurrence.

Or les 30 milliards d’euros d’aides européennes perçues par l’Irlande entre 1973 et 1999 n’expliquent pas tout. Cela fait un moment que la France reproche à l’Irlande sa spécificité fiscale. Aujourd’hui, l’Humanité se réjouit de voir le « Tigre celtique » devenir un tigre en papier. Naufrage du « modèle irlandais » ? Fin du dogme « néolibéral » ? Beaucoup veulent y croire. Ce serait la preuve qu’en matière de fiscalité, le libéralisme ne mène nulle part, à l’inverse du socialisme et du keynésianisme, qui comme chacun sait ont fait leurs preuves.

Et notre modèle, le « modèle français » – celui que personne ne veut suivre –, mène-t-il quelque part ? Le regard de la France sur son voisin irlandais trahit une psychologie du ressentiment : puisque les Irlandais attirent les investisseurs, demandons-leur d’en attirer moins, ainsi nous n’aurons pas besoin de les imiter. Maintenons l’impôt sur les sociétés à 33%, et surtout ne tirons aucune leçon ni de nos erreurs, ni du succès de nos voisins. Ainsi, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. Égalité, Égalité !

La sclérose de l’État providence

L’Irlande n’est pas la rivale la plus redoutable en matière de fiscalité. Chypre défend un impôt sur les sociétés à 10%, le plus bas de tous. Du reste, crier au dumping fiscal est une habitude bien française. Toute notre tradition interventionniste repose sur la défiance du progrès, de l’amélioration et de la performance. Chez nous l’égalité n’est jamais que le cache-sexe du ressentiment. Si le voisin fait mieux, on ne l’imite pas, on le descend.

Le modèle irlandais étant passé de mode, d’aucuns affirment que nous devrions nous inspirer de nos voisins allemands. Le modèle n’est pas flamboyant, reconnaît Le Point, mais il est efficace. C’est oublier le fameux « génie français »

Car ce qui paraît un modèle à certains observateurs est d’abord perçu comme un problème par notre gouvernement. En mars 2010, Christine Lagarde s’inquiétait des performances allemandes, qui font de l’ombre aux entreprises françaises… et mettent donc en péril l’ensemble de la zone euro. Le blogueur H16 avait fort bien résumé les critiques adressées à Berlin : « Si la France ne court pas assez vite avec ses boulets, plutôt que les retirer, autant en filer une douzaine à l’Allemagne aussi, histoire de clopiner de concert ». Pourquoi ? Mais parce qu’il est injuste que les plus performants réalisent de meilleures performances. Égalité, Égalité !

Tout va très bien, Madame la Marquise

Vous pensiez qu’une hausse de l’impôt sur les sociétés irlandais découragerait les investisseurs, et que la France était la destination la moins accueillante pour les investissements étrangers ? D’aucuns prétendent qu’il n’en est rien.

On peut lire sur le site de L’Expansion que malgré les menaces contenues dans la récente déclaration de la Chambre de commerce américaine, signée par des investisseurs aussi importants que Microsoft ou Bank of America, une fausse de l’impôt sur les sociétés n’aurait pas forcément pour conséquence d’éloigner de l’île les entreprises étrangères l’ayant enrichie. Mais si ces entreprises quittaient l’Irlande suite à une hausse de l’impôt sur les sociétés, que devrait faire Dublin ? Rabaisser le taux de l’impôt sur les sociétés et demander à Microsoft de revenir en jurant, la main sur le cœur, que cette fois c’est « pour de bon » ?

Quant à la France, elle est loin d’être la moins attractive pour les investisseurs étrangers. Si les bénéfices des sociétés sont imposées à hauteur de 33% depuis 1993, l’impôt sur les sociétés effectivement payé ne dépasserait pas 23% environ, contre 30% en Allemagne. Dans le langage de l’UMP, qui est également celui des socialistes, cela s’appelle un « manque-à-gagner ».

Les pressions exercées sur l’Irlande par ses partenaires européens pour qu’elle abandonne l’un des piliers – et pas le moindre – de sa politique fiscale auront été une illustration supplémentaire de l’absurdité où nous plonge l’attachement à un dogme keynésien qui ne fonctionne pas. Que se cache-t-il, en effet, derrière l’expression « concurrence déloyale » ? Rien d’autre que l’envie, et la haine du progrès.

Nils Sinkiewicz

Articles similaires :


Retour à La Une de Logo Paperblog