Magazine Journal intime
Il arrive que je reçoive des compliments pour ma photo, ce qui me fait évidemment plaisir. Je tente de souligner chaque fois que je commence à peine. C'est une forme d'art que j'ai décidé sciemment de remettre à mes vieux jours, à l'époque où, adolescent, j'étudiais concurremment musique, théâtre et peinture. La littérature ? Ben… J'ai jamais pensé à ça. Et euh… J'y pense pas ben ben non plus aujourd'hui.
Tout ça pour dire que quand j'ai eu à peu près quarante ans, Lizanne, ma délicieuse blonde de l'époque, m'a acheté un petit appareil. Ça a pris cinq ans et la facilité du numérique pour que je me décide. En fait, le pixel m'a permis de doper mon apprentissage, en me donnant la possibilité de regarder immédiatement le résultat pitoyable de mes cadrages, zooms, choix de sujets, éclairages, etc. Également, mon intérêt (toujours présent) s'est accru au contact de trois personnes, dont je vais vous parler ici. Je ne prends jamais une photo sans songer à eux trois :
Primo, Pierre-Yves Thiran, immense romancier, m'a été présenté par mon ami Ian Lauzon, lui-même auteur d'un théâtre/cinéma énergique, iconoclaste, subversif et révolutionnaire. C'est le même Lauzon qui m'a dit un jour d'écrire plutôt que de faire des tounes. Parfois une personne vous connaît mieux que vous même et c'est pas des blagues. Je le remercie chaque jour en mon for. Thiran, donc, dont j'ai eu l'insigne honneur et le décoiffant bonheur de devenir l'ami, et avec lequel j'ai des conversations qui durent des journées entières, voire plus. Une part importante de nos échanges a pour centre l'art et le geste de l'art. Nous pouvons passer cinq heures à échanger sur Fragonard ou Courbet. Cézanne nous fascine, Picasso nous fait jouir, etc, Thiran en connaît un rayon et comme toujours en présence de quelqu'un qui a fouillé et n'est pas là pour me remplir, j'ai la sagesse d'écouter et d'apprendre. J'ai été l'ami de John McGale, et croyez-moi que la moitié de ce que je sais sur le blues vient de sa bouche, de ses mains, et du haut-parleur de son ampli. Bref, une part de l'amour que j'éprouve pour l'œuvre au moment de la sentir arriver est informée par la clarté et l'éveil exceptionnel de ce grand homme, mon ami Thiran.
Béni du Manitou, j'ai eu pour femme autrefois une fantastique rousse. Au cours de ces huit années de vie commune, j'ai regardé respirer une de ces authentiques bêtes de l'art, qui tout naturellement, sans en faire étalage, sans s'imaginer dans une hiérarchie, sans oxydation des mauvais verbes (avoir - être - paraître), se jetait fiévreusement dans le simple bonheur de « faire ». Son atelier grouillait de projets brillants, sans ambitions, donc pétris de grandeur. Puis, sans y prêter la moindre importance, elle sautillait de la plume à la toile, de la caméra à la glaise, du tissu aux pixels. Nous avons assisté côte à côte à l'explosion des moyens de production personnels que l'informatique a mis à notre disposition, et c'est sans trop non plus y voir quoi que ce soit d'exceptionnel que nous avons partagé, toutes ces années, notre amour d'apprendre, de faire, de toucher et de réorganiser. Je sais aujourd'hui la chance que nous avions de vivre tout ça et je suis reconnaissant à la providence de pouvoir dire de Nancy McDonald qu'elle est ma meilleure amie. Voir sa photo sur la couverture du numéro 109 de Mœbius. Sa démarche photographique m'a toujours inspiré, et simplement, en photo, je la copie !
Par contre, je ne copie pas qu'elle ! Eh, eh, eh. J'y ai mis le temps, mais j'arrive enfin au sujet dont je veux vous parler aujourd'hui. Le troisième Obiwan que je sens derrière moi lorsque je sors mon appareil-photo, est carrément photographe. Il ne fait pas que ça, il écrit aussi, et pas des torsades au canola ! Même que depuis quelques semaines, écoeuré qu'on lui tire la manche, il blogue. Hier, innocemment, il a mis en ligne une photo. Une photo qu'il a prise. Prenez votre temps, regardez-là… Hier j'ai cru que je m'emballais trop, j'ai pas trop parlé. Aujourd'hui, sobre, à jeun, à tête reposée, je la regarde à nouveau et j'y vois tant que je vous la partage. J'en dis pas plus, je vous laisse avec, à la bonne vôtre !
© Éric McComber