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Wikileaks, la presse et le pouvoir

Publié le 29 novembre 2010 par Uscan
Comment s'y prennent les gars de Wikileaks mettre leurs révélations à l'ordre du jour des médias mainstream ? Eléments de réponse.

Tout simplement, Wikileaks contacte les organes de presse qui donnent le la et leur offre l'information.

L'information "mainstream" dans une démocratie, censée être libre et pluraliste, répond en fait à un formatage subtil, disons, organique. Dans tous les pays il y a un nombre très limité de médias considérés comme des médias de référence. Tout le monde reprend par automatisme les informations que ces derniers décident de traiter. Un cran en amont, les agences de presse opèrent déjà un filtrage sévère en décidant de ce qui est important ou pas. Les cabinets de relations publiques participent également de façon très large, en "offrant" des informations à la presse. Selon les études on évaluait en 2003, entre 40 et 70% la proportion de ces informations dans la presse.

1/ Wikileaks ayant su prouver de façon indéniable la solidité de ses informations, on ne peut pas les attaquer sur le mode de la théorie du complot.
2/ Wikileaks offre ses informations aux médias de référence (Le Monde en France, The New York Times aux US) comme le ferait un cabinet de relations publiques.

A partir de là, les médias dominants sont coincés. S'ils refusent de traiter les informations, ils savent qu'un autre le fera : ils perdront des lecteurs et une partie de leur crédit, car on saura aussi qu'ils ont refusé. L'histoire du Watergate est certainement le précédent qui contraint la presse à transmettre les infos. A l'époque le New York Times avait été contacté par Mark Felt et avait refusé de publier les informations. Peu après, elles apparaissaient en une du Washington Post...

Mais c'est à l'évidence un jeu de dupes, puisque les informations divulguées par Wikileaks au sujet de l'Irak par exemple, étaient connues dans des milieux ignorés voire dénigrés par les médias dominants. Si le souci d'informer de façon impartiale était réel, toutes ces informations (Irak, Afghanistan), en réalité disponibles, auraient été rapportées depuis longtemps.

Ce que fait Wikileaks, c'est prendre les médias dominants en tenaille entre la multiplicité des organes qui reste réelle, le besoin d'attirer les lecteurs et les principes de liberté de la presse par rapport au pouvoir, invoqué sans cesse. Même si elle est négligée au quotidien par des moyens subtils, cette liberté ne peut être ouvertement et publiquement bafouée. Tous ces éléments réunis (sans oublier la crédibilité des informations) forcent les médias de masse à relayer. C'est bien joué. Une fois que les médias de référence ont publié, aucune autre rédaction ne peut se permettre d'ignorer le sujet. L'effet de répétition se met en branle automatiquement, comme pour les autres informations abordées chaque jour.

Mais il faut tout de même remarquer que les médias dominants se contentent du minimum syndical en la matière. Par exemple en allant visiter lundi lemonde.fr je trouve autant d'articles "autour" du sujet que d'articles abordant le fond des révélations. Tôt le matin il n'y en avait carrément aucun. L'un expliquait "pourquoi on publie", un autre détaillait l'embarras de Washington, un dernier résumait l'histoire...

Dans l'article qui explique "pourquoi on publie" le quotidien se désolidarise ouvertement de Wikileaks en reprenant la terminologie de Washington.

Informer, cependant, n'interdit pas d'agir avec responsabilité. Transparence et discernement ne sont pas incompatibles – et c'est sans doute ce qui nous distingue de la stratégie de fond de WikiLeaks.
Par cette petite phrase, le quotidien, en même temps qu'il affirme son allégeance au pouvoir, avoue qu'on lui force la main. Dont acte : Le Monde préviendra Washington avant de publier ses articles, et offrira un droit de réponse aux autorités. Emouvant souci d'équité, que l'on souhaiterait voir s'appliquer sur d'autres sujets, en offrant un droit de réponse à Human Rights Watch lorsque l'on parle de "guerre contre le terrorisme" par exemple, où à ATTAC lorsque l'on évoque une énième "modernisation" de l'économie...

Mais il y a mieux, Le Monde explique que

WikiLeaks a accepté de ne pas diffuser dans l'immédiat les 250 000 télégrammes. Seuls les mémos ayant servi à la rédaction des articles des cinq journaux seront, après protection des identités, publiés.

Or Wikileaks fournit sur son site une explication assez différente.

Why not release everything now?
The embassy cables will be released in stages over the next few months. The subject matter of these cables is of such importance, and the geographical spread so broad, that to do otherwise would not do this material justice. We owe it to the people who entrusted us with the documents to ensure that there is time for them to be written about, commented on and discussed widely in public, something that is impossible if hundreds of thousands of documents are released at once. We will therefore be releasing the documents gradually over the coming weeks and months .

C'est donc par crainte que les médias n'escamotent le contenu des révélations que l'organisation les distille au long court. Le Monde transforme ce choix en un "cadeau" que ferait wikileaks à la presse, ce qui crée l'impression qu'une forme de collaboration existe déjà entre eux. Si wikileaks cherche à construire de tels liens, avec le dessein avoué de ramener la presse à son rôle de contre-pouvoir, force est de constater que cette dernière agit aujourd'hui sous la contrainte. C'est pour cette raison que la petite phrase du Monde est biaisée : elle transforme en confiance la défiance qu'affiche pour l'instant wikileaks. Cela appuie l'idée que la presse "libre et indépendante" participe à cette opération de démocratie - mais en même temps elle prend ses distances. C'est un double message que nous venons de décrypter. Aux autorités américaines : nous renouvelons notre allégeance ; aux citoyens : nous sommes les héros de la liberté d'expression.

Pendant ce temps, la pression monte du côté de Washington, qui déclarait hier que ces fuites constituaient un "crime grave". Menace à peine voilée de la violence qui risque de réprimer les auteurs de ces opérations de transparence...


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