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Royal Flush

Publié le 30 novembre 2010 par Variae

Celles et ceux qui ont un jour travaillé avec ou milité pour Ségolène Royal vous le diront : sa principale caractéristique, c’est l’imprévisibilité. Une imprévisibilité au sens radical du terme : être capable d’alterner sans raison apparente le pire et le meilleur, de sentir des bons coups comme de les faire tourner au vinaigre, de faire, sans connotation négative, n’importe quoi – c’est-à-dire d’agir en dépit des convenances, des ça ne se fait pas et des attendus. Comme par exemple : se battre à mort pour la tête du parti socialiste ; puis retisser bout par bout une relation « apaisée » avec son actuelle direction, au point de s’inviter dans un pacte/pack grand-guignolesque ; donner tous les gages de loyauté possibles à la première secrétaire ; tout cela pour, enfin, la désavouer brutalement, alors que cette dernière vient de réaffirmer l’accord des « grands candidats » pour la primaire socialiste, en annonçant sa propre candidature.

Royal Flush

C’est ce qu’on appelle faire événement. Y a-t-il eu beaucoup d’épisodes récents de la vie du parti socialiste qui ont donné lieu à une « alerte info SFR », reçue par les abonnés de l’opérateur téléphonique ? Détail parmi d’autres qui en dit long sur la capacité d’impact médiatique de la présidente du Poitou-Charentes. Dans la dramaturgie des (pré)primaires socialistes, Ségolène Royal apporte sa contribution toute particulière. Ce n’est pas une simple candidature de plus ; c’est, en vrac, l’acte 2 et la revanche de 2007 ; la suite du sanglant congrès de Reims ; tout un cortège d’histoires et de souvenirs, depuis le pas de deux avec Bayrou jusqu’aux excuses envers l’Afrique, en passant par le frigidaire et les menaces de poursuites en justice contre le parti socialiste. Un cortège bigarré, alternant épisodes scabreux, rocambolesques et historiques, qui stimule forcément plus la machine politico-médiatique que les affrontements d’appareil autour de textes programmatiques sur l’égalité réelle. Ségolène Royal, en bien comme en mal, est un des quelques responsables politiques, avec Nicolas Sarkozy, dont la vie et les actes trouvent un écho dans tout le spectre de la presse et des médias, des titres people aux revues savantes ; son entrée dans la danse, après le remaniement ministériel, marque tacitement le début des choses sérieuses pour 2012.

Mais la nature événementielle de cette déclaration de candidature ne se résume ni ne se réduit à des questions d’audimat et d’impact médiatique, dont on jugera plus précisément dans les prochaines semaines. Elle tient aussi et d’abord au sens qu’elle a, et aux effets qu’on peut prévoir, à gauche et dans le camp socialiste en particulier. Quelles étaient la situation et les dynamiques à l’œuvre jusqu’à présent ? Premièrement, une opposition entre gauche de gouvernement (PS, Europe Écologie–Les Verts) et gauche populiste, « fromage qui pue », incarnée par un Mélenchon mettant même mal à l’aise ses alliés communistes. Deuxièmement, un différentiel entre nouvelles formations jeunes et/ou rénovées (Europe Écologie–Les Verts, voire Parti de Gauche) et partis plus anciens (dont le PS). Troisièmement, un clivage, plus interne au PS, entre Cassandre rigoristes – Hollande, Valls, Moscovici, Collomb – et néokeynésiens rétifs à la contrainte – Hamon et les défenseurs du texte Égalité réelle. Quatrièmement, et toujours au sein du PS, un hiatus commode entre « grands candidats » putatifs, s’efforçant de calmer le jeu et de garder le contrôle sur les primaires, et outsiders plus pressés d’en découdre. De ces lignes de partage découlait la situation incertaine que l’on connaît, avec une gauche hésitant sur l’attitude à adopter face à la droite dure, et un PS s’endormant dans un faux rythme et des débats sans issue (calendrier électoral, dispute transformateurs vs. réalistes, nécessité ou non d’attendre l’homme providentiel du FMI).

La sortie du bois de Ségolène Royal vient chambouler ce paysage ronronnant pour une raison très simple : la proposition et le positionnement politiques qu’elle représente ne se laissent pas contenir dans les clivages mentionnés ci-dessus. Issue du cœur de l’establishment politique – l’ENA et la mitterrandie – elle a cependant régulièrement été taxée de populisme depuis 2006, pour des idées que reniait même alors Mélenchon – les jurys populaires – ou des formulations douteuses récurrentes dans son discours, comme l’opposition entre peuple et « sachants ». Hiérarque socialiste de longue date, elle n’en a pas moins incarné la possible rénovation du PS lors de son dernier congrès, et a même mis en œuvre le dépassement de ce dernier avec le mouvement Désirs d’Avenir. Prudente dans ses positions budgétaires et économiques lors de la dernière présidentielle – l’idée d’un redéploiement de l’appareil d’État comme condition de toute politique de réforme, la prise en compte de la dette, la défense du marché comme milieu naturel – elle est également capable de parler avec une crédibilité certaine pour « les petites gens » et contre le « système ». Quant au quatrième clivage, entre types de candidatures, elle le fait voler en éclat par sa déclaration ; ni actuelle patronne du PS, ni ex-premier secrétaire peinant à refaire surface ; ni sauveur d’outre-Atlantique, ni « Obama de la Bresse » ; pas vraiment en position de force au sein de l’appareil socialiste, mais néanmoins dernière candidate à la présidentielle. Autant d’ambigüités qui singularisent cette entrée en lice, qui pourrait bien sérieusement rebattre les cartes, quelle que soit son issue finale.

Car on ne voit pas comment la lente hâte avec laquelle se dessinaient les événements au sein du PS pourrait ne pas s’en trouver perturbée. Les primaires ne se limitent plus à un tour de chauffe entre candidatures de témoignage ; les appels à l’unité et au travail de fond tombent à plat ; le pacte qui avait fait tant jaser n’est plus la saine entente de tous les poids lourds socialistes, mais se trouve rabaissé à la continuation de l’accord « carpes et lapins » du congrès de Reims ; enfin et surtout, les postures d’attente et de temporisation deviennent fort complexes à tenir, au risque de perdre rapidement beaucoup de terrain. En mal comme en bien, en somme, Royal vient avec ce coup de poker de donner un brutal coup d’accélérateur à la partie de 2012. Faites vos jeux !

Romain Pigenel


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