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L’usage des armes

Publié le 02 décembre 2010 par Vogelsong @Vogelsong

“C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser. Tout homme va jusqu’à ce qu’il trouve des limites. Qui le nierait ! La vertu même a besoin de limites.” Montesquieu – L’Esprit des lois

Du petit lait ministériel. L’homme est malien, sans papier, de forte corpulence. Mais surtout il “pète les plombs” lors d’un contrôle d’identité comme le rapporte Libération. Par deux fois, la police fera usage (après les lacrymogènes) d’une arme à impulsion électrique. Qui a pour particularité de diffuser dans le corps des ondes de 50 000 volts à 2 milliampères. Blocage total du système nerveux, la décharge foudroyante vient immédiatement à bout de n’importe quel individu. Le nec plus ultra de la soumission. Là, l’homme meurt. D’un malaise. Le porte-parole de la police évoque une enquête qui éclaircira éventuellement le lien entre le voltage massif et le collapsus. Quant au Ministère, par la voie de B. Hortefeux, il évoque la contrainte à l’usage des armes. C’est ainsi que dans la France de 2010, on se défausse de la mort d’un “irrégulier”. Quand la violence légitime retire la vie, on euphémise, on stigmatise puis on charge la victime.

Une médiation armée

L’usage des armesL’arme non létale, quintessence de l’oxymoron dans le maintien de l’ordre. La novlangue sécuritaire s’est parée de ce concept pour faire passer dans l’opinion des instruments plus ou moins brutaux, mais aussi plus ou moins mortels. Il n’y a pas d’“armes non létales”. Il y a des armes ou pas. Une rhétorique, avec en filigrane, l’alternative asymétrique proposée par la violence (légitime) d’État entre un projectile en métal brûlant à très haute vélocité, la balle, perforant le corps, déchirant les chairs ou l’approche plus civilisée et clinique consistant à électrocuter les rétifs aux injonctions policières. D’ailleurs, la multinationale qui livre les forces de sécurité claironne que l’arme à impulsion électrique “sauve des vies”. La violence mortelle face à la violence douce. C’est à peu près en ces termes que se définit le nouveau credo policier. Entendre que l’État prend soin de ses concitoyens, même des plus turbulents, en employant pour les neutraliser des dispositifs n’infligeant aucun dégât sévère.

Le raisonnement tient plus du concept publicitaire que de la réalité sociologique. Avec l’avènement de ces nouveaux outils de soumission apparaît une nouvelle médiation entre les dépositaires de l’autorité et les citoyens. L’alternative n’est plus la vie ou la mort, c’est-à-dire dans la plupart des cas la vie. Dans le cadre d’altercations de moyennes intensités, sortir une arme à feu relevait de l’impossible sauf à risquer la bavure. Grâce à ces nouvelles techniques d’armement, le niveau de réponse par violence physique est fortement descendu. Le recours aux armes dites non létales est désormais la réplique quasi systématique. En banlieue par exemple, les flash-balls n’ont pas remplacé les armes de poings. Mais se sont plutôt substitués au dialogue (ou tentative de dialogue).

Une violence rare, mais ciblée

De manière générale les études sociologiques (notamment menées aux USA) montrent qu’en moyenne le sentiment de violence policière envers la population est rare. Une personne sur cinq déclarait avoir fait l’objet de pressions physiques, dans la plupart des cas une saisie ou une poussée. À ceci deux remarques. Si les cas sont rares, ils sont déjà trop nombreux. Une force publique perçue par la population (même une minorité) comme brutale signifie l’échec d’une politique de sécurité. Et donc inadmissible. Plus important, le sentiment de violence augmente selon les classes sociales et les minorités incriminées. Pas vraiment une nouveauté, les rapports de la maréchaussée au XVIIe siècle évoquaient déjà comme cibles, les “gibiers de prévôts” (errants, vagabonds, migrants, etc.). Aujourd’hui aussi la violence s’exerce de manière inégalitaire dans la population. Plus on est pauvre plus la violence policière est forte. Une lapalissade que les commentateurs omettent systématiquement de préciser. Et qui change profondément la perception du fait divers. D’autant plus forte qu’elle s’ajoute à la violence économique réelle, mais aussi au sentiment de violence due aux inégalités (économiques et sécuritaires). Dans un cercle infernal mêlant pauvreté, paupérisation, violence qui s’auto-alimentent à l’infini. Enfin, se surajoutent les facteurs “raciaux”, un cocktail explosif. Dont on contemple les éruptions périodiques dans les zones suburbaines.

La question n’est pas de statuer sur la pertinence du pistolet à impulsion en tant que tel. La question essentielle tient dans l’usage systématique de la violence (même “douce”) pour soumettre un corps social. On a substitué un niveau médian d’interaction avec les forces de l’ordre sous la forme d’armes “non létales”. L’instillation à doses contenues d’une violence verticale en direction d’une catégorie de la population. En majorité pauvre et pas blanche. Reste ensuite à la justifier. Des justifications de moins en moins humaines à mesure que les esprits s’accommodent à la dystopie. Un “sans papier” dans l’atmosphère de la France 2010, contrôlé par la police a “pété les plombs”. En oubliant qu’il y avait probablement un lien entre l’attitude du forcené et le contexte. Et dont le principal instigateur de la situation, le ministre, évoque la contrainte policière à électrocuter l’homme par deux fois. Dans cette effroyable substitution des rôles, la victime devient le coupable. Et le paie de sa vie.

Vogelsong – 1er décembre 2010 – Paris

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