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Sécurité sociale : le dernier coup de pelle. Sur la nuque.

Publié le 03 décembre 2010 par Copeau @Contrepoints

C’est grâce à un backlink de Nicolas que je suis tombé, fort surpris, sur cet article du Point qui évoque, stupeur et hallucination, la possibilité d’un débat sur les principes même de fonctionnement de la Sécu…

Première constatation à la lecture de la production du Point : on frôle d’assez près la bonne pignouferie avec le procédé habituel d’appeau à troll en chapeau d’article. On y évoque en effet de privatisation de l’Organisme Tentaculaire de Prélèvements Sociaux En Echange De Remboursements Toujours Plus Médiocres, sans plus y revenir dans le corps de l’article. En effet, ce dernier parle en réalité de la fin du monopole de la Sécu, ce qui est encore autre chose.

Il en va d’ailleurs de même avec l’article de Slovar sur Marianne2 où l’on parle beaucoup de fin de monopole et finalement, pas du tout de privatisation de la Sécu.

Car en pratique, la perte du monopole de l’assurance santé par les caisses régionale d’assurance maladie n’est pas synonyme d’une privatisation.

Privatiser, très clairement, ce serait vendre les activités (en tout ou partie) à des fonds privés, c’est-à-dire transformer les structures de droit public (ou supposées telles) en structures de droit privé, recaser les fonctionnaires ou modifier / casser leurs contrats pour les transformer en contrats de droit privé ; ce serait changer la façon dont la comptabilité de ces organismes est tenue pour avoir une réelle comptabilité de groupe privé (avec, notamment, des comptes de bilan, et une clarté comptable que la Sécu n’est pas franchement en mesure de proposer actuellement).

Casser le monopole, en revanche, revient essentiellement à laisser aux salariés le choix de l’endroit où seront versées toutes leurs cotisations sociales (celles camouflées en patronales, et celles officiellement salariales), sans forcément changer le statut public de la sécurité sociale, ni même abroger l’obligation d’assurance maladie en vigueur actuellement.

J’imagine déjà les fines remarques de certains notant que « oui mais bon, casser le monopole et privatiser, in fine, c’est pareil » … Sauf que non : dans une privatisation, il y a, très clairement, une vente officielle, calculée et calculable, un transfert d’une richesse de la collectivité étatique vers le privé ; il y a même un prix attaché à une privatisation : une fois l’opération achevée, l’état n’a plus la compétence d’agir directement dans la nouvelle société, et en contrepartie, les caisses publiques se sont remplies d’euros sonnants et trébuchants. Même des privatisations partielles (EDF, France Télécom) se sont traduites directement par cet état de fait.

Si l’on supprime simplement le monopole de la Sécu, il n’y aura pas de création d’une entité privée, il n’y aura pas d’argent qui tombera dans les caisses de l’état.

D’ailleurs, on ne voit pas comment, en pratique, on pourrait réellement privatiser la sécu : cette entité n’existe pas et n’est donc, de facto, pas vendable. Il n’y a qu’un conglomérat de caisses, qui sont, de surcroît, dans un flou juridique savamment entretenu, penchant d’ailleurs vers le droit privé (sauf quand ça n’arrange pas le pouvoir en place). L’état n’en est ni actionnaire, ni patron, puisqu’il s’agit d’une direction paritaire dévolue aux syndicats. Bien sûr, le bazar est hautement politisé ce qui rend toutes ces remarques d’autant plus confuses et l’intervention permanente des politiciens dans l’édifice de papier aura largement contribué à l’entropie bordélisante des régimes, cotisations et résultats fort mitigés obtenus.

Bref : on voit mal comment privatiser un truc pareil, surtout s’il est … déjà privé.

Maintenant, on peut s’interroger sur les motivations qui pousseraient l’actuel gouvernement à se lancer dans la fin du monopole de la Sécu. Les articles évoquent surtout le « comment » bien plus que le « pourquoi » : en substance, on diminuerait la part collective, et on augmenterait les latitudes pour la part individuelle de l’assurance santé. En pratique, le gouvernement recherche une façon de « diversifier les modes de financement« .

La raison est, finalement, évidente : tout ce foutoir collectif pisse de l’argent par tous ses pores, et les prestations fournies sont de plus en plus médiocres. Pire : les dettes s’accumulant, l’état, à force de les prendre à sa charge, s’enfonce encore plus vite dans le purin dans lequel il barbotait déjà confortablement depuis trois décennies sous les bravos d’une foule heureuse de s’en foutre.

Sécurité sociale

Eh oui : privatiser, c’est l’horreur absolue, et casser le monopole, c’est une abomination. Toucher à l’édifice sociale collectif Que Le Monde Nous Envie, c’est, disent certains – toujours les mêmes – se préparer des années de tarifs élevés avec des remboursements médiocres, de pauvres laissés sur le bas côté, une médeussinadeuvitesse, etc, etc.

Ce n’est pas comme si le système actuel coûtait un bras, offrait des remboursement médiocres (3€ la paire de lunettes, mes cocos), laissait les pauvres sur le côté ou divergeait rapidement vers une médecine à dix-huit vitesses dans laquelle un ministre ou un cadre supérieur sera effectivement nettement mieux traité qu’un SDF à la CMU.

Là encore, j’entends la petite musique du « Il faut certainement améliorer le système, ce n’est pas le principe qui n’est pas bon, c’est la mise en œuvre » et patati, patata dans le genre « Tous ensemble, on peut y arriver » qui ferait rire si le comique de répétition à ce sujet n’était pas usé jusqu’à la corde : cela fait des dizaines d’années que tous les gouvernements tentent d’améliorer le système, avec des résultats qu’on peut qualifier de minables. Cela fait des décennies que la mise en œuvre foire. Quant au principe de base, il est vicié par nature : un bien gratuit payé par tous, c’est l’assurance que chacun va en tirer le maximum possible pour le minimum d’effort, avec le résultat qu’on observe : trous, gabegies, fraudes.

En réalité, tout l’édifice de Sécurité Sociale, colosse aux pieds d’argile, n’a jamais été pensé pour être équilibré ; le but était purement politique : offrir une impression de soins gratuits. C’est important, l’impression, c’est avec ça qu’on se fait élire. Et ça a marché tant que la croissance (démographique et économique) a camouflé les trous. Et ça a merdé grand format dès qu’il n’en fut plus question : les trous existaient toujours, mais il n’y avait plus l’argent des autres gratuit pour les cacher.

How institutions appear & how they really are

Maintenant, il faut être lucide deux secondes : puisqu’après tout, on nous serine que ce système est excellent, qu’il est quasi-performant à quelques bricoles près, la perte du monopole ne signera pas son arrêt de mort. Qui voudrait se passer d’un système pas cher et efficace ? La peur panique qui semble s’emparer de certains à l’idée d’une fin de monopole ne peut pas venir du fait qu’ils savent très bien que la Sécu est inefficace et coûteuse. C’est obligatoirement lié à leur altruisme : ils ne veulent pas que des gens soient laissés sur le bord de la route de l’assurance !

… Comme maintenant, quoi.

Et pour continuer dans la lucidité, puisqu’apparemment, il ne faut s’employer qu’à trouver des patchs pour cette noble institution pétrie de bonnes intentions, comment compte-t-on s’y prendre pour responsabiliser le citoyen ? Comment faire pour que celui qui prend un risque avéré, délibérément, ne devienne pas un coût pour la collectivité ? Roselyne, si te me lis, comment s’assurer que ce gros organisme ne soit pas systématiquement en pleine collusion avec les lobbys pharmaceutiques ? Pourquoi un si beau système Que Le Monde Nous Envie Mais Ne Nous Copie Jamais transforme-t-il des médecins en fonctionnaires, organise-t-il la pénurie avec des numerus clausus, favorise-t-il l’abandon des zones rurales ?

Si on doit le panser pour tout ces petits soucis, le monstre va ressembler à un gros ruban de sparadrap déroulé trop vite.

La réalité, toute crue, c’est que le gouvernement est à court de solutions pour rafistoler ce bordel. Fin du monopole ? Privatisation ? Libéralisation ? Pensez-vous sérieusement que la Sécu survivrait à la faillite de la France ?

La question de la fin du monopole ne se posera pas dans ces termes : le trou est de plus en plus gros (et les rafistolages ou ponctions nouvelles n’y changent rien), et l’argent est de plus en plus difficile à trouver.

En général, lorsque le trou est assez grand, on file un dernier coup de pelle, bien vigoureux, sur la nuque, et on recouvre le cadavre…

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