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Les fleurs fanées du mâle

Publié le 04 décembre 2010 par Corboland78

Nous étions au siècle dernier, j’étais entré dans la vie active depuis quelques années déjà et mon bureau se situait dans le quatrième arrondissement de Paris, à quelques pas de l’Hôtel de Ville. Chaque jour j’empruntais la rue de la Verrerie, soit pour me balader vers le quartier des Halles en pleine mutation à cette époque et vérifier l’état d’avancement du fameux « trou » qui remplacera les commerçants du vieux Paris historique, soit pour me rendre chez mon disquaire – aujourd’hui disparu - du boulevard Sébastopol, Pygmalion pour ne pas le citer.

Le Châtelet, l’église Saint-Eustache, le quartier Saint Paul, la Seine et le Marché aux Fleurs, telles étaient les limites de mon royaume où tous les midis je partais en exploration. Années après années j’ai vu s’éteindre les traces du XIXème siècle et naître le futur, le Forum des Halles et le Centre Georges Pompidou sur l’esplanade Beaubourg en étant les fleurons les plus voyants.

De nombreux métiers disparaissaient mais il en est un qui semblait perdurer imperméable au temps qui passe et aux évolutions de la société, les filles continuaient à arpenter les trottoirs ou stationner sous les portes cochères. La rue Saint-Denis n’était pas bien loin, le boulevard Sébastopol et la rue Blondel non plus, le quartier rouge étalait ses richesses sous le regard outré du bourgeois quand il était accompagné, intéressé quand il y revenait seul et discrètement en soirée. Dans la journée ces dames dans leur majorité, vaquaient à leurs occupations ménagères comme tout un chacune, mais dès que le soir tombait, comme guirlandes à Noël elles rutilaient dans le regard du passant solitaire.

Mon secteur de promenade pendant mon heure de table, s’étendait surtout entre le Sébastopol des abords de la Tour Saint-Jacques et la rue de la Verrerie. Vous noterez au passage que tous ces saints qui hantent le quartier ne sont rien à côté de tous ces seins qui s’y exposent et drainent du tourisme spécialisé. Tous les jours donc, je passais rue des Lombards où quelques hétaïres tout de cuir noir vêtues vous promettaient d’un simple regard appuyé des fessées dont on garde un souvenir cuisant mais jouissif, m’a-t-on dit. Eté comme hiver, au coin de la rue Quincampoix elles attendaient le client assez rare à cette heure du midi, haut perchées sur leurs talons aiguilles, guêpières moulantes contenant à grand peine des mamelles parfois imposantes qu’un long manteau pouvait dissimuler rapidement si la prudence l’exigeait.

Avec le temps, il est des figures qui me devinrent familières et comme un souteneur relevant ses compteurs, je vérifiais chaque jour si telle ou telle était au turbin ou pas. La triste constatation de mes déambulations c’est que les années sont cruelles avec la chair des catins au point qu’il en est une, dont je me souviens encore, qui m’effrayait carrément.

Repoussée de rue en rue par une concurrence rajeunie et des maquereaux persuasifs, elle avait atterri sur un bout de pavés étroit de la rue de la Verrerie bordé par un mur du cloître Saint-Merri, une portion de territoire désert et sans âme, excentré des lieux de turpitudes les plus fréquentés. D’un âge respectable pour ne pas dire canonique elle s’accrochait à son métier, épave pitoyable me remettant en mémoire ces vers de Baudelaire « Tu n’es certes pas, ma très chère / Ce que Veuillot nomme un tendron ». Sous son réverbère dispensant une blafarde lumière, les cheveux roux mi-longs, à moins que ce ne fût comme je l’ai longtemps pensé une perruque, des lunettes aux verres teintés, ses cannes de serin perchées sur des talons hauts perturbant son équilibre sur le pavé, elle faisait les cents pas enveloppée dans son éternel manteau de fausse panthère. Quand un homme la croisait, un discret « Tu viens ? » accompagné d’une moue voulue engageante mais rendue atroce par un maquillage épais cachant mal la peau décatie d’une vieillesse déjà bien installée, nous faisait prendre nos jambes à notre cou et sans même répondre, nous filions vite la queue bien à l’abri entre nos jambes, rejoindre une portion de rue plus accueillante.

Je comprends bien qu’il en faille pour toutes les bourses ( !), j’ignore ses tarifs que je suppose dérisoires, mais rien que d’imaginer quelque commerce avec cette asphalteuse, les moyens m’auraient manqué. Les dernières années, elle ne faisait plus que de la figuration si je peux dire, discutant avec d’autres vieilles du quartier, concierges d’immeubles ayant connu des jours meilleurs ou retraitées comptant leurs sous avant d’entrer chez G20, c’est à peine si elle jetait un œil sur les éventuelles proies passant à portée, elle-même ne croyait plus à l’avenir de son négoce. Quand toute une vie on a tapiné sur le bitume, peut-on sur la fin se contenter d’un fauteuil devant sa télé ?   


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