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Wikileaks, une vérité insoutenable ?

Publié le 04 décembre 2010 par Vogelsong @Vogelsong

“Une société transparente est une société totalitaire” F. Baroin (à propos de Wikileaks) le 29.11.2010

Aucune “révélation” fracassante, rien qui ne peut ébranler le monde. Pourtant wikileaks a frappé le cœur du système. Il a rapporté les petites phrases diplomatiques des uns sur les autres, un gossip mondial qui expose finalement ce qui se savait ou se subodorait déjà. En substance, que la diplomatie bruisse de petites phrases, s’arrange de coups tordus, d’avis plus ou moins autorisés forcément subjectifs sur un chef d’État ou un pays. Les câbles concernant N. Sarkozy et son américanisme ne font que confirmer le notoire. Rien d’excitant. Par contre, Wikileaks lève le rideau sur des rouages des mass media. Et en ce sens, l’impact déstabilise fortement l’architecture existante. Une architecture bâtit verticalement, sur des fondations relevant plutôt de l’entre soi et de l’influence, pudiquement nommée responsabilité ou déontologie. En réalité un Ancien Monde, qui prend de plein fouet la révolution de l’information. Une révolution sans objet, d’apparence nihiliste. Mais, on le sait, du néant pourrait surgir la lumière.

Wikileaks, une vérité insoutenable ?Les messages diplomatiques mis en ligne sont le fruit d’un vol. À ce titre, la publication par les médias pourrait relever du recel. Le statut de marchandise de l’information venant corroborer cette thèse. Mais finalement assez grossière. L’information lourde, celle qui change le monde émerge souvent de cloaques. S’en tenir à ce qui fleure bon revient à distiller une information proprette, dont le caractère nuisible pour quiconque serait aboli. Le vieux monde médiatique en quasi total contrôle dose minutieusement la communication packagée, relayée par les rédactions, produisant d’une part du temps d’information superfétatoire en terme de connaissance du monde, d’autre part de l’information aseptisée à usage régulier d’intérêt relatif, et enfin du scoop explosif dont on fait la réputation du métier.

L’incursion de wikileaks produit un choc dans ce milieu tempéré par les mandarins omnipotents. Car ce qui se joue au final, c’est la perte du contrôle, et donc du pouvoir. Le contrôle parce que l’information issue de wikileaks est brute, sans objectif (revendiqué), si ce n’est un leitmotiv aguichant. On n’est plus dans le journalisme d’enveloppes minutieusement ciblé. Où l’exclusivité du scoop provient plus certainement d’une fuite orchestrée que du travail d’enquête en territoire hostile. Wikileaks, c’est le déversoir hétéroclite dont il faut refaire le tri. Un tri laissé à la discrétion de chacun au gré des diversités. Un cauchemar d’autocrate. Dont la standardisation du périmètre de pensée tient lieu d’objectif.

Plus de ligne éditoriale, de joug politique dont les injonctions font taire les dossiers. Le foutoir général qui se surajoute à l’environnement déjà instable de l’Internet. Ce nouveau territoire déjà affublé de tout à l’égout de la démocratie par certains, de société sans civilisation par d’autres. Mais surtout un lieu où les cartes du pouvoir sont sans cesse rebattues. Face à des pôles installés en recherche de captation d’audience, émergent des sources capables à chaque instant de déstabiliser l’éco-système. Une incertitude intolérable pour ceux qui ont le pouvoir et désirent le garder.

Atteinte à la démocratie, dictature de la transparence, la levée de boucliers est immédiate. On s’indigne des publications, mais souvent et étrangement les cris d’orfraie proviennent du même lieu. Ce surplomb oligarchique et minoritaire qui truste les cénacles globalisés. Et vue de là, toute immixtion dans les réseaux de communications pré installés, pré formatés, est vécue comme une atteinte à des principes fondamentaux. À la démocratie dit-on, mais surtout à un monopole. Celui de la relation préférentielle que tissent les pouvoirs et la presse mainstream. Dont la principale vertu consiste à fabriquer et tempérer l’opinion. Les uns au bénéfice des autres.

Agiter le spectre de l’homme nu, sans intimité relève d’une confondante mauvaise foi. Quand il s’agit de relever les petits secrets d’alcôve des puissants, l’opacité doit être de mise. Quand il faut surveiller la plèbe, c’est un tout autre discours. Fichage généralisé, traçabilité du citoyen, télésurveillance dans les cités, fabricant une société de plus en plus sécuritaires, on perçoit les mêmes qui promeuvent ce modèle éructer lorsqu’ils sont eux-mêmes auscultés. Les mêmes qui pérorent que “ceux qui n’ont rien à cacher, n’ont rien craindre”. Alors évidemment, tout ceci a pour unique objectif le bien du citoyen, que l’on veut protéger d’une vérité insoutenable. Une vérité souvent résumée au fait qu’ils ont été floués par l’oligarchie. Par des discours et des mensonges. Bien gardée par la médiasphère. Il y a des mensonges salvateurs, des manipulations d’État qu’il faut taire. En substance cela revient à distinguer deux types d’Hommes. Les supérieurs qui ont accès à la connaissance et qui sont capables de l’intégrer. Et l’autre, une masse informe zombifiée qui ne peut ingurgiter que ce qui a préalablement été nettoyé. De manière à ce que la société irénique, tempérée par la communication de masse se perpétue. Blanche, clinique sans remous.

Il ne s’est rien passé. Mais le coup de semonce a été entendu. La surréaction des gouvernements en atteste. En France le ministre de l’industrie E. Besson refuse que le site wikileaks soit hébergé sur le territoire. Après s’en être pris aux humains étrangers, il s’occupe des électrons indésirables. Mais, une brèche est ouverte, on craint le débordement. Wikileaks prévoit en janvier des “révélations” sur les banques. De quoi faire frémir les chantres de la stabilité du système. En prônant l’opacité comme garante de l’équilibre, les sociétés filent droit vers l’abîme. Il est vraisemblable que rien ne puisse arrêter la révolution numérique, avec ce tropisme de vérité. Les cathédrales médiatiques en ruine continueront de distiller leur tiédeur. Mais le réel défi, au-delà de wikileaks et de ses futurs ersatz, est la question du citoyen capable d’assumer la vérité. Dans la négative, il faudra admettre une démocratie dystopique à deux niveaux. Sinon, sortir de l’infantilisation, et voir le monde tel qu’il est. L’assumer. Pour peut-être le changer.

Vogelsong – 3 décembre 2010 – Paris

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