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La minute où Godard vous dit pourquoi on va au cinéma

Publié le 06 décembre 2010 par Joachim
Pour répondre à l'invitation du Godard blogathon.
Tiens, je m'aperçois en regardant la colonne "sous-blog" qui note les occurrences de cinéastes cités que Godard arrive en tête. Pourtant, si on me posait la question de mon "cinéaste préféré", pas sûr du tout que mes premières réponses le désigneraient, lui. Mais c'est comme ça. Mon rapport à son oeuvre a beau être imparfait, lacunaire, inconfortable, il y a même finalement peu de ses films que "j'aime totalement, tendrement, tragiquement" du début à la fin, j'y reviens sans cesse.
L'un des multiples paradoxes Godard, c'est pour aller vite, une oeuvre est à la fois très intimidante mais finalement très appropriable, une sorte de monument malléable et déconstruit, constitué de quantité de fragments que l'on peut attraper du coin de l'oeil et de l'esprit. C'est finalement par ses fragments, voire ses anecdotes que l'oeuvre (me) parle, surtout par les disjonctions, les échos, les contradictions qu'ils opèrent entre eux. Evidemment, pour s'y retrouver, on peut rediviser ce tout en périodes chronologiques, mais ce n'est pas si simple, tant l'oeuvre de critique, préexistante aux longs-métrages, prend de nouvelles résonances une fois confrontées aux images proposées par ce cinéma. Somme toute, toute l'oeuvre est affaire de réinjections successives (de la critique dans le long-métrage, de l'expérimentation dans le star-system, de la vidéo dans le cinéma, de la mémoire dans le présent) qui, à chaque fois, produisent autant de réactions chimiques stimulantes pour le spectateur.
Bon, ce petit propos est très rapide et assez allusif, mais j'espère dans les prochains jours, avoir le temps d'expérimenter un peu plus en détail d'autres évocations de mon rapport personnel avec Godard.
En attendant, je vous livre LA minute où Godard vous dit pourquoi on va et on ira, encore et toujours, au cinéma :

Cette parfaite mécanique du plaisir cinéphile (où l'enthousiasme de la découverte s'allie souvent à une certaine insatisfaction voire déception), c'est aussi celle qui alimente un certain rapport avec le Godard de la Nouvelle Vague: la promesse de continuer à ressentir, malgré l'éloignement du temps, la vibration intacte des années 60 que nous n'avons pas vécues, et recevoir aussi en même temps, quelque chose d'irrémédiablement fané, déjà envolé. Mais en même temps, ce "film que plus secrètement encore, ils auraient voulu vivre" ne concerne pas tant un hypothétique "chef d'oeuvre ultime du septième art" mais de manière plus détournée une utopie, clairement concrétisée par Godard dans les années 60, où vie personnelle et fabrication de cinéma s'imbriquent profondément. Si Tarantino dit que Godard, c'est le Dylan du cinéma, c'est bien que tous les deux ont conquis leurs statuts de "poètes prophètes" par une immersion totale au sein de leur art : au "never ending tour" de Dylan répondrait le "never ending filming and editing" de Godard.
Notons au passage que la voix-off désabusée de Jean-Pierre Léaud est tirée d'un extrait des Choses (Georges Perec 1965), soit un roman exactement contemporain du tournage de Masculin Féminin. Cette circulation miraculeuse et immédiate entre un film et un livre exactement contemporains l'un de l'autre, ce dialogue entre deux grands observateurs ludiques de leur époque, c'est aussi la preuve d'un art godardien jamais démenti: celui de placer d'infinis miroirs. Et en matière de miroir, nul doute que Godard, la Nouvelle Vague et "autres modernes d'alors" se sont plus que reconnus dans ces quelques lignes précédant le passage en question :
"Il y avait surtout le cinéma. Et c'était sans doute le seul domaine où leur sensibilité avait tout appris. Ils ne devaient rien à des modèles. Ils appartenaient, de par leur âge, de par leur formation, à cette première génération pour laquelle le cinéma fut plus qu'un art, une évidence; ils l'avaient toujours connu, et non pas comme forme balbutiante, mais d'emblée avec ses chefs-d'oeuvre, sa mythologie. Il leur semblait parfois qu'ils avaient grandi avec lui, et qu'ils le comprennaient mieux que personne avant eux n'avait su le comprendre."
C'est drôle. Je n'ai pas vérifié, mais il me semble que dans un épisode d'Histoire(s) du Cinéma (le deuxième, je crois), un dialogue entre Daney et Godard dit exactement la même chose.

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