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La roue de l’infortune

Par Arielle

Ah, Maisons-Alfort ! C’est toute ma jeunesse ou presque.

Nous y sommes arrivés lorsque j’avais quatre ans. Papa et maman avaient acheté l’appartement et nous avons emménagé alors que le bâtiment n’était pas fini de construire. J’adorais sauter sur les rouleaux de ferraille destinés à faire du béton armé. Avec ma petite sœur, nous bondissions et rebondissions avec d’autant plus de plaisir qu’à chaque bond, un rat ou deux se sauvaient, détalant comme des lapins, comme si le ciel leur tombait sur le museau.

Il y avait aussi la bande de copains et le camp adverse, j’ai nommé les romanichels. Le divertissement consistait à se mettre dans la peau de Thierry La Fronde et c’était le jeu de la guerre, chaque soir en rentrant de l’école. Une pierre mal reçue a mit fin à cet épisode mais nous avions plus d’un tour dans notre sac !

Aux environs, il n’y avait que des terrains vagues et des vergers. Daniel se souvient encore du fusil à sel qui le fit descendre du cerisier.

Puis un dimanche soir, le téléphone noir situé dans la chambre de nos parents, nous annonça une nouvelle très sombre : papa venait de décéder dans un accident d’avion. Dans un premier temps, maman acheta l’appartement d’à côté, certainement en pensant que le fait d’élargir l’espace nous remettrait du baume au cœur. Je m’y plaisais bien. Nous avions la moitié du rez-de-chaussée rien que pour nous mais quand le chagrin est là, le confort n’est d’aucun réconfort. Je faisais n’importe quoi : un jour j’ai avalé cinq cent grammes d’abricots secs d’un coup, comme pour me venger de la vie et j’ai cru que ma panse allait exploser. J’ai eu très peur mais il est bien connu que tout ce qui passe par la bouche est affectif. La fin de papa, c’était la fin de Maisons-Alfort. Ses violons, mandolines et piano ne chantaient plus.

Deux ans plus tard, un de mes camarades de classe a péri sous le poids d’un mur qui s’est écroulé sur sa bicyclette lors des émeutes de mille neuf cent soixante huit.

Nous accumulions les malheurs et maman prit un logement à Paris, rue de Wagram. Ce déménagement mettait aux oubliettes toute la chaleur de mon enfance. J’entrais dans les beaux quartiers et dans l’adolescence aussi.

Wagram, c’était très bien mais ce n’était pas Maisons-Alfort. D’ailleurs nous n’y sommes restées que deux ans. J’ai quand même eu le temps de rencontrer un homme mûr et tout ce qui va avec lorsqu’on est paumée et de fumer ma première cigarette pour ne pas décevoir mes copines du lycée Jean De La Fontaine snobant dans le seizième arrondissement.

Nous avons à nouveau traversé Paris pour nous installer rue de l’amiral Mouchez face à la cité universitaire, porte de Gentilly. J’y ai vécu là de grandes phases de prématurité avec tout ce que cela comporte de joies et d’inquiétudes mais ça, c’est une autre histoire !


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