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Le temps court de la Chine

Publié le 09 décembre 2010 par Egea

Vous avez entendu ou lu, comme moi, les tartines qu'on nous sort à longueur de temps sur la sagesse chinoise et l'approche indirecte et la profondeur de Sun Tzu.

Le temps court de la Chine

Petit plaisir : amusons nous à casser les vitres. En l'espèce, affirmons que les Chinois sont à courte vue. Rien que pour le plaisir d'être à contre-courant, ça vaut le coup.

1/ Deux poncifs encombrent nos consciences indécrottables : la Chine est un marché d'un milliard de consommateurs, et les Chinois ont une histoire multimillénaire. Deux fantasmes de la masse. Il en ressortirait un mélange de fascination pour le gain (pensez : un milliard de gars prêts à tout acheter, c'est bien le diable si on ne réussit pas à faire des bonnes affaires) et pour une supposée sagesse qui rend les Chinois les maîtres de la rouerie.

2/ Stratégiquement, les gens en tirent la conclusion suivante : ils pensent à long terme, selon des modes de calculs orientaux et avec des codes qu'on ne connaît pas. Ils sont les experts de la stratégie indirecte, pensez, ils jouent au go, pas aux échecs. Enfin, les Chinois ne sont pas impérialistes : d'ailleurs, regardez l'amiral Zheng He, il venait de découvrir l'Afrique et l'empereur lui a dit de rentrer.

3/ Il est pourtant tout à fait possible que cette grille de lecture soit fausse. Et que tout simplement, les Chinois soient dans un temps court, avec des objectifs de proximité immédiate, qui les rendent donc excités comme des Américains, avec tous les défauts de l'impulsivité. Comment expliquer autrement ce qu'on observe depuis un ou deux ans ? Car l'explication habituelle ("ils sont fiers et ont plusieurs coups d'avance et il ne faut pas croire ce qu'ils disent mais interpréterur le langage onirique") ne tient plus vraiment, à force.

4/ Constatons tout simplement que les Chinois sont animés actuellement d'un profond orgueil, renforcé d'un ressentiment aigu. Fiers d'être célébrés partout comme le plus grand marché du monde, la plus grande puissance commerciale, le prêteur universel, une grande puissance, que dis-je, une hyperpuissance, le seul rival des Américains, en attendant de devenir la nouvelle "puissance indispensable". Prononçons le mot que nous avions appris l'automne 2001, lorsque "le sommet stratégique universel, sa cancreté GW Bush*" déclarait la guerre au terrorisme : hubris. La folie d'orgueil lorsqu'on atteint le faîte de la puissance. Autrefois, on aurait ajouté la gloire. Ivresse, altération du comportement.

5/ Surtout quand c'est doublé du ressentiment dû à la satisfaction de prendre sa revanche sur les aléas de l'histoire. Que dis-je, les revers de ce siècle pas si lointain où l'Occident asservissait l'empire. La chose n'était pas nouvelle mais d'habitude, quand les Mongols arrivaient à Pékin, ils fondaient une nouvelle dynastie qui devenait plus chinoise encore que la précédente. Là, pire, les Occidentaux régnaient non sur les sujets, mais sur les esprits : un communisme sinisé avec les glorieux résultats maoïstes que l'on sait (grand bond en avant et révolution culturelle), et aujourd'hui un libéralisme sinisé qui déclenche les mêmes admirations béates en Europe : cette fois-ci non au Quartier latin mais dans les salles de marché. Ce n'est pas parce qu'on gagne beaucoup d'argent qu'on évite le panurgisme !

6/ Voici pour le cadre général. Les conditions du moment sont moins évoquées :

  • un écroulement démographique (si! si!, je suis sérieux, je parle de la natalité massacrée et donc de l'immense problème social d'une société en vieillissement accéléré, angoissée par son système de retraite -inexistant-)
  • une révolte latente sur la question sociale, venant non des citoyens ou des travailleurs, mais de l'homo capitalistus moderne que nous sommes tous devenus, les Chinois pus que les autres : les consommateurs
  • un déséquilibre croissant du territoire malgré les volontés de "développer" telle ou telle contrée occidentale (en Chine, le coin paumé est à l'Occident du pays)
  • enfin, une inflation interne péniblement contenue mais qui explosera un jour ou l'autre : le véritable problème financier chinois n'est pas la valeur du yuan, c'est le niveau des taux d'intérêts.

7/ Autant de problèmes de court terme qui expliquent les réactions à courte vue des Chinois.

Nous y verrons plus clair dans un prochain billet.

  • : je cite Cl .Le Borgne qui, dans le numéro de ce mois-ci de la RDN (excellent, encore une fois), décrit la guerre entre Saddam Hussein et G. W. Bsh comme "un dialogue de cancres" : il cite là le Général Fleury.

O. Kempf


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