Comme un poisson dans l'eau

La France se réchauffe lentement, la neige commence à fondre. La mystérieuse blancheur veloutée qui rosissait nos joues devient une triste transparence humide. Les petits français qui se déguisaient il y a quelques jours en joyeux bonshommes de neige se transforment péniblement en mornes poissons dans l'eau.

Poissons? Il fut un temps ancestral et fascinant où le poisson était le symbole des chrétiens. ICHTHUS ou ICHTUS, qui signifie poisson en grec, est en effet l'acrostiche de Jésus Christ Fils de Dieu Sauveur (ΙΗΣΟΥΣ ΧΡΙΣΤΟΣ ΘΕΟΥ ΣΩΤΗΡ).

Mais les poissons, aujourd'hui comme à cette vieille période de la persécution romaine, ont du mal à faire des bulles dans l'eau chahutée de l'océan européen.
L'Observatoire de l'intolérance et de la discrimination contre les chrétiens en Europe vient ainsi de pondre un rapport de 40 pages qui recense 5 années d'étranges attitudes publiques et privées envers le christianisme en Europe. Et il y a de quoi affoler les poissons...

L'avantage des poissons, c'est qu'il est quasiment impossible de les noyer. On peut les tuer, les faire griller, les avaler mais c'est tout de suite plus compliqué comme meurtre collectif.

Dans son dernier post, BeniNews évoquait l'attitude pathétique de 20 Minutes qui se noie tout seul pour une simple prière et la décision absurde d'un tribunal interdisant une crèche de Noël sous le prétexte hautement réfléchi d'atteinte à la laïcité. C'était déjà assez marrant mais ceux qui apprécient l'art surréaliste trouveront dans ce rapport de nouvelles merveilles de cadavres exquis, des perles de dogmatisme laïc. Notons que les champions de nage en haut profonde se trouvent en Grande-Bretagne, ce qui n'est pas étonnant pour une île.

BeniNews n'a jamais souhaité entrer dans un délire de persécution et transformer un joli poisson heureux en plongeur fou en mal d'oxygène. Mais il y a quand-même matière à réaction si on veut que l'océan du monde conserve la beauté et le mystère des fonds marins.

La laïcité européenne, fortement influencée par la France, voit son dogme de manière assez manichéenne. Nous pouvons exprimer nos idées écologistes, bouddhistes, malthusiennes, communistes, musulmanes ou tout autre type de pensée ayant un impact sur la société... sauf des idées chrétiennes qui sont du domaine du "privée" et ne sont donc bonnes à partager qu'avec sa grand-mère et encore, quand elle n'est pas dans une maison de retraite publique.

Tout ceci est tellement ridicule que les écailles nous en tombent.
L'intelligentsia politique, économique et médiatique oublie que les principes de liberté, de charité, de séparation des pouvoirs, que l'éducation, la médecine, l'art, que tout plein de petites et grandes choses qui rythment leur vie et dont ils jouissent avec bonheur se sont développées dans un contexte chrétien historique. Faire un croix sur l'histoire de la société et sa transmission sociale est une dictature de la pensée qui ne peut mener qu'à l'absence de pensée.

Et c'est bien là toute la problématique. Nous vivons dans un monde d'émotion qui perd la raison. Une fois de plus, Benoit XVI a vu juste. L'intelligence, la culture, la discussion, la raison sont comme les coraux de l'océan : ils disparaissent lentement et méritent d'être sauvés.

Sauver les poissons chrétiens, laisser les poissons nager où ils le souhaitent, c'est redonner à l'océan sa vraie physionomie. Lui redonner son silence et sa paix. Lui redonner aussi ses confrontations entre des poissons et des baleines. Lui redonner enfin ses bulles qui montent vers la surface et plus haut encore, vers le ciel.

La foi apporte un "correctif" à nos erreurs court-termistes, nous dit Benoit XVI. Elle nous permet aussi de creuser notre raison d'être et notre vocation sur la terre. Elle nous offre une espérance qui nous pousse à toujours avancer. Elle nous guide sur un chemin de Bien. Parfois en naviguant à vue; parfois en dévorant des planctons; parfois même en abîmant le corail. Les poissons sont comme tous les êtres vivants, ils ne sont pas tous sublimes. Mais en attendant, les baleines de l'océan ne sont pas aujourd'hui en mesure de faire la morale aux poissons.
L'océan est encore bien noir, comme si un gros bateau avait lâché tout son pétrole. L'océan est plein d'animaux qui refusent de nager en bancs et préfèrent se la jouer solo. L'océan est rempli de requins et autres hippopotames qui ne sont pas l'image de la finesse.

Nous avons besoin des Evangiles. Si nous y croyons, nous y trouvons un appel à devenir saints que nous pouvons nous répéter chaque matin en nous rasant. Si nous n'y croyons pas, si nous n'avons pas la foi ou avons une autre foi, nous y trouvons une réflexion sur le monde et sur l'homme qui peut nous conduire à nous dépasser, à sortir de nous-mêmes et à laisser éclore notre meilleur bien.
La neige a fondu mais l'eau reste.
Comme les premiers chrétiens qui commencèrent à douze pour ensuite rayonner, redevenons ces poissons actifs qui crachent des bulles séduisantes.
Dieu sauva Sodome pour seulement dix justes. Il suffit de douze apôtres. Il suffit de dix justes.