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L’Ordre National des Pharmaciens condamné par l’Europe de la concurrence

Publié le 09 décembre 2010 par Tnlavie

L’Ordre National des Pharmaciens condamné par l’Europe de la concurrence

La Commission européenne vient d’infliger une amende de 5 millions d’euros à l’Ordre national des pharmaciens. Elle lui reproche d’avoir empêché la concurrence sur le marché français des examens de biologie médicale, assimilée à une activité marchande comme une autre.

L’enquête de la Commission avait commencé après la plainte du groupe LABCO, en octobre 2007, contre l’Ordre des pharmaciens et l’Etat français auprès de la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne.

Mercredi 8 décembre 2010, la Commission européenne a fini par trancher en faveur du groupe SAS Labco basé à Bruxelles et détenant environ 150 laboratoires en France. Elle a infligé une amende de 5 Millions d’Euros à l’Ordre national des pharmaciens (ONP) français et ses organes dirigeants pour avoir « imposé des prix minimums sur le marché français des analyses de biologie médicale et avoir entravé le développement de groupes de laboratoires sur ce marché« . « Le comportement incriminé a lésé les patients et l’État qui ont payé plus pour les analyses médicales que si la concurrence avait joué et s’était développée« , en ajoutant que le comportement en cause « ne semble pas avoir pris fin complètement à ce jour« , et qui l’enjoint donc d’y mettre fin (voir le communiqué de la CE).

Ces pratiques s’opposent aux règles de l’UE relatives aux ententes et pratiques commerciales restrictives (article 101 du TFUE). L’exécutif européen a rejeté le recours de l’ONP  et considéré que l’Ordre des pharmaciens était bien une association d’entreprises au sens du droit européen de la concurrence car il a une autonomie de décisions et que ses membres exercent une activité économique. 

Les investigations ont révélé que, dès 2003, des décisions de l’ONP ont « systématiquement visé » des entreprises associées à des groupes de laboratoires avec l’objectif d’entraver leur développement sur le marché français et de ralentir ou d’empêcher des acquisitions et des modifications statutaires ou au capital de ces entreprises. Par ailleurs, entre septembre 2004 et septembre 2007, l’ONP a pris des décisions visant à imposer des prix minimums, notamment au détriment d’hôpitaux publics et d’organismes d’assurance santé publics, en cherchant à interdire les remises supérieures à 10% sur les prix publics octroyées par des entreprises privées dans le cadre de contrats. Sur la période, les prix de tests d’analyse de biologie médicale parmi les plus fréquents étaient « jusqu’à deux à trois fois plus élevés en France que dans d’autres Etats membres« , selon la Commission.

 

Un recours en annulation devant le tribunal de l’Union européenne

Dans un communiqué, l’Ordre National des Pharmaciens rejette l’analyse de la Commission et la sanction qui en découle. Il envisage d’introduire un recours en annulation devant le tribunal de l’Union européenne, bien que la décision de la Commission européenne ne soit pas  pas suspensive, car cette condamnation remet gravement en cause sa mission de service public .  « L’Ordre a toujours veillé à préserver l’intérêt de santé publique. Je ne peux laisser dire que l’Ordre a lésé les patients et l’Etat français. Nous estimons cette sanction injustifiée dans sa portée et son montant », a déclaré  Isabelle Adenot, Président du Conseil National de l’Ordre des pharmaciens. Cette dernière a confirmé ce matin que l’Ordre n’avait pas reçu la décision de la Commission européenne au sujet de sa condamnation, ayant appris cette dernière simplement par le communiqué de presse de la Commision européenne du 8 décembre. Isabelle Adenot juge la sanction « injustifiée dans sa portée et son montant« . Ce dernier équivaut à 20 % du budget annuel de l’Ordre ou à la totalité des budgets des conseils régionaux de l’Ordre. « Nous rejetons fermement l’analyse de la Commission qui remet en cause la mission publique de l’Ordre« , a insisté Isabelle Adenot. La Commission rappelle par ailleurs que dans l’hypothèse où l’Ordre ne parviendrait pas à supporter seul le montant de cette amende, celle-ci pourrait in fine être supportée par les biologistes eux-mêmes.

La direction de la Concurrence a estimé que le comportement de l’Ordre, normalement chargé de veiller au respect des devoirs professionnels des pharmaciens, a nui aux patients et à l’Etat français qui ont payé plus pour les analyses médicales que si la concurrence avait joué et s’était développée. «Une association qui représente et défend des intérêts privés ne peut pas se substituer à l’Etat pour édicter ses propres règles, en limitant la concurrence par les prix là où l’Etat avait entendu la maintenir et en entravant le développement d’entreprises sur le marché au-delà de ce qui est prévu par la loi », a expliqué le commissaire à la Concurrence, Joaquìn Almunia. «En tant qu’association d’entreprises, l’ONP et ses membres sont tenus, comme tous les acteurs de la vie économique, au respect du droit européen», a-t-il ajouté.

De son coté, dans un communiqué de presse du 9 décembre, Labco « se félicite » de la décision de la Commission européenne. « Cette décision est une avancée importante dans notre contribution à la modernisation du marché de la biologie française, afin de le rendre plus efficace et concurrentiel dans le contexte européen », a commenté Labco.

 

Plusieurs remarques au terme de cet exposé des faits

Il s’agit d’une condamnation émanant de la direction générale de la concurrence, organe opaque souvent critiqué pour être le chantre du libéralisme économique en Europe et vouloir libéraliser les services publics des Etats membres, sans substrat d’ordre économique mais dans un seul  »souci idéologique » (ou aidé par les nombreux lobbys sévissant à Bruxelles…).

Or, la politique de concurrence repose sur un double fondement juridique et économique.

- Juridique car il est constitué d’un ensemble de règles déterminant les pratiques licites et illicites des acteurs économiques.

- Et économique car sa visée ultime ne devrait pas être le respect des règles en soi, mais la protection du consommateur et l’efficience économique.

Le 1er grief reproché à l’ONP est donc d’avoir « imposer des prix minimums sur le marché français des analyses de biologie médicale. »

L’article 81 du traité interdit en effet les accords entre entreprises qui peuvent  empêcher, restreindre ou  fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun. Les accords entre entreprises  sont  interdits lorsqu’ils ont pour effet ou pour objet de fixer les prix du marché ou de se répartir géographiquement les marchés . Il s’agit des ententes dont l’objectif est de fixer un prix supérieur à celui qui résulterait du libre jeu de la concurrence.

Or, les tarifs de la nomenclature des actes de biologie médicale (NABM) sont, comme chacun sait, fixés chaque année par l’Etat français, et réévalué -de façon parfois discutable-  à la baisse en raison principalement des progrès techniques. Ils n’obéissent en aucun cas à la « loi du marché » ou à un quelconque équilibre entre l’offre et la demande. D’autre part, le refus des ristournes permettant à un acteur privé « d’emporter d’autres marchés » trouve justement sa justification par le souci de non distorsion de concurrence par la pratique de prix cassés, qui ne sauraient  s’appliquer dans le domaine d’actes médicaux, qu’il ne serait pas raisonnable de brader sur le plan de la sécurité sanitaire. Il faut donc distinguer libre concurrence et pratique anti concurrentielle visant à proposer des prix cassés dans le seul but d’emporter des marchés sur un marché réglementé par les pouvoirs publics. Enfin, il est reconnu que les tarifs remboursés de biologie médicale -incluant en France le pré et le post analytique- sont globalement équivalents aux tarifs pratiqués ailleurs en Europe. Ce vieil adage consistant à stigmatiser la France pour ses tarifs élevés ne repose sur aucune étude scientifique fiable (en raison principalement des difficultés de comparaison entre pays) et ne cible que 2 ou 3 analyses choisies stratégiquement sur les centaines pratiquées quotidiennement.

Enfin, l’article 82 du Traité interdit aux entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur un marché, situation de puissance économique  lui permettant d’agir indépendamment du comportement de ses concurrents et, au final, des consommateurs. Ainsi, le Traité prohibe  l’abus de ce pouvoir qui consiste en son utilisation pour mettre en œuvre des pratiques prédatrices, discriminatoires ou fidélisantes ayant pour objet ou pour effet de restreindre les conditions de concurrence

Le 2ème grief porte sur « l’entrave du développement de groupes de laboratoires sur le marché des examens de biologie médicale ».

L’ONP s’est limité à garantir, mission déléguée par l’Etat rappelons-le,  l’indépendance des exploitants de laboratoires à l’égard des tiers et ont ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général visant à éviter les collusions préjudiciables aux patients ainsi qu’à la santé publique. Ainsi, le tribunal administratif de Paris avait statué en 2009 dans une plainte cette fois ci d’Unilabs en faveur de l’ONP et avait alors déclaré: « il relève de la compétence même du conseil central de l’ONP d’évaluer les montages au regard de la législation et des exigences déontologiques de la profession. »

Parmi les prérogatives de la Commission européenne, on trouve en outre le pouvoir (et le devoir?) de contrôler les concentrations. La mission de la Commission est de déceler  les risques de position dominante induits par les opération de concentration sur un marché donné. Une mission qui rejoint donc celle de l’ONP qui a cherché à limiter le risque de savants montages via des laboratoires espagnols ou belges, hors législation française, et visant à contourner la règle de détention majoritaire du capital aux biologistes en exercice et donc de limiter la surconcentration.

On définit  une concurrence efficace entre les fournisseurs de biens et de services quand elle a pour effet de réduire les prix, d’améliorer la qualité et d’élargir l’éventail de choix du consommateur.

Dans un domaine où les montants de remboursement sont fixés par l’Etat, où une norme qualité particulièrement exigeante devient obligatoire pour l’ensemble des laboratoires français et ce, pour la 1ere fois dans un pays européen, pour des examens de biologie médicale standardisés et conformes aux strics besoins requis en l’état actuel de la science, on peut légitimement se demander en quoi il est nécessaire de condamner un Ordre professionnel, garant de l’éthique d’une profession de santé, à indemniser un opérateur privé ne cachant pas sa volonté d’être coté en bourse. Sans compter qu’encore une fois, le pouvoir régalien de l’Etat français concernant la liberté d’organiser son système sanitaire est bafoué, sans -d’ailleurs à ce jour- aucune réaction de sa part (contrairement à une certaine politique d’immigration auquel nous avons pu assister cet été). Qui plus est, l’article 168 du TFUE indique que l’action de l’Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne l’organisation de leurs soins médicaux, incluant l’allocation des ressources qui leur sont affectées.

A noter que le montant de l’amende, évalué il y un an à plusieurs centaines de millions d’euros (reflétant le manque à gagner pour Labco dans le ralentissement des opérations de fusion/acquisition) se révèle  finalement assez limité en partie car la CE imposait pour la première fois une amende à une association d’entreprises en invoquant la possible responsabilité financière des entreprises des membres dirigeants. Malgré tout, l‘impact financier de cette affaire pourrait ne pas se limiter à la seule amende prononcée par la Commission. En effet, sa décision constitue une preuve contraignante du comportement anticoncurrentiel de l’Ordre, qui peut désormais être poursuivi en réparation devant les juridictions nationales par les personnes physiques ou morales qui auraient subi un préjudice de ce fait, comme le rappelle le communiqué de la CE.

A de nombreux égards, la décision de condamner l’Ordre National des Pharmaciens français nous apparait donc particulièrement litigieuse et nous soutenons évidemment l’ONP dans sa démarche de recours en annulation devant le tribunal de l’Union européenne.

Selon la Commission Européenne, le marché européen des services d’analyse de biologie médicale est estimé à 25 milliards d’euros, dont 4.4 milliards d’euros pour le seul marché français, privé et public confondu. 1/5 du marché, aucun doute qu’il s’agit d’un gros gateau sur lequel il convient de bien se positionner, d’autant qu’il  relève majoritairement du domaine privé contrairement à d’autres pays européen comme l’Allemagne. Il est donc logique que se déchainent autant de passions autour de la législation et de ses interprétations. Il reste regrettable que le sort d’une institution aussi respectable que l’ONP soit scellé par une organisation sans réelle légitimité politique, aux pouvoirs visiblement supranationaux et éloignés des réalités législatives en vigueur dans les Etats membres.

Dans une semaine, le 16 décembre, la CJUE rendra son verdict concernant la légitimité qu’a l’Etat français de souhaiter réserver la majorité du capital des sociétés exploitant des laboratoires aux biologistes médicaux en exercice au sein de ces sociétés afin de préserver leur indépendance d’exercice. La condamnation du CNOP par la direction de la concurrence pourrait elle avoir une influence sur le verdict de la CJUE, nul ne le sait. Bruxelles a néanmoins souhaité rappeller que cette condamnation concernait exclusivement le comportement de l’ONP et ne visait pas la façon dont le marché français des analyses de biologie médicale était organisé par les dispositions légales.


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