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Justice et sécurité aérienne

Publié le 10 décembre 2010 par Toulouseweb
Justice et sécurité aérienneLe choc des cultures continue encore et toujours de poser problčme.
Est-il possible de réconcilier les différents artisans d’une sécurité aérienne sans cesse en chantier ? La double enquęte technique et judiciaire pratiquée en France est-elle justifiée ? Juges et enquęteurs techniques parleront-ils un jour la męme langue ? Les politiques doivent-ils intervenir dans ce débat toujours recommencé ? Les médias ont-ils l’influence qu’on leur pręte ? Les questions se bousculent ŕ l’instant męme oů s’ouvre tout débat consacré ŕ ce thčme sensible.
A Aix-en-Provence, l’Ifurta a éloquemment confirmé la difficulté de conduire un échange de vues équilibré. Son séminaire au sommet a suscité des sentiments mitigés quant aux chances de progresser utilement, dans un contexte apaisé. Non pas que les divergences de vues soient profondes mais surtout en raison d’intéręts contradictoires, adossés ŕ des convictions solides, mais pas toujours de bonne foi. De plus, il est apparu une fois de plus que les préjugés ont la vie dure.
Le moment état tout ŕ la fois difficile mais bien choisi, sachant que le verdict du procčs Concorde avait été rendu l’avant-veille de l’ouverture de ce séminaire. Mieux, étaient présents (et intervenants) le juge Dominique Andréassier, qui a mené ŕ bon port le procčs de l’accident de Gonesse, Christophe Régnard, président de l’Union des syndicats de magistrats, des ténors du barreau spécialistes čs-aviation, un politique trčs engagé, Odile Saugues, les principaux responsables de la gendarmerie des transports aérien, le BEA, Air France, etc. . L’occasion d’un arręt sur image de qualité et la possibilité –si besoin était- de rappeler que le thčme Ťjustice et sécurité aérienneť demeure le plus complexe qui soit. On le constatera ŕ nouveau, de maničre délicate, quand viendra le moment de débattre de la catastrophe du vol AF447 Rio-Paris.
Il n’est pas judicieux de camper sur des positions mal étayées, il est indispensable d’ętre ŕ l’écoute et de percevoir des orientations, des aspirations, des demandes, qui ne sont pas toujours celles que l’on espérait. Ainsi en va-t-il, par exemple, de la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs, Fenvac. Son secrétaire général, Stéphane Gicquel, a introduit une touche d’humanité bienvenue dans des débats inévitablement graves, sévčres. Evoquant une Ťréalité sombreť du transport aérien, il a souligné que les victimes d’accidents sont des hommes et des femmes ordinaires, dont les familles espčrent solidarité et entraide bien plus que des compensations qui ne remplaceront évidemment pas leurs disparus. Malgré de multiples parasitages, il s’agirait d’évacuer une vision souvent irrationnelle des attentes de ces proches des victimes.
Stéphane Gicquel a surpris, voire rassuré. Il a notamment évoqué le comportement exemplaire d’Air France dans le dossier douloureux de l’AF447. Il a aussi parlé du dialogue de la Fenvac avec le BEA, ce qui revenait ŕ dire que la communication existe et qu’elle se veut constructrice, contrairement ŕ ce qu’on entend dire ici et lŕ. ŤOn se parle, le temps du rapport d’autorité est aujourd’hui révoluť. D’oů l’intéręt particulier des quelques instants consacrés ŕ la théorie du complot, trčs souvent présente en marge des grandes catastrophes : elle serait tout simplement le symptôme d’un traumatisme grave. Mais ladite théorie ne serait ressentie que par un nombre limité de personnes, élevée au rang de stratégie de défense. Ajoutons que c’est un thčme insuffisamment , y compris le rôle des médias.
Christophe Régnard a par ailleurs dit clairement qu’un choc des cultures complique les relations entre le monde aérien et la Justice. Et d’ajouter perfidement Ťqu’il n’est jamais sain qu’un corps se replie sur lui-męmeť. D’autant que le procčs qui fait suite ŕ tout accident ne met en scčne qu’un seul généraliste, le juge. ŤLe monde aérien, lui, est un tout petit milieuť, constat indéniable, mais sans que le magistrat s’aventure ŕ dire tout haut qu’il suscite une certaine forme de méfiance. Il reste beaucoup ŕ faire quand on entend dire que la communication assurée par le BEA pose Ťun vrai problčmeť et suscite l’inquiétude, qu’un nouveau rčglement européen suscite de profondes réserves.
Dominique Andréassier, premičre vice-présidente du tribunal de grande instance de Pontoise, a conduit le procčs Concorde : Ťquinze mois de ma vie, pendant lesquels je n’ai pensé qu’ŕ çať. Quatre mois d’audiences, quatre mois de délibéré. Qu’a-t-elle dit, tranquillement ? ŤJe ressens dans ce séminaire une méfiance vis-ŕ-vis de la Justiceť, ajoutant aussitôt que les magistrats sont capables de comprendre beaucoup de choses, qu’ils ne sont pas enfermés dans le monde judiciaire mais aussi qu’il leur faut éviter de se laisser manipuler par les uns et les autres. Une remarque qui s’adresse de toute évidence aux experts et non pas aux avocats. Lesquels ont donné de la voix.
Daniel Soulez-Larivičre a saisi l’occasion pour dénoncer les lenteurs de la Justice, prenant évidemment pour exemple le cas extręme de l’accident du Mont Sainte-Odile, une procédure qui a duré 17 ans. Il a aussi dénoncé la victimisation des accidents tandis que son collčgue Patrice Rembauville-Nicolle s’en est pris ŕ la compétence des juges et a affirmé que, dans certains cas, l’instruction judiciaire ne présente aucun intéręt, relayé en cela par Christian Buffat. Il reste décidément beaucoup ŕ faire…
Le politique s’intéresse peu ŕ la sécurité aérienne, créneau que cherche ŕ occuper Odile Saugues, député, auteur d’un volumineux rapport qui a tout au plus connu un succčs d’estime. Elle imagine la création d’une haute autorité dont, visiblement, d’autres ne veulent pas. Ladite autorité existerait-elle déjŕ, ŕ travers la Justice ?
Michel Wachenheim s’est risqué, courageusement, ŕ formuler une conclusion trčs provisoire : la notion d’indépendance pose problčme, il y a lŕ un débat spécifique ŕ la France en męme temps qu’une encombrante dualité. Il aurait pu ajouter que tout reste ŕ faire.
Pierre Sparaco - AeroMorning

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