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Europe N°1 - vitesse de croisière

Publié le 10 décembre 2010 par Ruminances

europe119551647gogd.jpgLe changement géographique de bureau ainsi que le fait de partager un espace avec une collègue m’ont, en fait, aidée à sortir de l’emprise de ce patron quelque peu possessif qui était le mien.

Par la même occasion, mon univers personnel s’est ouvert sur ce média où j’évoluais et les autres gens qui y travaillaient. Je commençais à m’y trouver bien, je partageais de grands moments de rigolade avec mes copains, particulièrement avec P.M., l’assistant de Siegel, Dudu, son chauffeur, Jean-Claude, Toulonnais, monteur fou de musique, les secrétaires du service des reportages, ou quelques unes des « soeurs frappe-frappe », souvent des femmes assez originales voire excentriques, plus toutes jeunes mais intéressantes. L’une d’elles qui faisait le soir venait travailler avec son chien.

Nous passions notre temps libre au bar d’à côté où nous croisions les artistes du moment, Gainsbourg et Birkin entre autres. L’ambiance y était bon enfant. C’était la succursale de la station de radio.

De temps à autres, nous faisions de petites fêtes impromptues dans le bureau de Siegel, après qu’il ait tourné les talons. Chacun allait acheter de quoi boire ou grignoter et nous passions la soirée ensemble, vautrés dans le bureau du directeur. Il m’est arrivé un soir de faire une danse du ventre sur le bureau directorial. Le lendemain, Siegel aurait demandé à son assistant ce qu’étaient ces traces de pas sur son bureau (j’avais pourtant quitté mes chaussures).

Un soir, l’hôtesse d’accueil étant absente, j’ai dû la remplacer au pied levé et aller servir à boire à l’invité de l’émission-débat de mon patron. François Mitterrand, alors 1er Secrétaire du P.S. attendait l’heure dans le bureau de Siégel, avec son staff, celui du service politique de la rédaction, mon boss, Siegel etc. Je devais servir à boire à tout ce petit monde et j’étais littéralement tétanisée à l’idée d’avoir à m’adresser à Mitterrand, qui était glacial et pour qui j’avais l’impression d’être transparente. Michèle Cotta, qui le connaissait fort bien à l’époque, a dû sentir ma timidité extrême et m’a proposé d’aller lui demander ce qu’il souhaitait boire… ce qui m’a permis de l’éviter. Jamais été aussi impressionnée par un homme de ma vie.

JJSS (Servan-Schreiber) qui s’était lancé dans la politique après l’Express, s’asseyait sur mon bureau, lorsqu’il était l’invité de mon patron, j’avais eu un soir Giscard appelant directement de son Ministère (sa secrétaire avait dû rentrer dans ses foyers). J’évoluais dans ce monde politico-médiatique en sachant où était ma place et je n’avais qu’ un intérêt assez léger pour lui. Le seul qui m’ait intimidée a été Mitterrand. Le lendemain, l’hôtesse à qui je contais ma « soirée dépannage » m’a dit qu’un jour, alors qu’elle l’accompagnait du parking au bureau de Siegel, l’ascenseur s’était bloqué entre 2 étages. Mitterrand, seul avec elle s’était alors muré dans un terrible silence en la fixant d’un regard très noir. Elle gardait de ces 15 mn de solitude avec F.Mitterrand un très désagréable souvenir.

Si, de mon côté, je m’épanouissais, mon patron, lui, n’avait pas changé. Toujours aussi exigeant, méfiant, paternaliste… J’arrivais à 9h (plus souvent avant) le matin et partais souvent à 9h, voire plus tard s’il y avait du taff, le soir. Je travaillais tous les samedi matin et de temps en temps faisais une permanence le samedi après-midi.

C’est un samedi après-midi que mes rapports avec mon boss ont changé. En fin de matinée, il avait exigé que je reste l’après-midi alors que ça n’était pas mon tour. Il avait un rapport confidentiel à me faire photocopier (environ 250 pages dactylographiées) ! A l’idée de passer mon après-midi à la photocopieuse, j’ai commencé à râler. Inflexible ! Je devrais donc passer le samedi après-midi à faire ce boulot passionnant ! C’est vraiment à reculons que j’ai commencé, en pestant parce que j’avais prévu autre chose pour mon après-midi. Deux heures plus tard, j’en étais à peu près à la page 200 quand la photocopieuse s’est coincée ! J’eus beau tirer sur le papier, « débourrer » la machine ! Bloquée. Je suis descendue à la Rédaction voir si je pouvais trouver un bricoleur pour m’aider… personne. J’ai donc appelé mon boss chez lui pour lui annoncer la nouvelle. Il a déboulé comme une furie dix minutes plus tard à la photocopie où j’essayais toujours de bricoler.

- « Mais vous l’avez fait exprès« , a-t-il commencé en vociférant.

- « Oui, bien sûr, pour prolonger d’autant mon temps de travail si passionnant » ai-je répondu au bord de la crise de nerfs.

A la suite de quoi il a plongé le nez dans le moteur, s’est énervé, n’a pas décoincé le bouzin, s’est re-énervé et m’a ré-engueulée. Je me voyais rester là jusqu’à 9h du soir à cause de cette satanée photocopieuse ! Car c’est couru : ces engins tombent toujours en panne lorsqu’on est pressé d’en finir avec eux.

Un moment, mon boss a voulu vérifier les 200 feuillets déjà imprimés et a trouvé une photocopie loupée (l’original était passé en biais). En me rendant le bloc de photocopies et en montrant la page « en biais », il m’a dit ce qu’il aurait mieux fait de garder pour lui :

- « Quand on n’est même pas fichue de prendre la pilule et qu’on se retrouve enceinte, comment voulez-vous être capable de prendre des photocopies » !

Me reste de ce moment un souvenir d’implosion. Je ne sais toujours pas si j’ai hurlé ou si je me suis tue mais je sais qu’il s’est pris toutes les photocopies à la figure. Je suis redescendue à mon bureau et j’ai plié mes affaires. C’était trop. Je n’ai même pas réfléchi aux conséquences que ça pouvait avoir sur mon avenir. Qui avait cafté ? Habillée, j’ai attendu 18h dans mon bureau sans dire un mot. Leroy a essayé de s’expliquer (pas de s’excuser… il ne s’est jamais excusé). C’était trop humiliant pour moi. J’ai tourné les talons sans mot dire.

Le lundi, je m’attendais à être convoquée pour subir l’ire habituelle. Mais je n’en avais que faire. J’étais prête à tout.

Et rien ne s’est passé.

A partir de ce jour-là, le pouvoir a changé de camp, tant je le méprisais.

Il pouvait me dire n’importe quoi, je m’en fichais comme de l’an 40. J’étais en règle avec moi-même, je faisais mon boulot et le faisais bien et s’il n’était pas content, moi je l’étais.

Peu de temps après cet épisode, j’appris en voyant mon bulletin de salaire que j’étais passée cadre et que j’avais été augmentée. Nous étions en 73.

L’année 1974, ma dernière à Europe N°1 reste le meilleur souvenir de mes 38 ans de travail dans le Paysage Audiovisuel Français.

C’est pour le prochain épisode.

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