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Du coup d’œil à la guerre, ratiocinations…

Publié le 11 décembre 2010 par Egea

Comment le chef prend-il une décision ? à la suite d'un processus rationnel, à la suite du travil de son état-major ? Oui, mais pas seulement. Il a besoin de "coup d'œil, comme nous le rappelle Clausewitz. Mais ce coup d'œil, n'est-ce qu'une banale "intuition" ? ou y a-t-il quelque chose de plus rationnel qui l'explique ?

Jean-Pierre Gambotti nous livre ici un court texte qui considère ce coup d'œil, si indispensable au "chef". Cela renvoie à ce que j'écrivais dans un article récent de DSI, que je dois d'ailleurs vous mettre en lecture : être chef, cela s'apprend.

Mille mercis à lui en tout cas pour ce débat sur le commandement.

O. Kempf

Du coup d’œil à la guerre, ratiocinations… par J.-P. Gambotti

Dans son chapitre sur le « génie guerrier » Clausewitz traite des qualités que doit posséder le chef de guerre, il s’attache en particulier au « coup d’œil» et à « la résolution » qui vont bien entendu de pair.

Citons un court extrait du Chapitre III, Livre 1 : « La guerre est le domaine de l’incertitude ; les trois-quarts des éléments sur lesquels se fondent l’action restent dans les brumes d’une incertitude plus ou moins grande. Plus qu’en n’importe quel domaine, il faut qu’une intelligence subtile et pénétrante sache y discerner et apprécier d’instinct la vérité(…) Pour traverser sans dommage ces conflits incessants avec l’imprévu, deux qualités sont indispensables : d’abord un esprit qui même au sein de cette obscurité accrue ne perd pas toute trace de la clarté interne nécessaire pour le conduire vers la vérité ; ensuite le courage de suivre de suivre cette faible lueur. Le premier a été désigné au figuré par l’expression française « du coup d’œil » ; l’autre est la « résolution ».

Passons sur « la résolution », la virtù de Machiavel , cette qualité nécessaire pour imposer sa volonté à la fortuna, quiconque a côtoyé le chef dans la décision admet son importance.

Mais personnellement j’ai longtemps contesté la notion de « coup d’œil ». Je l’ai même niée avec obstination, car pour moi elle rimait dangereusement avec l’intuition, c’est-à-dire avec l’inné qui fait du chef un être d’exception qui doit sa distinction à la génétique ou au fatum. Bien entendu ce n’est pas simplement « le coup d’œil corporel » que Clausewitz promeut, mais « le coup de l’œil de l’esprit », c'est-à-dire cette aptitude à apprécier les circonstances pour décider avec justesse, capacité qui d’évidence ressortit aussi à l’expérience, au savoir, à la culture.

C’est en m’interrogeant sur la théorie des signaux faibles que cette question « du coup d’œil » du chef chez Clausewitz m’est revenue comme « un clin d’œil » sérendipiteux, petite avancée fortuite dans mon questionnement un peu obsessionnel sur « le bien penser la guerre ». Dans l’exercice de nos responsabilités nous avons tous négligé, un jour, ces signes mineurs apparus dans notre environnement, signes apparemment dérisoires dans la contingence qui se sont révélés à terme comme précurseurs d’un événement majeur pour l’action que nous conduisions. A ma connaissance il n’existe pas dans le domaine de la guerre une application spécifique de cette théorie des signaux faibles. Ces éléments, et ils sont pléthore dans ce domaine de l’incertitude et de l’action, sont pris en considération de manière particulière et satisfaisante par les spécialistes du renseignement ou des opérations par exemple.

Mais quand vient le temps pour le chef de décider sa manœuvre, celui-ci tout en accordant sa confiance à l’expertise des spécialistes de son état-major, doit néanmoins reconsidérer l’ensemble des éléments qui ont conduit ses penseurs aux différentes propositions de l’action à entreprendre et à la concaténation qui en découle, ce concept d’opérations qui va porter toute la campagne jusqu’à l’état final recherché. Cette phase décisionnelle du chef est en quelque sorte l’ordonnancement intellectuel de tous les considérants de l’action, y compris les signaux faibles, en un panorama de la guerre à conduire, c'est-à-dire à une image cohérente, synthétique et lumineuse de la campagne. Pour moi, le coup d’œil clausewitzien c’est cette capacité du chef à donner à un apparent désordre, cet ordre désordonné, un sens. J’oserai comparer cette opération de l’esprit permettant de reconstruire la réalité déconstruite, à une anamorphose.

L’innéité est pour peu de chose dans cette qualité, comme pour la chance à la guerre, elle trouve son terreau dans la curiosité pour les disciplines de l’esprit et la méditation des traités des bons stratèges.

Jean-Pierre Gambotti


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