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Le Pen, ou la logique du populisme

Publié le 13 décembre 2010 par Ruddy V / Ernst Calafol

Le Pen, ou la logique du populismeLa tenue actuelle du « débat public » donne à Marine Le Pen le beau rôle. De tous les prétendants à 2012, elle est peut-être la seule à gagner des voix sans avoir à lever le petit doigt. C’est la logique du populisme.

En 1925, l’écrivain allemand Ernst Jünger, ancien combattant d’élite de 14-18, est nationaliste. Il enrage de la situation de son pays, battu puis affaibli par le traité de Versailles. Un jour de cette année, il entend Adolf Hitler s’exprimer. C’est le choc, face à celui qui est encore un inconnu. Voici comment il le décrit :

«J’ai été saisi par quelque chose de différent, comme si je subissais une purification. Nos efforts incommensurables, pendant quatre années de guerre, n’avaient pas seulement conduit à la défaite, mais à l’humiliation. (…) Et voilà qu’un inconnu se dressait et nous disait ce qu’il fallait dire, et tous sentaient qu’il avait raison. Il disait ce que le gouvernement aurait dû dire, non pas littéralement, mais en esprit, dans l’attitude, ou aurait dû faire tacitement. Il voyait le gouffre qui se creusait entre le gouvernement et le peuple. Il voulait combler ce fossé. Et ce n’était pas un discours qu’il prononçait. Il incarnait une manifestation de l’élémentaire, et je venais d’être emporté par elle. »

Un gouvernement qui nie l’évidence

Rappelons que quelques années plus tard, Jünger reverra son jugement à propos de Hitler, et finira par le mépriser. Mais la réaction épidermique, affective d’un homme de la trempe de Jünger (soldat de première ligne blessé 14 fois) est significative. A quel moment apparaît le danger populiste ? Lorsque le mécontentement est tel qu’il ne demande pas tant une politique qu’un droit à la vengeance, un moyen officiel d’exprimer son ressentiment, de retrouver une fierté perdue, d’être payé en retour de vains efforts. Ce danger est d’autant plus puissant lorsque le gouvernement en place nie l’évidence, ne prend pas assez au sérieux le danger et continue à survendre des réformes loin de répondre aux attentes ; quand les gouvernants ne se rendent pas compte que la demande du peuple a changé de nature, est passée, pour schématiser, du « rationnel » à « l’émotionnel ».

Toute proportions gardées, il crève les yeux que le positionnement de Marine Le Pen est, de ce point de vue, idéal. Il ne s’agit pas de prétendre qu’elle ressemble à Hitler. Mais elle peut, comme il l’a fait en son temps, recueillir tranquillement  les fruits du mécontentement, sans même en avoir l’air, sans être obligée de mobiliser le temps médiatique. Car contrairement à tous les politiciens qui, au fond, se forcent à aller devant les micros, le contexte livre à Marine Le Pen toutes ses prises de parole : les situations et le temps travaillent pour elle, alors qu’ils travaillent plutôt en défaveur des autres membres de la classe politique, qui se voient obligés, la plupart du temps, de se surexposer devant les médias pour donner l’impression qu’il se passe quelque chose de leur côté.

Le cancer du populisme est en phase active

Mais ce qu’il se passe actuellement, le seul fait digne d’attention, ce n’est pas l’agitation positive de quelques ministres, c’est la montée négative, silencieuse, tranquille, assurée, anti-médiatique, d’une colère dangereuse, sans visage, d’une masse de personnes qui estiment, au regard de leur travail, de leurs efforts, être lésées. Pour reprendre les termes de Jünger, « l’élémentaire » revient, et on sait de quoi il est capable ; il « purifie », mais souvent au prix le plus fort.

C’est la grande puissance du populisme : il grandit à peu près sans aucune motivation politicienne, il a tout juste besoin d’un homme politique normalement talentueux pour récolter ce qu’il n’a même pas besoin de semer. Le populisme est la névrose latente d’une société d’opinion comme la nôtre. Il est un « non » excédé, dicté par l’impuissance, ce « non » qui, lorsque la colère est trop forte, travaille en opposition frontale avec tout l’édifice démocratique qui a donné naissance à cette colère même. Son cancer.

En parlant de populisme, ramenons Mélenchon à ses limites : tant qu’il n’ira pas titiller les instincts primaires en accusant les immigrés (ou les Juifs, comme l’avait fait à plusieurs reprise Jean-Marie Le Pen), il ne sera pas populiste. Le populiste fait dans l’irrationnel le plus total, c’est sa botte secrète, son invisible et insondable réservoir de vote, de votants honteux mais furieux, c’est son emprise sur les psychologies, les sous-terrains pulsionnels qui n’intéressent pas les médias, qui ne passent pas à l’image.

Tout joue en faveur de Le Pen

Marine Le Pen peut continuer sa route ; on imagine mal ce qui pourrait la desservir.

Quand Drucker refuse de l’inviter à Vivement dimanche, alors qu’il y a invité Mélenchon, cela joue en sa faveur. Puisque tant de gens regrettent de n’être pas représentés par les médias, qui seraient réservés à une « élite » (écoutez, le fantasme du « Juif-manipulateur » n’est pas loin).

Quand elle pointe du doigt les immigrés, les accusant de tous les maux, cela dépasse toute rationalité, et par là-même cela joue en sa faveur. Car c’est soulageant pour beaucoup de désigner un bouc émissaire.

Quand tous les politiciens accusent Marine Le Pen de dépasser les bornes parce qu’elle a dérapé, quand ils l’accusent de sortir du champ politique, cela joue en sa faveur. Car beaucoup recherchent justement à exprimer un mécontentement auquel le « champ politique » ne propose aucune solution.

Quand elle ne dit rien, cela joue en sa faveur : car un électorat plus modéré va se rapprocher d’elle, du fait de sa dédiabolisation.

Quand Jean-François Copé dit qu’elle est comme son père, cela joue en sa faveur. Puisque son père a fait 16,86 % au premier tour en 2002.

C’est en général dans le langage qu’un politicien s’impose ; l’exemple parfait, c’est Barack Obama, qui a su dédramatiser plusieurs débats de fond, aux États-Unis, par son phrasé, le respect de ses auditeurs, le suivi des idées dans ses discours. Le mauvais exemple semble être ce que fait la France de Sarkozy, qui est, en partie, la France de Le Pen, qu’on le veuille ou non (voir 2002, 2007, et peut-être 2012). Une parole qui clive (expression qu’affectionne Sarkozy), qui sépare, qui tranche, qui simplifie. Qui fait tout pour ne pas rendre compte que la vie est subtile, et que l’oublier serait l’erreur la plus grave.

Philippe Sollers avait parlé, en 1999, d’une « France moisie ». Cela s’est donc vérifié en 2002, 2007. Quid de 2012 ? Pour le moment, en 2010, c’est certain, la France moisit toujours.

Crédit photo : Neno° / Flickr



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