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Pharmacien, où vais-je?

Publié le 15 décembre 2010 par Jean-Didier
Lundi matin il m'a été demandé quelle était pour moi l'évolution du métier de pharmacien dans les prochaines années? Comment est-ce que je la vois?
Naturellement, à ce type de question, les interlocuteurs attendent de moi que je leur parle d'éducation thérapeutique (notamment à cause de mon parcours). Il n'en est rien! Je pense que les pharmaciens d'officine ne sont pas encore prêts à relever le défi que représente l'éducation thérapeutique dans la révolution du soin. C'est une posture: l'abandon de l'autorité de ses savoirs, l'acceptation de la personne malade comme partenaire. C'est aussi travailler en collaboration avec les autres professionnels de santé, sortir de son officine.
Pour ma part, le pharmacien a un autre domaine du soin à investir. Un champ laissé vierge et qui correspond à son expertise sur le médicament: l'optimisation de la stratégie thérapeutique médicamenteuse en ambulatoire. Nous sommes restés ancrés sur la distribution du médicament alors que les années 90 ont vu apparaitre l'interaction médicamenteuse, les années 2000 les cytochromes et maintenant la glycoprotéine P. Voici un champ d'expertise dont aucun professionnel de santé ne s'est saisi et dont le pharmacien semble le plus amène à investir!
L'étude ENEIS (1), réalisée en France en 2004, montre que les 2/3 des évènements indésirables graves ayant motivé une hospitalisation sont générés suite à une prise en charge en ville. 38,7% d’entre eux sont en lien avec un médicament et 50% sont jugés évitables. Les problèmes à l’origine de l’évènement indésirable relèvent dans 50% des cas à une erreur de surveillance de soins, à une non-observance, ou à une erreur d’administration du produit. Dans 33%, il s’agit d’une indication erronée, dans 11,6% des cas un retard de mise en œuvre du traitement. Chacun de ses problèmes sont des champs d’actions du pharmacien d’officine dans le contexte des soins pharmaceutiques.
L’étude Polychrome (2) a quant à elle mis en évidence les pratiques des médecins généralistes chez les patients polypathologiques.
L’analyse pharmacologique a montré l’étendue des prescriptions d'interactions médicamenteuses et de contre-indications. Les interactions ou contre indications potentiellement graves représentent 7% des prescriptions. La gestion des interactions et des contre-indications: un domaine partagé avec le pharmacien!
Il ressort également qu'il est nécessaire de rationaliser l’utilisation des référentiels de pharmacologie afin de mieux cerner le risque iatrogénique. Les différences de gravité entre les bases de données ainsi que l'effet délétère des alertes systématiques informatiques sur les logiciels de délivrance avait déjà été pointées du doigts pour des pharmaciens cliniciens hospitaliers (3)! Voici une expertise du pharmacien clinicien hospitalier que le pharmacien officinal pourrait acquérir!
Il serait possible de diminuer d'un tiers le nombre de médicaments prescrits par ordonnance par réévaluation de l’intérêt des thérapeutiques et de diminuer fortement la iatrogénie. Outre son expertise, le pharmacien étant un professionnel de proximité peut partager les informations recueillie lors des dispensations avec les médecins et ainsi aider à hiérarchiser les thérapeutiques.
Selon eux-mêmes, un groupe de médecins généralistes peut améliorer notablement un dossier médical complexe. Pourquoi ne pas y intégrer un pharmacien comme l'ont fait les suisses dans le cadre des Cercles de Qualité?
Que peut apporter la participation d'un pharmacien au choix thérapeutique à la société, au médecin et à la personne malade?
Tout d'abord, l'expérience suisse des Cercles de Qualité (réunions entre médecins et pharmaciens suivant une formation continue en evidence based medecine dans le but d'optimiser la stratégie médicamenteuse) génère une économie cumulée de 120000€ par médecin sur sept ans tout en maintenant la qualité des soins (4)! L'étude SMOG, HOMER ou Stewart ne démontrent certes pas de diminution du coût global de la santé suite à l'intervention du pharmacien mais reconnaissent que l'économie ne réside pas dans une diminution de la prescription mais bien dans l'amélioration de la qualité des soins (5-7)!
Dans l'étude canadienne IMPACT visant à intégrer un pharmacien aux équipes de premier recours, les médecins reconnaissent les bénéfices de l’apport d’informations complémentaires recueillies par le pharmacien: l’historique médicamenteux est plus complet! Ils apprécient également l’expertise pharmaceutique large sur les interactions médicamenteuses, et notamment celles impliquant les aliments et les médicaments alternatifs et complémentaires. Cette expertise permet un gain de temps pour les médecins: le pharmacien est la personne ressource qui apporte une information validée pour les questions relatives au médicament. De plus, les interventions pharmaceutiques permettent aux médecins d'actualiser leurs connaissances par effet d'apprentissage. Tout ceci concours à sécuriser encore plus la prescription médicamenteuse (8,9)!
Une revue Cochrane réalisée par Nkansah pointe la difficulté d'obtenir des résultats en terme de morbi-mortalité compte tenu des faibles échantillons et des durées trop courtes d'investigation (10). Néanmoins, dans un essai randomisé évaluant l’impact d’entretiens pharmaceutiques auprès de patients de plus de 65 ans bénéficiant d’un traitement chronique, associés à des recommandations au médecin généraliste, Zermansky observe une diminution du taux de mortalité dans le groupe intervention: 15 décès pour 590 personnes incluses dans le groupe intervention contre 25 décès pour 233 personnes incluses dans le groupe contrôle (11).
Et dans quel cadre le pharmacien pourrait-il exercer ces nouvelles tâches?
Je pense qu'il faille que le pharmacien sorte de l'officine. Je pense même qu'un nouveau métier pourrait émerger: celui de pharmacien ambulatoire! Un pharmacien qui ne dispenserait pas de médicaments et qui irait conduire des entretiens aux domiciles des personnes. Utopie? Non, il existe! Nathalie Calop a reçu l'un des prix Initiatives Pharmacie 2008 pour son action au sein du réseau RESIC 38. Et elle est suivie! Un jeune pharmacien ambitionne les mêmes activités au sein du réseau de transplantation rénale de Nantes!
Voilà l'évolution que je souhaite pour ma profession! Bien loin des considérations mercantiles, dont le seul souci est le bien de la personne, en collaboration avec les médecins, les infirmières, les patients et tout autre professionnel partageant son intérêt!
(1) Michel P, Quenon J, Djihoud A, Tricaud-Vialle S, de Sarasqueta A, Domecq S. Les évènements indésirables graves liés aux soins observés dans les établissements de santé: premiers résultats d'une étude nationale. Etudes et Résultats. 2005(398).
(2) Clerc P. Étude Polychrome Rapport final INSERM. INSERM. 2009. 130p
(3) Charpiat B, Allenet B, Roubille R, Escofier L, Bedouch P, Juste M, et al. [Factors to consider in managing drug interactions in clinical practice]. Presse Med. 2008 Apr;37(4 Pt 2):654-64.
(4) La rédaction Prescrire. Cercles de qualité médecins-pharmaciens suisses : intérêt confirmé. Rev Prescrire. 2008;28(297):542-44.
(5) Vinks TH, Egberts TC, de Lange TM, de Koning FH. Pharmacist-based medication review reduces potential drug-related problems in the elderly: the SMOG controlled trial. Drugs Aging. 2009;26(2):123-33
(6) Holland R, Lenaghan E, Harvey I, Smith R, Shepstone L, Lipp A, et al. Does home based medication review keep older people out of hospital? The HOMER randomised controlled trial. BMJ. 2005 Feb 5;330(7486):293
(7) Stewart S, Marley JE, Horowitz JD. Effects of a multidisciplinary, home-based intervention on unplanned readmissions and survival among patients with chronic congestive heart failure: a randomised controlled study. Lancet. 1999 Sep 25;354(9184):1077-83.
(8) Pottie K, Farrell B, Haydt S, Dolovich L, Sellors C, Kennie N, et al. Integrating pharmacists into family practice teams: physicians' perspectives on collaborative care. Can Fam Physician. 2008 Dec;54(12):1714-7 e5.
(9) Pottie K, Haydt S, Farrell B, Kennie N, Sellors C, Martin C, et al. Pharmacist's identity development within multidisciplinary primary health care teams in Ontario; qualitative results from the IMPACT project. Res Social Adm Pharm. 2009 Dec;5(4):319-26.
(10) Nkansah N, Mostovetsky O, Yu C, Chheng T, Beney J, Bond CM, et al. Effect of outpatient pharmacists' non-dispensing roles on patient outcomes and prescribing patterns. Cochrane Database Syst Rev. (7):CD000336.
(11) Zermansky AG, Petty DR, Raynor DK, Freemantle N, Vail A, Lowe CJ. Randomised controlled trial of clinical medication review by a pharmacist of elderly patients receiving repeat prescriptions in general practice. BMJ. 2001 Dec 8;323(7325):1340-3.

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