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Pas de blanc-seing pour les législations réprimant le mariage blanc (Cour EDH, 4e Sect. 14 décembre 2010, O’Donoghue et autres c. Royaume-Uni)

Publié le 16 décembre 2010 par Combatsdh

Encadrement conventionnel des dispositifs de lutte contre les « mariages blancs »

 par Nicolas Hervieu

uk-border.1292453182.jpg  Désireux de se marier au Royaume-Uni, une femme anglo-irlandaise et un homme de nationalité nigériane ont dû solliciter un certificat spécial - « the Certificate of Approval » - auprès du ministre de l’Intérieur - « Secretary of State for the Home Department ». Cette procédure spécifique est prévue pour les mariages impliquant des étrangers (sauf ceux ressortissants d’Etats de l’Espace Economique Européen et ceux disposant d’une autorisation de séjour à durée indéterminée) car elle vise à prévenir les ”mariages blancs” (« sham marriages » - mariages contractés dans le seul but d’obtenir pour l’un des membres du couple un droit de séjourner régulièrement dans le pays). Dans la première version de ce système entré en vigueur en 2005 (« the Certificate of Approval of Scheme »), le certificat était refusé à tout étranger ne disposant pas d’une autorisation de séjour supérieure à six mois ou dont l’autorisation expirait dans moins de trois mois. Pour les titulaires d’autorisation de séjour ne répondant pas à ces conditions, le refus automatique fut atténué en 2006 par la possibilité d’un examen individuel. Puis, en 2007, un tel examen fut élargi aux étrangers en attente d’une décision sur leur demande d’autorisation de séjour (v. la législation interne et ses évolutions après de nombreux recours devant les juridictions internes : § 5-28 ; § 38-52). Alors qu’ils souhaitaient se marier en 2006, les intéressés ont dû attendre 2007 pour solliciter le certificat car l’aspirant époux ne disposait que d’une autorisation exceptionnelle de séjour. Il obtinrent finalement ce certificat en 2008 mais leur demande mariage-uk.1292453268.jpgd’exonération des 295 livres sterling (environ 350 euros) de “frais de dossier” (« fee ») fut rejetée. Ne disposant que de très peu de ressources, le couple n’a pu réunir la somme qu’en faisant appel à leurs familles et amis (§ 86).

A l’unanimité, la Cour européenne des droits de l’homme condamne le Royaume-Uni pour violation du droit au mariage pris isolément (Art. 12), pour discrimination dans la jouissance de ce dernier droit (Art. 12 et 14) et pour discrimination au regard de la liberté de religion (Art. 9 et 14). Ces deux derniers constats de violation n’appellent guère de remarques car ils résultent du fait que les mariages célébrés par l’Eglise anglicane (« the Church of England » - les requérants étaient catholiques) étaient, assez curieusement, dispensés de la procédure litigeuse. Or le gouvernement défendeur reconnaît lui même le caractère discriminatoire de cette exception (§ 101-107 et 108-110). Plus remarquable est la position adoptée par la Cour concernant le droit au mariage pris isolément. Sur ce terrain, les juges européens rappellent d’abord que les Etats parties peuvent règlementer l’accès au mariage (§ 82-84 - v. Cour EDH, 1e Sect. 24 juin 2010, Schalk and Kopf c. Autriche, Req. n° 30141/04 - ADL du 24 juin 2010. Catégorie “Liberté du mariage”). En particulier, “dans le contexte des lois relatives à l’immigration et pour des raisons justifiées, les Etats peuvent être autorisés à empêcher les mariages de pure convenance, contractés uniquement dans le but d’obtenir des avantagesliés à la législation relative à l’immigration (§ 83). La Cour admet sans peine la légitimité de la lutte contre les mariages blancs en indiquant qu’”un Etat partie n’agira pas nécessairement en violation de l’article 12 de la Convention s’il soumet les mariages impliquant des étrangers à un examen destiné à établir s’il s’agit ou non de mariages de pure convenance” (§ 87 - « a Contracting States will not necessarily be acting in violation of Article 12 of the Convention if they subject marriages involving foreign nationals to scrutiny in order to establish whether or not they are marriages of convenience » - v. Commission EDH, Dec. 16 octobre 1996,  Sanders v. France, Req. n° 31401/96 ; Commission EDH, Dec. 3 décembre 1997, Klip and Krüger v. the Netherlands, Req. 33257/96). A cet égard, la marge de manœuvre des Etats apparaît très large puisqu’à cette fin, ils peuvent “exiger des étrangers qu’ils notifient aux autorités leur intention matrimoniale et, si nécessaire, leur demander de fournir des informations pertinentes sur leur situation au regard des règles d’immigration et sur la sincérité de leur mariage (§ 87). Un système d’autorisation préalable peut même être mise en place car la juridiction strasbourgeoise indique que “l’obligation selon laquelle un étranger prévoyant de se marier au sein d’un Etat partie doit obtenir un certificat de capacité ne viole pas nécessairement” le droit au mariage (§ 87 - « a requirement that a non-national planning to marry in a Contracting State should first obtain a certificate of capacity will not necessarily violate Article 12 of the Convention »).

Cependant, aux yeux de la Cour, cette large liberté des Etats n’est pas non plus synonyme de blanc-seing conférée à la lutte contre les mariages blancs. En effet, la législation adoptée dans cette optique ne doit pas “priver une personne ou une catégorie de personnes de [la jouissance effective] de son droit de se marier avec le ou la partenaire de son choix“ (§ 83 : « the relevant laws - which must also meet the standards of accessibility and clarity required by the Convention - may not otherwise deprive a person or a category of persons of full legal capacity of the right to marry with the partners of their choice » - sur le droit des détenus de se marier, v. Cour EDH, 2e Sect. 5 janvier 2010, Jaremowicz c. Pologne et Frasik c. Pologne, resp. Req. n° 24023/03 et 22933/02 - ADL du 6 janvier 2010. V. catégorie “article 12 CEDH”). Or, la législation britannique a excédé cette limite sur trois points :

- Premièrement, la décision d’autorisation du mariage “n’était pas, et continue à ne pas être, uniquement basée sur la sincérité du mariage envisagé” mais sur “la possession d’une autorisation suffisante de séjour” et sur “l’absence d’obstacle légal au mariage” (§ 88 - « the decision whether or not to grant a Certificate of Approval was not, and continues not to be, based solely on the genuineness of the proposed marriage. [… but] would be based solely on whether the applicant was in possession of sufficient leave and whether there was any legal impediment to marriage »).

- Deuxièmement, la législation litigieuse “imposait une interdiction générale d’exercice du droit au mariage pour toute personnes appartenant à une catégorie spécifique, indépendamment du fait de savoir si le mariage envisagé était ou non de pure convenance“. Or, outre qu’une interdiction générale, automatique et sans distinction sur un droit consacré par la Convention et revêtant une importance cruciale outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soit-elle“, une telle approche conduit une nouvelle fois à ne pas tenir véritablement compte de “la sincérité du mariage” (§ 89).

- Troisièmement, le montant des frais de dossier exigés ne doit pas être d’un niveau tel qu’il conduise à “porter atteinte à l’essence même du droit au mariage (§ 90). Or, en l’espèce, à l’aune des faibles ressources des requérants en particulier ainsi que de celles des immigrés en général, la somme de 295 livres excède largement ce niveau (§ 90). La Cour note d’ailleurs que la possibilité de remboursement de ces frais instaurée en juillet 2010 au profit des couples les plus nécessiteux (§ 51) n’est pas de nature à renverser cette conclusion car le remboursement potentiel n’a lieu que postérieurement à l’union, ce qui continue à être un puissant obstacle au mariage (§ 91).

Le constat de violation de l’article 12 (§ 92) est le coup de grâce porté à un système de certificats déjà voué à disparaître en 2011 au Royaume-Uni (§ 52). Cependant, l’arrêt rendu dans cette affaire constitue un utile rappel à l’heure où, notamment au nom de lutte contre les mariages blancs, les législations de nombreux Etats européens ne cessent de se durcir (v. en France la notion très contestée de « mariage gris » - Art. 21 ter du Projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité adopté en première lecture par l’Assemblée Nationale le 12 octobre 2010 et la tribune de S. Slama, N. Ferran et E. Fassin, “Mariages gris, matins bruns”, 9 décembre 2009). Bien qu’assez souples à ce sujet, les juges du Palais des Droits de l’Homme posent ici une nette limite : les mécanismes de lutte contre les mariages blancs doivent seulement permettre de vérifier la sincérité du mariage et non former des obstacles excessifs voire infranchissables à l’exercice effectif du droit au mariage.

 Complément: on relèvera la convergence de cette jurisprudence avec celle du Conseil constitutionnel qui, en 1993, avait censuré une disposition qui faisait obligation à l’officier d’état civil de saisir le procureur de la République lorsqu’il existait des indices sérieux laissant présumer que le mariage n’est envisagé que dans un but autre que l’union matrimoniale. Il aurait disposé d’un délai de 15 jours durant lequel il peut décider qu’il sera sursis à la célébration du mariage pour une durée pouvant aller jusqu’à trois mois, sans que sa décision soit assortie d’une voie de recours. Le Conseil constitutionnel avait estimé “qu’en subordonnant la célébration du mariage à de telles conditions préalables, ces dispositions méconnaissent le principe de la liberté du mariage qui est une des composantes de la liberté individuelle” (Cons. constit.  n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, § 107)

De même en 2003, sur la loi Sarkozy I, il avait estimé contraire au “respect de la liberté du mariage, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789” qui “s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé” (§94) une disposition prévoyant le signalement à l’autorité préfectorale de la situation d’un étranger accomplissant les formalités de mariage sans justifier de la régularité de son séjour et la transmission au préfet de la décision du procureur de la République de s’opposer à la célébration du mariage car elles auraient été de nature à dissuader les intéressés de se marier(§96). Il avait aussi estimé, comme la Cour européenne dans cette affaire, que si “le caractère irrégulier du séjour d’un étranger peut constituer dans certaines circonstances, rapproché d’autres éléments, un indice sérieux laissant présumer que le mariage est envisagé dans un autre but que l’union matrimoniale”; néanmoins le législateur ne peut estimer que l’irrégularité “constituerait dans tous les cas un indice sérieux de l’absence de consentement” (Cons. constit.n° 2003-484 DC  20 novembre 2003 Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, §94-96).

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O’Donoghue et autres c. Royaume-Uni (Cour EDH, 4e Sect. 14 décembre 2010, Req. n° 34848/07) - En anglais uniquement

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Actualités droits-libertés du 14 décembre 2010 par Nicolas HERVIEU

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