Magazine France

Il neige…

Publié le 17 décembre 2010 par Philippe Thomas

Poésie du samedi 14, (nouvelle série)

C’est une poésie de saison, en attendant la reprise très prochaine de nos activités poétiques un peu figées à cause du temps (ou du manque de temps), ça s’appelle Dégel et c’est d’un Belge… :

 

Il neige blanc sur l’Escaut jaune,

Tout est déteint, brouillé, fondu ;

Et par les bois et les chemins perdus

Les mendiants n’arrivent plus

Chercher l’aumône

L’âpre et mordant hiver enserre les hameaux ;

Les vieux autour des feux se racontent leur maux,

A gestes lents et péremptoires ;

On jette un charbon rare au ventre du fourneau,

Tandis que les enfants font claquer leurs sabots

Violemment, aux carrefours, sur les glissoires.

Et le mur est humide, et le sable est mouillé

Qui festonne les pieds de l’armoire en noyer,

Où le pain dort non loin du beurre ;

Et le jardin précis de houx et de palmiers,

Qu’inscrivent sur la vitre un givre régulier,

Dans son châssis de bois se dissout d’heure en heure.

La tour d’église, au cœur du bourg, ne se voit pas,

Si drus sont les flocons qui s’égrènent par tas.

Tuiles rouges et vernissées,

Et vous, pignons, vous vous cachez sous les frimas ;

À peine un aboiement s’entend, torpide et las,

Là-bas où le chien veille en sa niche glacée.

Dans sa cage d’osier, l’oiseau boude et se tait ;

Près des fournils déserts grincent, dans l’air muet,

Les verrous durs d’une poterne ;

Et pour l’instant du soir où la traite se fait,

Parmi les bidons gras et les luisants baquets,

La servante épand l’huile en de creuses lanternes.

Et la nuit tombe et se ferment les lourds volets ;

Et le docteur, tapi dans son cabriolet,

Revient, au petit trot, du fond de la bruyère,

Et l’on parle du mort lointain

Qu’il faudra bien conduire en terre,

Demain,

Dieu sait par quels chemins,

Mornes et vides,

Dans la fange compacte et la neige livide.

Émile Verhaeren (St-Amand, province d’Anvers, 1855 - Roue, 1919) Toute la Flandre, Les plaines, Dégel,1911.

Hem, hem…  Vous êtes encore là ? Je veux dire… vous avez lu jusqu’au bout ? Vous avez survécu à cette déprimante poésie?  Mornes plaines et morne poème et tout Verhaeren est du même tonneau… Quand il sort des villes tentaculaires, Verhaeren est le poète des pluies glacées, des cieux menaçants, des horizons bouchés et des neiges livides. A propos, votre moral n’est pas tombé en flocons ? Admirable Verhaeren aux vers à rimes riches :  humides (mouillé, noyer, glacée, baquet), grasses (beurre, heure) voire géographiques (Thouars, Issoire)… Et avec quel humour subversif il fait rimer les palmiers avec le givre régulier ! Ouf ! C’est justement cette rime décalée qui permet d’échapper à l’étau d’un plat pays désespérément plat et d’un ciel de plomb… L’indice que Verhaeren se marre à nous faire patauger dans la gadoue d’un temps pourri mâtinée d’une morosité sociale persistante…

Quand même, vivement le printemps !


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Philippe Thomas 103 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte