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La vieillesse, objet d’un double récit

Publié le 17 décembre 2010 par Richardlefrancois

Richard LEFRANÇOIS

extrait amendé de l’ouvrage de l’auteur : «Vieillesses oubliées (insécurité économique et sociale des aînés)»

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La population " dite âgée " forme une mosaïque humaine complexe et hétérogène. Au point où le vocabulaire pour la décrire ne cesse de s'enrichir, ce qui dans bien des cas  obscurcit plus qu’il n’éclaire notre compréhension du phénomène. Les notions de seniors, de jeunes retraités, de troisième, de quatrième, voire de cinquième âge, sont autant de qualificatifs qui servent à désigner les différentes étapes du processus du vieillissement. Le concept de vieillissement différentiel précise que les individus ne vieillissent pas tous à la même cadence, au même rythme, avec la même intensité et énergie vitale, de sorte que l'après-retraite recèle une pluralité de profils distincts. Ainsi, dans un même segment d'individus ayant le même âge, s’observe une vaste diversité de niveaux de vie, de cheminements et d'expériences, de profils de santé, de capacités, ou d'ambitions au regard des activités de loisirs ou d'engagement social.

Il n'y a pas que la nouvelle architecture des âges qui préoccupe jusqu'à soulever de nouveaux défis. C'est également le cas du rapport qu'entretient la population âgée avec le reste de la société. Les aînés représentent-ils une ressource, un risque ou un fardeau pour la société? Un tel questionnement se comprend. La mutation démographique que nous connaissons soulève des enjeux inédits, dont des inquiétudes et des incertitudes face à l'avenir et, par contraste, des espérances jusque-là inconcevables.

Or, les perceptions des conséquences du vieillissement pour la société ont cristallisé le discours sur la vieillesse et donné lieu à un double récit. Tant dans l'imagerie populaire que dans le discours scientifique et médiatique, les représentations de la vieillesse se sont polarisées. S'est affirmée d'un côté une lecture pessimiste qui accentue le côté misérabiliste de la vieillesse, sa dégradation physique, ses pertes ou déficits, sa prétendue inutilité et l'état de déclin ou de dépendance des personnes. Sur le registre collectif, ce même regard négatif est repris, cette fois pour mettre en garde contre les menaces anticipées du vieillissement démographique, tel que l'effondrement des régimes de retraite, la déroute du système de santé, le risque d'une crise intergénérationnelle ou le déploiement d'une immense vague de conservatisme. A été évoqué, fort imprudemment d'ailleurs, le spectre d'un tsunami démographique qui déferlerait sur les sociétés avancées et engloutirait un large pan des fonds publics.

En contrepoids au discours alarmiste qui se représente le vieillard tel un être abîmé, se propage une lecture optimiste sur la vieillesse, teintée parfois de triomphalisme et de fascination pour la vie longue, et nantie de représentations positives et favorables. Le discours élogieux sur la vieillesse s'adresse surtout aux seniors qui sont décrits comme des gens actifs, engagés, remplis de projets et d'énergie vitale. Selon cette perception, la trajectoire de la vieillesse serait élaborative plutôt qu'involutive. Une telle représentation nous situe donc à l'antipode de la retraite " mort sociale " dont parlait Anne Marie Guillemard, une notion qu'elle s'est empressée plus tard de revisiter. Elle constate de nos jours l'émergence d'une nouvelle retraite-solidaire qui " remet en question la distribution des temps de la vie en trois âges bien distincts et ségrégés ". Le regard optimiste et non complaisant sur la vieillesse nous rapproche de la notion de " géritude " qu'évoquait le démographe belge Michel Loriaux.

La rhétorique adulatrice qui voit l'aîné comme un être rayonnant met en exergue les valeurs nobles et les vertus de la vieillesse, comme la sagesse, la maturité, la créativité, l'actualisation de soi, sans oublier les valeurs médiatives qu'expriment les rôles de passeur ou de transmetteur d'héritage et la contribution sociale et économique des aînés. On attribue une valeur aux personnes aînées pour autant qu'elles conservent leur vitalité, leur utilité, leur dynamisme et qu'elles s'engagent socialement.

Il y a ici un danger évident à tomber dans le piège de l'angélisme, en laissant croire par exemple que les aînés peuvent toujours se tirer d'affaire sans aide, en alléguant que le taux de pauvreté est à la baisse dans les ménages composant la population âgée. Or, ce portrait général qui se veut réjouissant ne doit pas faire perdre de vue l'accélération de la pauvreté chez les personnes âgées qui vivent seules. N'oublions pas que l'écart des revenus de retraite entre les femmes et les hommes demeure prononcé, une situation qui désavantage nettement les femmes qui se retrouvent plus souvent en situation d'esseulement.

C'est ici que l'analyse gérontologique trouve sa limite. D'emblée, nous renonçons à épouser de tels clichés ancrés et à nous ranger derrière l'une ou l'autre de ces deux positions extrêmes sur la vieillesse. Il est éminemment plus souhaitable de réfléchir aux conditions susceptibles de déboucher sur un projet de société rassembleur au lieu d'une société conflictuelle ou qui scinde la population âgée en deux sous-ensembles; les personnes actives et autonomes versus les personnes inaptes ou dépendantes. Un projet de société convivial accorderait une valeur égale à toutes les étapes de l'existence, exploiterait toutes les possibilités de métisser les âges de la vie, et s'appuierait sur une vision renouvelée de l'âge avancé. Ce serait aussi un projet soucieux d'accueillir et d'intégrer dans la grande communauté tous les membres et catégories d'âge qui la composent.

Pareille entreprise de dépassement exigerait que la place citoyenne des aînés repose sur des règles éthiques ou humanistes, tels le respect, la reconnaissance sociale, l'épanouissement personnel et la qualité de vie. Au lieu de mesurer l'apport des aînés dans des termes uniquement utilitaristes, comme la participation, l'engagement social ou la contribution économique, sociale ou familiale, elle serait plutôt guidée par les finalités supérieures d'intégration, d'identité et d'appartenance.


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