Magazine Info Locale

Le directeur doit aimer la musique et les musiciens

Publié le 03 novembre 2010 par Europeanculturalnews
Le directeur doit aimer la musique et les musiciens

Patrick Minard (c) OPS

Interview avec Monsieur Patrick Minard, directeur général de l` OPS Strasbourg

Monsieur Minard, vous assurez, me semble-t-il, depuis un peu plus de 10 ans la direction de l’OPS.

Exactement depuis 10 ans. J’ai été nommé en mars 2000 et j’ai pris mes fonctions en juillet 2000.

Auriez-vous la gentillesse de nous décrire brièvement en quoi consiste votre rôle ou votre tâche en tant que directeur ?

Je suis le garant de l`institution. Je la protège contre d’éventuels préjudices qui pourraient la mettre en danger. Je suis le défenseur.

Contre qui ou contre quoi devez-vous défendre l’orchestre ?

Contre toutes sortes d’influences qui pourraient lui être néfastes. Je dois le défendre contre un programme par exemple qui ne serait ni bon pour l’orchestre, ni bon pour le public. Si c’était nécessaire. Je dois défendre ses intérêts contre certaines influences politiques. Je garantie en quelque sorte les conditions de la pérennité de l’OPS.

Qu’est-ce qui est indispensable pour remplir ces fonctions ? Quelles sont les qualités requises pour le directeur de l’orchestre ?

Il doit aimer la musique et les musiciens. Il doit comprendre la psychologie des musiciens et il doit mettre en œuvre  un management « intuitif » et non pas « objectif », comme le ferait le directeur d’une entreprise actionnaire, par exemple.

Que voulez-vous dire exactement par « management intuitif » ?

Les tâches qui incombent au directeur d’un orchestre n’ont rien avoir celles d’un directeur d’usine. Dans l’intérêt des institutions je dois me fier à mes intuitions. Je dois agir dans l’intérêt des musiciens. Je dois établir des relations de confiance avec eux tout en gardant à l’esprit le coté institutionnel que je me dois de respecter aussi, bien sur !

Lors des concerts de l’OPS la direction administrative est toujours présente. C’est frappant ! Est-ce toujours le cas en France ?

Je ne saurais vous le dire. Chez nous c’est une sorte de contrat tacite. En même temps, cela nous paraît tout à fait naturel. D’une part, si on s’occupé toute la journée de tâches administratives, on peut très facilement oublier pourquoi et pour qui on travaille et en oublier la musique. De l’autre coté il est important de montrer aux musiciens de l’orchestre que nous forment une équipe et que nous sommes derrière eux.

Ce qui distingue l’OPS, c’est sa structure d’âge très équilibrée. Il y a de jeunes musiciens, mais il y en a aussi beaucoup qui ont une grande expérience. Qui est responsable de la sélection ?

Le temps !

Le temps ? Qu’est-ce que cela veut dire exactement ?

Pendant mon mandat, en 10 ans donc, nous avons engagé 20 à 22 nouveaux musiciens ce qui fait une moyenne de deux par an. C’est un processus naturel.  Mais il convient de ne pas perdre de vue, qu’un orchestre ne peut fonctionner s’il est composé exclusivement de jeunes musiciens.

Nous aimons choisir de jeunes gens pour les postes de solistes. Très souvent ils sont très motivés et grâce à leur enthousiasme ils entraînent le reste de l’orchestre. Mais en général ce sont ceux qui font partie de l’orchestre depuis longtemps, qui constituent le son de l’orchestre. Il faut se rendre compte que quelques musiciens d’un certain âge ont eu l’occasion de collaborer avec des chefs d’orchestre dont les expériences musicales étaient enracinées au 19e siècle ! C’est un enrichissement énorme pour l’orchestre lui-même, car ce sont ces musiciens âgés qui caractérisent le son de l’orchestre. L’OPS peut se reposer en toute quiétude sur sa pyramide des âges, parce que celle-ci est si équilibrée, justement. Un orchestre composé exclusivement de jeunes solistes ne peut pas être vraiment bon. On a tenté différentes expériences dans ce sens : On a demandé à différents chefs d’orchestre exceptionnels de diriger un orchestre de jeunes solistes. Après deux ou trois enregistrements  on a mis un coup d’arrêt à cette expérience, parce qu’on s’est rendu compte, que cela ne fonctionnait tout simplement pas. Mais la composition d’un orchestre ne relève pas toujours d’un libre choix. Ce qui est déterminant, ce sont souvent les circonstances ou certaines contraintes dont il faut tenir compte. La rotation à l’intérieur d’un orchestre est primordiale et en même temps très complexe. C’est aussi pour cette raison que j’ai parlé du management intuitif tout à l’heure. Il s’agit de savoir qui serait bon à quel poste et pourquoi.

Comment se passe le recrutement chez vous ?

Nous faisons savoir qu’un poste est vacant. Le recrutement proprement dit se passe  dans le cadre d’un concours. Les musiciens jouent derrière un paravent. De cette façon, ils sont invisibles pour nous et nous pouvons rester parfaitement impartiaux. Le jury est constitué du directeur musical, du chef d’orchestre, d’un spécialiste de l’instrument en question que nous invitons pour l’occasion, d’une représentation de l’orchestre ainsi que du premier violon. Je donne ma voix au directeur musical.

Pendent cette saison, le programme comporte beaucoup de morceaux que l’on n’entend pas souvent ou alors qui n’ont pas été joué à Strasbourg depuis longtemps. Est-ce que c’est un grand défi pour les musiciens de l’orchestre ?

Oui, certainement, car quand on travaille une nouvelle œuvre, il faut un certain temps pour pouvoir restituer son style. L`OPS a une identité souvent double, allemande et française, son histoire oblige. Cela dit, le répertoire de l’orchestre n’est pas vraiment ancré dans la musique française non plus. Marc Albrecht, l’actuel directeur musical n’est  pas non plus enraciné dans la musique française ce qui se répercute sur la programmation, bien entendu. L’histoire de l’OPS est étroitement liée à l’histoire de l’Europe. Et depuis toujours, elle est également influencée par ses différents directeurs musicaux. L’un des plus importants était Ernest Bour. Sous sa direction, l’orchestre a connu son heure de gloire. Bour était très impliqué dans la scène musicale contemporaine ce qui a eu une grande influence sur l’orchestre. Je me suis rapproché de la direction du Festival Musica, car, à l’avenir,  nous avons l’intention de collaborer avec ce festival. Cela sera concrétisé sous la direction d’un nouveau directeur artistique. Nous aimerions que celui-ci vive à Strasbourg même. Ce sera important pour lui de renforcer ses liens avec les institutions locales et d’être en permanence en contact direct avec elles.

Nous avons parlé du directeur artistique Marc Albrecht, dont le contrat touche à sa fin. On entend très précisément quand il dirige l’orchestre en personne, car il a sa propre façon très détaillée d’analyser les morceaux. En concert en revanche, sa prestation est très émotionnelle.

Oui, on pourrait dire ça. Marc Albrecht cherche l’émotion dans l’exactitude et non pas dans le pathos. Il est en permanence à la recherche du concept de la musique, de la même façon que  le violoniste Christian Tetzlaff, ou le pianiste Lars Vogt par exemple.  Il découvre dans les œuvres tardives du romantisme les éléments qui leur étaient propres à l’époque de leur création. Cette façon de travailler n’est pas toujours facile, car certains musiciens ne comprennent pas ce genre d’approche.

Non seulement vous aurez à pourvoir le poste du directeur musical cette année, mais il est également question de transformations concernant le PMC. Est-ce que cela concernera directement l’OPS ?

Oui, beaucoup même. Les initiales PMC signifient « Palais de la Musique et des Congrès ». Il s’agit donc d’un bâtiment destiné à la musique et aux congrès. A  sa construction, c’était la musique qui occupait la place la plus importante, mais ces dernières années, la tendance d’utiliser les locaux pour l’organisation de congrès est en constante progression. Ce qui signifie, qu’entretemps, nous avons des problèmes pour organiser nos répétitions.  Ces problèmes ont des répercussions jusqu’à Mulhouse, puisque notre orchestre joue aussi à la « Filiature » (l’opéra de Mulhouse). Jusqu’ici, à nous trois, le directeur à Mulhouse, le directeur de l’opéra ici à Strasbourg et moi-même, nous avons réussi à faire face à ce problème. Mais c’est de plus en plus difficile. On parle aussi depuis longtemps d’une reconstruction de l’opéra de Strasbourg. Mais pour le moment, il n y a rien de bien concret. L’OPS est actuellement un orchestre qui ne peut disposer d’une salle à sa guise. Donc, si une nouvelle salle de concerts était construite, nous souhaiterions que l’OPS puisse y répéter sans être dérangé. Il est question de du parc d’expositions comme emplacement d’une éventuelle construction.  Y prévoir des bureaux par la même occasion, serait aussi d’une grande utilité. Cette salle devrait être une salle polyvalente. Elle devrait pouvoir servir également comme salle d’enregistrement. On pourrait continuer à donner les concerts dans la Salle Erasme qui offre 2000 places assises ! En revanche, d’organiser nos répétition dans un plus petit cadre ne serait pas difficile. A l’heure actuelle, il y a de grands problèmes entre nous et les organisateurs de congrès.

Est-ce que vous souhaiteriez quelque chose de particulier pour l’orchestre ? Auriez-vous une vision du futur ?

A vrai dire, oui ! J’aimerais beaucoup créer un partenariat avec un autre orchestre européen. Je pourrais imaginer des échanges mutuels : Des échanges de solistes, mais aussi de chefs d’orchestre. Il serait envisageable, que notre orchestre travaille pendant deux ou trois semaines dans la ville-partenaire et vice-versa ! Les différences culturelles qui existent sont toujours passionnantes. Il suffit de penser que les bassistes allemands et les bassistes français tiennent leur archet différemment ! Ou alors le temps de travail qui est totalement différent et qui aboutit à un tout autre rythme de travail. Il pourrait y avoir aussi un échange de programme. On pourrait échanger des élèves du conservatoire pour les faire bénéficier d’une expérience dans l’autre pays. La ville de Dresde pourrait être un bon choix. Mais ce que je souhaite avant tout, c’est que l’OPS s’incarne en son futur directeur musical!

D’après vous, quel est le moment fort de cette saison?

Ce sont les « Gurrelieder » que l’on ne joue pas seulement ici, à Strasbourg mais que l’on pourra entendre  ensuite également à Paris, à la salle Pleyel. Ils sont le moment fort pour l’orchestre, mais aussi pour Marc Albrecht lui-même, car il s’agit d’une oeuvre charnière de l’histoire de la musique. De plus, ils constituent aussi une charnière pour l’orchestre, une charnière entre Marc Albrecht et celui qui va lui succéder.

Merci beaucoup pour cet entretien.

Texte traduit de l’allemand par Andrea Isker.


Retour à La Une de Logo Paperblog