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Lecture : « AKHENATON », de Dimitri Laboury, Coll. « Les grands pharaons », Editions Pygmalion, 2010.

Par Ananda

Akhenaton (alias Amenotep IV) est sans doute le pharaon le plus célèbre de la très longue histoire de l’Egypte antique (qui, ne l’oublions pas, fut probablement la toute première grande civilisation à apparaître et totalisa, à elle seule, une durée de 3 000 ans, la plus longue, à ce jour, dans l’histoire civilisationnelle). En tout cas celui qui, avec son fils Toutankhamon, fit le plus fantasmer les archéologues, de même que le grand public.

Se focalisant sur sa figure de soi-disant « réformateur monothéiste », on a volontiers vu en lui un précurseur de Moïse, voire du christianisme, ou de l’Islam. Bel exemple d’ extrapolation abusive d’une réalité fort éloignée temporellement et culturellement de l’époque contemporaine dominée par les valeurs de la civilisation occidentale judéo-chrétienne !

Qui était vraiment Akhenaton ?

A cela, je répondrai que, pour le savoir, il faut ouvrir ce livre.

Un très gros livre très fouillé qui sait nous captiver cependant par sa rigueur scientifique et son style précis et très bien tourné.

L’ouvrage redessine (autant que faire se peut dans l’état actuel des connaissances) la figure de ce roi atypique de la dix huitième dynastie (XIVe siècle avant notre ère) à la lumière des toutes dernières connaissances dont disposent les égyptologues.

A l’analyse minutieuse des divers documents et traces, ce pharaon – souvent perçu antérieurement comme un être romantique, épris d’idéal et de douceur – apparaît sous un tout autre jour : celui d’un « politicien aguerri », doté d’une personnalité très forte et d’une volonté de fer allant jusqu’à l’entêtement, d’un homme tout ce qu’il y a d’énergique et d’autoritaire dont le but était en réalité de porter au bout de sa logique le système pharaonique déjà pré existant du roi-dieu.

Akhenaton n’était, en fait, rien d’autre qu’un potentat qui désirait à toute force fondre le Divin et le pouvoir temporel dans sa seule personne. Un peu comme si son pouvoir d’ordre spirituel lui servait à concentrer, à fortifier encore son pouvoir de pharaon.

Et, en un sens, loin de s’ancrer dans une démarche de rupture, il ne faisait que continuer l’œuvre religieuse de son père et prédécesseur Amenotep III déjà très largement centrée sur de la figure divine solaire de plus en plus abstraite d’AMON-RÊ.

La religion atonienne aboutit à une théocratie renforcée, à la faveur de laquelle « le monde entier[…] ploie devant le pharaon solaire et manifeste un respect et une soumission absolus envers ses actions, ses volontés et chacune de ses apparitions ».

La seule rupture véritable, d’ordre rituel, réside dans le fait que « roi et reine (Néfertiti) » se trouvent subitement dotés du statut de statues de culte vivantes, alors qu’antérieurement « cérémonial de cour » et vie officielle ou sacrée concentrée dans l’enceinte des sanctuaires et temples étaient, en Egypte, totalement distincts.

L’Atonisme n’a rien à voir avec le monothéisme d’Israël.

Encore plus étonnant : certaines citations de cet ouvrage tendraient à laisser soupçonner que la religion pharaonique non atonienne, traditionnelle, devait, un peu à la manière de l’actuelle religion hindoue, reposer sur une conception de « l’unité dans la diversité » divines, chaque dieu étant, en quelque sorte, un « avatar » d’une réalité divine suprême, cachée, inconnaissable. Au Nouvel Empire, sous le règne de la dix huitième dynastie, en effet, AMON apparait comme le « dieu solaire […] démiurge et administrateur universel, principe centralisateur du monde divin », son nom signifiant d’ailleurs « Le Caché », cependant que RÊ représente le même Divin, mais sous sa forme visible, «  leur union permettant d’associer en un même concept théologique le tangible et l’inaccessible, le perceptible et ce qui échappe à la perception – et donc à la connaissance elle-même ».

On est là, avouons-le, loin d’un grossier « polythéisme ».

La spiritualité égyptienne – à tout le moins celle du Nouvel Empire – était beaucoup plus riche, profonde, subtile et ésotérique que ne le pense une civilisation occidentale moderne imbue de la supériorité des religions du Livre, et cet ouvrage a le mérite de le dire.

Ce que l’on constate aussi, c’est que, qu’on le veuille ou non, l’esprit occidental ( qui, malheureusement, imprègne encore largement la science et la recherche modernes) peine à comprendre l’âme de la civilisation pharaonique.

Les égyptologues, tous occidentaux jusqu’à une date récente, ont mis un temps très long à réaliser que cette culture n’était pas la civilisation grecque et que, même si toute l’Antiquité du Bassin Méditerranéen admirait l’Egypte, celle-ci n’en était pas moins une civilisation vraiment particulière et mystérieuse, probablement du fait qu’elle était le résultat, très ancien, d’une rencontre et d’une fusion intime entre peuples  « blancs » méditerranéens proto-berbères et peuples « négro-africains » nilotiques.

Les métissages donnent d’étranges combinaisons : celle-ci en était une.

Le peuple de la vallée du Nil se sentait, se savait unique. Comme tous les peuples d’agriculteurs, il aimait la stabilité. Sans doute ce caractère façonna-t-il  l’âme de cette culture profondément conservatrice et attachée à ses traditions, qu’elle aurait voulu immuables.

L’immortalité, on le sait, était l’obsession des Egyptiens. C’est elle qui les poussa à bâtir sans cesse des monuments et des tombeaux grandioses.

Pour en revenir à Amenotep IV/Akhenaton, il eut sans doute le tort de trop chercher la nouveauté, en tout cas dans le domaine rituel (lequel était justement très important pour les Egyptiens). Son caractère fort et probablement très orgueilleux lui rendait pénible le pouvoir religieux, l’influence que détenait le clergé d’AMON-RÊ .

Ainsi que le fait bien remarquer Dimitri Laboury, il était beaucoup plus proche de Louis XIV que de Jésus-Christ.

S’il s’orienta vers le « monothéisme », ce ne fut en aucun cas pour « purifier » la religion et les mœurs égyptiennes, mais bien plutôt par souci de « brillance », de suprématie tout personnels.

On a mis en avant l’amour « romantique » qu’il vouait à sa reine ? Nous apprenons, dans ces pages, que, si Néfertiti fut à ce point mise en avant, c’était en tant que symbole, que parèdre du dieu-soleil vivant.

Dans les faits, cela n’empêchait aucunement Akhenaton d’avoir une seconde « Grande Epouse » et, au surplus, un harem, auquel, comme tout pharaon digne de ce nom, il ne renonça jamais !

La religion atonienne accentuait très fortement la dimension vitaliste (très africaine) qui était, en Egypte, liée au dieu soleil.

La femme étant, elle aussi, liée à un principe de fécondité, de vie, il était  donc parfaitement normal qu’elle fût célébrée, de même que la progéniture.

Les multiples, obsédantes représentations d’Akhenaton entouré de son cercle familial féminin (la reine et leurs nombreuses filles) ont longtemps donné l’illusion que le roi affectionnait la « vie de famille ». D’après ce que nous révèle cet ouvrage, il n’en est rien, car les bas-reliefs avaient, en Egypte, une fonction uniquement symbolique (à l’instar des statues, des « portraits », ils n’étaient que « message » servant une « idéologie »).

Si Akhenaton se faisait représenter ainsi entouré, il ne le faisait pas du tout dans le même esprit que nos chefs d’état modernes qui se font photographier et filmer en famille pour donner une illusion de plus grande proximité au bon peuple. Ces exhibitions de progéniture étaient des signes de puissance virile (encore un trait très africain) et si la progéniture était exclusivement féminine (Akhenaton ne faisait jamais représenter son héritier mâle, le futur Toutankhamon), c’était pour mieux souligner le lien entre le roi et les forces de fécondité.

De même, l’énigmatique stylisation androgynique qu’affiche le fameux « art amarnien » (voulue par Akhenaton, qui contrôlait rigoureusement tout) ne trahit pas, contrairement à ce que, là encore, on a longtemps cru, un caractère plus enclin à la douceur, voire un « efféminement » du pharaon. Elle marque simplement l’identification de l’homme à la féminité, en tant qu’elle est considérée comme bienfaisante force de vie, et beauté suprême. Elle reflète aussi « la nature profonde du dieu, qui est qualifié de « mère et père » de […] tout être vivant » (et qui, là, aurait de quoi nous faire fortement penser au Shiva Androgyne).

Certes, il n’est pas interdit non plus d’interpréter toutes ces manifestations assez fascinantes comme des marques de rehaussement de l’élément féminin, de considération envers lui.

L’un n’empêche pas l’autre, et chacun sait qu’en Egypte antique subsistaient des traces « matriarcales » assez puissantes, probablement héritées du vieux fond agricole néolithique.

Cependant, d’après ce que l’on sait des usages des cours pharaoniques de la dix huitième dynastie, les touchantes « scènes familiales » n’étaient, dans les faits, guère possibles, puisque les souverains ne s’occupaient guère des enfants royaux, ceux-ci étant systématiquement confiés à des éducateurs de substitution (« nourrices », puis « précepteurs »).

Longtemps aussi, la stylisation atonienne laissa les savants et les observateurs perplexes. On s’est, pendant un bon bout de temps, demandé si elle correspondait à une volonté de rupture avec l’art égyptien hiératique traditionnel (qui, pour sa part, n’avait, nous dit-on au passage, aucun souci d’exactitude dans la représentation des personnages, les visages des pharaons et autres gens importants étant notamment « arrangés » par les sculpteurs et graveurs de façon, certes, compatible avec leur aspect réel, mais pour autant visant avant tout à rendre l’essence du personnage et de sa fonction) et, donc, de plus grande fidélité à l’apparence vraie des personnages.

Certains spéculèrent même à partir de tout cela pour attribuer au malheureux Akhenaton certains défauts et tares physiques qui auraient été des stigmates de dégénérescence (à cause des mariages incestueux frères/sœurs, courants dans les lignées pharaoniques en raison des lois de transmission matrilinéaires du pouvoir).

Dans son ouvrage, Laboury nous livre la thèse, en fait, la plus plausible : les représentations du pharaon et de son entourage ayant, en Egypte, toujours, une fonction hautement symbolique, il est plus que probable que la bizarre figure chevaline d’Akhenaton et la stylisation également très poussée de ses yeux ainsi que de son corps avaient pour fonction de lui conférer un aspect « surnaturel », de façon à impressionner encore plus les gens. De la sorte, il marquait encore plus intensément son appartenance à un monde qui se situait bien au-dessus des hommes, et, en quelque sorte, les « écrasait ».

Le pharaon Akhenaton a gouverné fermement l’Egypte.

Les « complexes atoniens » (tels Amarna, la nouvelle capitale, sortie de nulle part) étaient gérés avec un grand « matérialisme » et un sens de l’organisation tel qu’une fois de plus, ils annulent totalement l’idée d’un « Aménophis IV, souverain mystique perdu dans ses rêves ».

L’autorité de ce pharaon, bien au contraire, était telle qu’il sut mobiliser l’Egypte dans des efforts collectifs de très grande envergure, ce sur de très courtes périodes. Or, nous savons que le peuple égyptien, fidèle à ses vieilles habitudes religieuses, n’était que fort peu acquis au nouveau culte solaire et que, dans l’opinion publique, les tenants du culte d’AMON-RÊ entretenaient tout un courant d’hostilité et de critiques. Il a par conséquent bien fallu une bonne dose de fermeté pour mener à bien la construction d’une Egypte atoniste. La grande capitale Akhet-Aton (Amarna) était très militarisée. La famille royale s’y maintenait dans un « retrait total […] par rapport à la vraie vie », notamment traduit par le confinement dans des bâtiments isolés, peu reliés, fût-ce aux « environnements domestiques », ainsi que « dans une atmosphère chargée d’obséquiosité, de rituels religieux » et de « parades » militaires.

Et, pour ce qui touche à la politique extérieure du pharaon « hérétique », on l’a elle aussi un peu vite qualifiée de pacifiste, de douce.

Tourné prioritairement vers le turbulent, l’instable Proche-Orient riche en réserves métallifères (nous sommes en plein Âge du Bronze), tout au contraire, « Pharaon suit de très près toutes les activités qui pourraient constituer une menace directe pour ses intérêts ».

Mais Akhenaton fait un choix, qui en dit long sur son caractère : soucieux d’ « économiser au mieux ses interventions militaires directes […] il était passé maître dans une approche machiavélienne de la diplomatie ».

Voilà qui, là non plus, ne plaide guère pour une personnalité de « doux rêveur ».

La religion, finalement, n’était peut-être pour le roi qu’un prétexte. L’atonisme ne se radicalisa, en effet, véritablement que vers la fin du règne, avec le mécontentement grandissant du peuple égyptien traumatisé par une lourde épidémie de peste et par une défaite militaire (vécus au reste comme de véritables châtiments divins à l’encontre de la transgression rituelle, de « l’absence divine » que dut représenter à ses yeux la période amarnienne, qui laissa un très, très mauvais souvenir).

Reste que le pharaon « hérétique » mourut de sa belle mort, « avant d’atteindre ses trente ans », en l’année 17 de son règne (postérieurement au décès de son épouse, cette fameuse Néfertiti dont, en fait, l’on sait si peu de choses, mis à part qu’elle était considérée, selon les canon égyptiens du Nouvel Empire, comme extrêmement belle et qu’elle fut « intimement liée […] à la gestion des affaires de l’état »).

L’apogée de son règne fut très certainement son an 12, marqué par une très « fastueuse cérémonie » qui donna toute la mesure de « l’étendue géopolitique de son pouvoir ».

Homme de pouvoir, il l’était. Dans le plein, l’exact sens du terme.

Or, le pouvoir, nous le savons, exclut toute sentimentalité. Les hommes de pouvoir ont, en eux, une force de caractère, une poigne, une ambition bien peu compatibles avec l’image un peu « à l’eau de rose » que nous nous sommes forgé de ce pharaon dont, d’ailleurs, Laboury va jusqu’à se demander dans quelle mesure il était réellement monothéiste .

Dans ce livre, nous voyons la figure de légende s’effacer au profit d’une réalité bien plus prosaïque, certes, mais bien plus vraisemblable.

Tout un pan de l’histoire de l’Egypte pharaonique s’éclaire bellement.

Akhenaton, « le mystique, le philanthrope détaché et généreux » ?

Non, ça ne tient pas la route… « l’Akhenaton qui ressort de ses propres monuments, de l’image qu’il a voulu donner de son pouvoir, et des décisions qu’il rapporte lui-même » est un « monarque absolu – conforme en cela à ses prédécesseurs - » que seul intéressait le renforcement de son « autorité théocratique » « et, surtout, son contrôle absolu de cette théocratie ».

Sans doute avait-il aussi l’ambition de dépasser son père et, en un certain sens peut-être, de le désavouer. Un problème de « complexe d’Œdipe » ?

Ce qui est sûr, c’est que le pharaon était resté extrêmement proche de sa mère, la reine TIY, et qu’il laissait, dans sa vie, une très grande place à la présence féminine.

Trait culturel (lié au « matriarcat » égyptien) ou plus personnel ?

Probablement un peu des deux.

Quoi qu’il en soit, la lecture de ce livre très riche s’avère particulièrement prenante. Non contente de se focaliser sur la figure d’Akhenaton et sur les véritables raisons d’être de sa religion « nouvelle » (qui, par la suite, perdurera, en tant que culte un demi-siècle en Egypte, et sera même, pour le pourtant très orthodoxe Ramsès II, une source d’inspiration théocratique : « Ramsès connaissait [de toute évidence] très bien l’œuvre d’Akhenaton et semble l’avoir même, en quelque sorte, admirée… !), elle lève le voile sur bien des énigmes (par exemple, celle de l’identité du mystérieux Sémenkharê, l’un des nombreux successeurs immédiats masculins et féminins d’Akhenaton : il s’agissait, selon toute vraisemblance, d’un prince hittite importé pour être marié à l’une des filles d’Akhenaton, Méritaton) et, surtout, nous en apprend énormément sur la civilisation de l’Egypte antique dans son ensemble.

Car l’histoire d’Akhenaton est une histoire strictement égyptienne.

Il faut encore et encore le répéter : « L’idée d’une relation  de filiation entre Akhenaton et Moïse relève tout simplement de l’impossibilité historique ».

Nul doute que cet ouvrage contribuera à décevoir plus d’un rêveur.

Mais n’est-ce pas (en principe) l’admirable fonction de la science que celle de coller le plus possible aux faits, pour que le VRAI soit rendu, et que progresse la connaissance ?

Ce livre est un merveilleux livre de vulgarisation scientifique.

P.Laranco.


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