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Le symbole

Publié le 22 décembre 2010 par Philippe Thomas

Poésie du Samedi, 15 (nouvelle série)

Chacun connaît les Correspondances de Baudelaire qui résonnent en tête comme l’axiome de toute poésie première, autrement dit de la pensée mystique.

La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

L’ennui, c’est que Baudelaire reste au seuil, en dépit des apparences. Toute la suite du sonnet concerne les synesthésies, que Victor Ségalen théorisera, et les correspondances sont alors de l’ordre de la sensation et des sensations se mêlant entre elles. Pour nous en tenir à ce premier quatrain, disons que la métaphore de la nature comme temple est un lieu commun depuis l’Antiquité grecque où, en certains lieux, le vent dans les arbres délivrait des oracles à qui voulait bien les entendre…

Que les symboles se comptent en forêts, je veux bien. Mais en aucun cas ils ne sauraient observer l’homme… sauf à donner dans l’animisme le plus béat. C’est bien plutôt l’homme qui peut – et même qui doit-observer ces symboles et même les méditer afin qu’il ne soit pas vain passant sur cette terre…C’est ainsi qu’il aura des chances de se construire un itinéraire quelque peu pourvu de sens.

Symbole / parole, ça rime pourtant riche comme un coup de cymbale, tellement ca semble couler de source, le rapport signifiant/signifié étant par essence symbolique, un élément concret étant associé à un sens abstrait . Or, les synesthésies en tant que telles restent de l’ordre de la sensation. Et on ne saurait rester englué dans la sensation s’il s’agit de remonter vers le principe. C’est dire toute la puissance du symbole alors que la sensation ou les synesthésies, pour plaisantes qu’elles soient et je m’y délecte moi aussi comme tout un chacun, sont par nature plus limitées.

Bref, il semble bien que Baudelaire, toutchef de file patenté du symbolismequ’il soit, ne fasse que nous mettre l’eau à la bouche… Mais ce n’est déjà pas si mal ! Sur le même thème, un certain abbé Constant (qui allait devenir une figure de l’occultisme sous le nom d’Éliphas Lévi) écrivait dès 1845 un poème intitulé « Les Correspondances », donc environ dix ans avant la publicationdes Fleurs du Mal :

Formé de visibles paroles,

Ce monde est le songe de Dieu ;

Son verbe en choisit les symboles,

L’esprit les remplit de son feu… (Les trois harmonies, 1845)

Chez l’abbé, au moins, on sait qui fait quoi ! Mais que c’est scolaire, dirigiste et… cureton ! Tout semble tracé d’avance alors que, chez Charles, le bonhomme marche librement dans la forêt et l’on se rappelle que le poème précédant immédiatement Correspondances est Élévation : « mon esprit tu te meus avec agilité »… La force de Baudelaire tient à ce souffle émancipateur et à un talent de poète dont l’abbé est manifestement dépourvu.

Tout ceci ne nous renseigne pas davantage sur la nature du symbole. C’est vrai que c’est pas simple, ou alors faussement simple comme toute forme de raisonnement par analogie… Pour tenter d’y voir plus clair, je vous propose donc la définition toute oulipienne qu’en donne Jean Lescure . Là, évidemment, on ne craint pas de jouer sur la lettre et l’image sonore des mots. Et les associations d’idées ainsi obtenues touchent juste en dépit d’une apparente légèreté :

Le symbole comme on sait bien

c’est l’alliance du bol et du sein

du plein au creux du creux au plein

on a vu par les cache-seins

ksa peut être aussi le bol ceint

Pour se hausser du sein au saint

faut passer par où l’on n’est rien,

mais pour glisser du saint au sein

on s’aide parfois de la main

C’est pas seinple la saintbolique

on sait plus où tâter la chose

de la peau easy à la prose

la colique est ontologique

Un soir sur la leçon des choses

t’as cru devoir fair’ tondevoir

la morale est ce que tu oses

dans notre nuit nous faire voir

Tu l’as voulue élémentaire

tu l’as rejoint ton élément

chêne dont tu es l’aliment

que rien n’abat ni rien n’enterre

La gloire des anamorphoses

quand tu l’exaltes dans tes vers

c’est de sauver l’odeur des roses

sur les morts où règnent les vers.

Jean Lescure (Asnières, 1912 – Paris, 2005) La belle jardinière, éd. Clancier-Guénaud 1988.

Pour la petite histoire, ce poème se voulait une réponse ou un écho à Raymond Queneau (Chêne et chien) et à un procédé oulipien de « fabrication » intitulé « morale élémentaire ».A moins qu’il ne faille entendre « mort à l’élément terre » ? Mais qu’importe si l’on est arrivé à sauver l’odeur des roses !


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