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Jackpot chinois

Publié le 23 décembre 2010 par Toulouseweb
Jackpot chinoisComac fait largement appel ŕ des partenaires occidentaux.
On imagine difficilement que les grands noms de l’industrie, motoristes et équipementiers, ignorent les ambitions aéronautiques chinoises. Rien, en effet, ne pourrait arręter le court/moyen-courrier Comac C919 qui, ŕ lui seul, est en mesure de briser le duopole Airbus-Boeing. Cela sans ignorer pour autant le MS21 russe, jugé ŕ tort ou ŕ raison moins crédible ou moins dangereux commercialement. Il en résulte, on le sait, un débat délicat : en livrant leurs technologies de pointe ŕ la Chine, les Occidentaux préparent-ils leur propre déclin ?
En réalité, seuls les deux grands avionneurs sont concernés, en un premier temps tout au moins. Mais Toulouse et Seattle ne contrôlent en rien le déroulement des événements, si ce n’est en cherchant auprčs de Comac une source d’émulation supplémentaire : faire mieux, et le faire avant le nouveau rival. C’est d’ailleurs plutôt mal parti, pour l’instant, le C919 constituant la synthčse des avancées technologiques les plus récentes. En face, rien de nouveau pour l’instant chez Boeing et, côté européen, l’A320 NEO remotorisé. Ni plus, ni moins.
Par ailleurs, maintenant que le C919 est solidement lancé (il volera dans 3 ans), on constate que ses principaux attraits reposent précisément sur l’apport de partenaires et fournisseurs français et américains, pour l’essentiel de grands noms trop heureux de trouver ŕ cette occasion de nouveaux débouchés. La remarque s’applique, énumération non exhaustive, et par ordre alphabétique, ŕ Liebherr Aerospace, Nexcelle (partenariat d’Aircelle et Middle River), Ratier Figeac, Safran et Zodiac Aerospace. Côté U.S., la liste inclut GE Aviation Systems, Hamilton Standard, Honeywell, Parker Aerospace et Rockwell Collins. Du beau monde. S’y ajoute, évidemment, CFM International dont le Leap-X1C a été retenu de préférence au concurrent proposé par Pratt & Whitney.
Le cas de Safran retient tout particuličrement l’attention. Ses dirigeants ont opté d’entrée, selon leurs propres termes, pour une Ťapproche groupeť prenant en compte l’ensemble des appels d’offres émis par Comac. Ce faisant, Safran a parlé d’une seule voix tout en tissant rapidement des liens avec des partenaires locaux, ceux-lŕ męmes qui, de fait, seront les premiers bénéficiaires de transferts de savoir-faire. Une situation qui n’est pas exempte de contradictions, jamais évoquées, mais qu’il n’était sans doute pas possible d’éviter.
Le débat est ŕ peine amorcé. En effet, il faut témoigner d’une grande imagination pour envisager la situation qui pourrait prévaloir, par exemple, en 2040 ou 2050. Il est plausible, sinon certain, qu’ŕ cette échéance le transport aérien chinois soit devenu le plus important du monde. Aussi un simple raisonnement de bon sens permet-il de soutenir l’idée des dirigeants politiques du pays selon laquelle une offre nationale solide devra ętre disponible pour accompagner cet essor. Et tel est bien l’objectif visé, sachant que le C919 doit ętre considéré comme le premier membre d’une future gamme, un long-courrier devant suivre, les besoins régionaux étant couverts par l’ARJ21.
Dans le court terme, les fournisseurs dits de niveau 1 évoquent le jackpot chinois, compte tenu de l’importance de leur participation au C919, en principe promis ŕ un trčs bel avenir. Pour les Chinois, c’est une initiative politiquement prioritaire, assurée d’un financement étatique sans faille, sachant que Comac est tout sauf une entreprise privée. Reste ŕ savoir si les compagnies aériennes chinoises accepteront l’injonction d’acheter le C919, de préférence ŕ des produits étrangers, y compris l’A320. Nombre d’observateurs occidentaux se méprennent, soit dit en passant, sur la signification industrielle de la chaîne d’assemblage final chinoise d’Airbus, oubliant ou ne comprenant pas qu’il s’agit bien d’assemblage, et non de production.
Les esprits chagrins font volontiers allusion ŕ l’échec cuisant, il y aura bientôt 20 ans, du McDonnell Douglas MD-80/MD-90 produit en Chine sous l’appellation Trunkliner. Déjŕ ŕ cette époque, les compagnies chinoises étaient réticentes ŕ le commander tout simplement parce qu’il était dépassé. Une critique qu’elles ne pourront évidemment renouveler ŕ l’égard du C919.
Les interrogations sont plutôt en Occident et rejoignent les préoccupations qui, pas plus que celles relatives au respect des Droits de l’Homme, ne sont pas abordées ouvertement lors de rencontres politiques au sommet. Ainsi, une question hante les esprits : qu’en sera-t-il du respect de la propriété intellectuelle ? Le successeur du C919, le moment venu, se passera-t-il des partenaires de rang 1 aujourd’hui sollicités de toutes parts ? Auront-ils simplement permis ŕ l’industrie chinoise de brűler les étapes, de se hisser au sommet ? Les avis sont d’autant plus partagés que l’industrie aéronautique, en France comme aux Etats-Unis, n’aborde pas volontiers ces questions. Elle n’y est tout simplement mal préparée …intellectuellement. Ignorer ces difficultés potentielles serait pourtant une erreur. Mieux vaut prévenir que guérir.
Pierre Sparaco - AeroMorning

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