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Voisins, voisines, joyeux Noël

Publié le 25 décembre 2010 par Ruminances

Posté par lediazec le 25 décembre 2010

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Depuis plus de vingt ans, j'habite la même impasse. Une voie sans issue. Qu'on dit !… Les numéros sont comme les vents, le facteur s'y perd, mais jamais la feuille d'imposition ! Pour y accéder, on longe ce que jadis était une petite vallée, orientée sud-sud-ouest.

J'y allais, le soir venu, jouir de la caresse du couchant, ondoyant sur la pente avec des nuances yin et yang d'une douceur magnifique. Le regard a des perceptions que la langue a du mal à saisir. A sa place a éclos un lotissement résidentiel. Méfiant. Sécuritaire. Les nouveaux venus, ne cherchant pas à se mélanger, le salut, comment ça va ?, a disparu avec la vallée. Elle s'est volatilisée pour tout dire. Reste, les habitants de l'impasse, les zonards en quelque sorte, avec les bons et les mauvais jours.

Ce qu'il y a d'agréable avec une impasse, c'est qu'il y a toujours un biais. Comme le billard, un coup et des possibilités. Le hasard a encore droit de cité et c'est heureux.

J'habite à l'orée d'un bois, anciennement un ligne de chemins de fer, aujourd'hui sentier de promenade. Il est interdit aux voitures, mais pas aux blaireaux sur jambes. Ni aux renards. Ni aux martres. Ni aux chouettes. Un gave oublié le traverse de son murmure. Au hasard des circonstances – gardons-le précieusement ce hasard, sans lui nous ne serions rien du tout –, les citoyens automobilistes l'empruntent sans vergogne. A cause de la neige, ou de la pluie, ou parce que c'est plus court. Plus court, pourquoi faire ?… En être surpris ou en colère relève de l'anecdote. Ça fait jaser. Parfois quelques jeunes s'y retrouvent pour boire un coup ou fumer le pétard…

Quand je suis arrivé – dans mon impasse – j'étais heureux. Heureux comme moi.. 850 m séparent la maison - un hangar de maçon à l'origine – de la baie de Perros, mais je suis à la campagne.

Des voisins, j'en ai connus. Certains ont déménagé, d'autres ont quitté ce monde pour toujours. A gauche ou à droite de l'impasse, comme l'eau, la vie s'écoule.

Mes voisins ! La première fois que j'ai pris contact avec la première bordée… Ce fut absolument grandiose. J'habite le n° 3. Huit maisons composent ce bloc sans issu.

Au numéro 1, mon pote le Pat. Boulanger et pêcheur. 40 ans. Un loustic. C'est avec lui que je fais les 7 îles et me tope des cuites sauvages. Il a un penchant pour le pastis, moi le whisky et le rouge. Pat aime tout, tout comme moi, sauf que… Il n'aime pas Sarko tout en penchant pour un poujadisme très chiant. Comme tout breton qui se respecte, une porte ouverte est une porte ouverte. Il entre. Parfois il s'engouffre. Ni foi ni loi, le Pat. Quand il voit l'ombre d'un képi, il se révulse.. Pas de marnage qui vaille : marée basse ou à marée haute, le niveau reste égal dans son esprit. Il le sait, je sais… On boit un coup et quand je m'énerve, à propos de la politique, il me dit : «  je vote Ségolène ! Je le jure sur la tête du voisin ! » et il rit comme un con ! Parce qu'il croit que ça va me calmer !

Au numéro 1bis, Yves, l'ancien propriétaire de ma maison. Hommage. Il est parti, son successeur, un abruti, aussi. Yves s'était construit une bicoque, « moins grande » que celle que j'occupe, pour, disait-il, « finir ses jours en beauté : marre de l'entretien !». Il est mort et je le déplore. Je l'aimais bien. Yves était Artisan maçon et homme de bien. Il était gutturalement vôtre, quand on lui cassait les couilles, à commencer par l'État. Quand quelqu'un ne cadrait pas avec ses « notions de la vie », ses principes d'homme intègre, le bien et le mal, il lâchait un « t'es un mannequin ! », qui se voulait définitif. Quelques mâchoires locales s'en souviennent. Quand il avait affaire à la justice, souvent, il ne prenait jamais d'avocats : « tous des mannequins ! ». Il se défendait seul, comme un grand. Au tribunal de Rennes, il tutoyait le juge qui, goguenard, s'amusait du caractère entier de l'olibrius qu'il condamnait sur la forme, rarement sur le fond. A chaque condamnation, Yves l'interpelait : « je ne paierai pas, je suis dans mon droit, comme je l'ai dit ! » Et le juge, malgré son air sévère, souriait. Un numéro, mon voisin Yves. Vers la fin de ses jours, une douleur au pied le faisant souffrir atrocement depuis belle lurette – pas moyen de trouver un toubib pour l'opérer –, il trouva enfin la solution à son mal. Il m'en avait plus ou moins parlé, mais je ne voulus pas le croire, mettant ça sur le compte d'une mauvaise humeur chronique. Une nuit pourtant, il composa le 18 pour une urgence. Il raccrocha, attendit quelques minutes et quand il aperçut au bout de la route le gyrophare du véhicule des pompiers, se tira une charge de chevrotine dans le pied. « Un soulagement, dira-t-il, laconique, à son retour de l'hôpital, une quinzaine plus loin, plus de pied, plus de mal ! » Il en était convaincu. Yvonne, sa compagne, habituée, lâcha : « il ira moins vite comme ça ! »

Au numéro 3. C'est moi. Rien à dire. Un ange. Ma mère l'a toujours dit et je confirme…

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Au numéro 5, c'est Petite Crevette. Un drôle. On l'a ainsi surnommé à cause de son bistouquet. Personne n'a jamais vu son instrument de musique, mais vu comme il se met en rogne chaque fois qu'on le hèle par ce sobriquet, on se dit qu'il n'y a pas de fumée sans feu. Comme il habite au pied du sous-bois par où jadis passait un petit train, la ligne Perros-Tréguier, que l'endroit est peu fréquenté, sauf par des petites jeunes qui l'empruntent au retour du collège, on lui a ajouté un autre surnom, à cause de sa passion pour les boites à strip-tease : l'homme à la gabardine. Le pauvre ! Il n'a jamais eu de gabardine de sa vie !

Au numéro 8, Titi. Mécano et voleur. C'est à la molette qu'il a rempli le tiroir-caisse. Un radin. Et chapardeur avec ça. Il a vendu son garage avec une belle parcelle de terrain. A la place, on a construit un Briconaute. Il s'est arrangé pour qu'on l'embauche, jusqu'à sa retraite, sans qu'il bouge le petit doigt en faveur de ses employés, licenciement sec. Ça roulait pour lui. Mauvaise langue comme pas un, il vote Le Pen et il pétitionne pour que les étrangers retournent dans leurs pays. Sa mère était polonaise, son père breton. Sa fille unique s'est mariée avec un malgache, sa désolation. Ses petits enfants ont une souche bretonne. Il est mort à l'entrée de l'automne. On ne se parlait pas. Sa maison est vide. Ses héritiers, qui ne venaient jamais le voir, passent de temps en temps récupérer quelques affaires et tailler la haie. C'est à vendre.

A la gauche de ma clôture, côté sud, un employé de France-Télécom. Je n'ai rien contre les fonctionnaires. Il en faut. Sauf lui. Pire que lui ?… Je ne vois guère que sa femme. Méchant, sermonneur, vaniteux, un archétype. A partir de fin septembre, il passe un temps incalculable à aspirer les feuilles mortes. Son aspirateur souffleur fait un boucan d'enfer. Au bout d'un moment, plein le cul ! Un jour, il l'a oublié à l'entrée de son portail. A la nuit tombée, j'ai profité pour le lui cacher. Il a passé la semaine la plus malheureuse de sa vie. Les flics sont venus s'enquérir. Les recherches se sont avérées infructueuses. Une semaine plus loin, j'ai remis son engin à la place. Dès le lendemain, le boucan reprenait. Rien ne dépasse dans son lopin. Tout est en ordre. Quand il ouvre la bouche, c'est une béance de stupidité.

Il y a d'autres anecdotes, mais je me rends compte que ça devient trop long. Une autre fois, je vous parlerai de mes voisins bréhatins.

Joyeux Noël à tous et merci à René pour ses crobards !

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