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Le Jongleur de Notre-Dame

Publié le 25 décembre 2010 par Porky

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On me dira peut-être que choisir de présenter cet opéra le jour de Noël est un clin d’œil un peu facile au lecteur. Auquel cas, je répondrai que seul le hasard est responsable de cet état de fait et que, au fond, rien dans cet ouvrage ne renvoie à la « Sainte Nuit ». Si j’avais voulu faire un lien entre cette fête et l’opéra, j’aurais plutôt choisi Werther dont la mort a lieu justement la nuit de Noël. Mais si l’on veut absolument trouver une relation entre les deux, peut-être faut-il la chercher dans l’union du profane et du sacré, le premier terme renvoyant à l’opéra lui-même et le second à son sujet. Exactement comme le mélange de deux éléments antagonistes dans la réalité de nos Noëls modernes : le commerce et la religion …

Cela dit, Le Jongleur de Notre Dame est loin d’être l’opéra le plus populaire de Massenet. Manon et Werther, pour ne citer que les plus célèbres, lui font de l’ombre et c’est fort dommage car il y a dans cette œuvre de très beaux airs, « la légende de la sauge », par exemple, au second acte. Cependant, comme on le verra plus loin, l’argument est assez mince et ne présente guère de rebondissements et il a fallu tout le talent de Massenet pour en tirer trois actes qui s’écoutent avec beaucoup de plaisir.

Evoquons d’abord l’origine de l’opéra avant de voir les circonstances de sa création. On pourrait appeler cet ouvrage « un miracle en trois actes ». Il renvoie directement à la littérature du Moyen Age et aux fameux « miracles » ou « mystères » qui étaient souvent représentés sur le parvis des cathédrales. Il faut remonter au 12ème siècle pour en trouver la trace car le texte initial est un fabliau de 685 vers intitulé Del Tumbeor Nostre-Dame. La traduction en français moderne par un universitaire nommé Maurice Léna (qui avait rebaptisé l’œuvre Le Jongleur), fournira le livret qui permettra à Massenet de composer son opéra. 

Quant aux circonstances qui ont permis la naissance de l’ouvrage, elles tiennent elles aussi du « miracle » si l’on peut dire, ou pour le moins d’un bienheureux hasard. Massenet recevait suffisamment de livrets de la part de ses fournisseurs habituels, aussi ne lisait-il jamais ceux qu’on lui envoyait par la poste. Mais un jour qu’il descendait de chez lui pour aller à la campagne, il se trouva face au facteur chargé de lui remettre une grosse lettre recommandée ; or, la concierge était absente. Massenet, ignorant ce que cela pouvait être, signa la décharge et alla prendre son train. Pendant le voyage, n’ayant rien de mieux à faire, il ouvrit l’enveloppe : elle contenait le poème du Jongleur, qu’il commença à lire. Il faillit en rater sa station… Dès que cela fut possible, il rencontra l’auteur et au bout d’une heure d’entretien, l’accord fut conclu. Le Jongleur de Notre Dame allait bientôt voir le jour.

On peut s’étonner de cet engouement du compositeur pour un tel sujet, surtout lorsqu’on lit le réjouissant portrait que faisait de lui Léon Daudet, loin d’être bienveillant dans son jugement. Le voici tel quel :

« … On le voyait arriver la mine au vent, l’air inquiet, les cheveux plats, les mains dans les poches de son veston, mâchonnant toujours quelque chose qui finissait en compliment excessif… Il partait de ce principe que les humains aiment les douceurs et qu’il faut les gaver de sucre jusqu’à l’écoeurement. Il n’y manquait point. Quand il avait félicité sur leurs mines et sur leurs travaux toutes les personnes présentes, il se jetait dans un fauteuil et contrefaisait le petit enfant qui a soif et veut du lolo, ou le chien-chien à sa mémère qui désirerait un gâteau sec. Il marmottait en jetant des miettes et buvottait, riant, contant des fariboles inachevées, inachevables et toujours louangeant. Les vieilles dames musicophiles accouraient minaudières, empressées, montrant des architectures dévastées ou branlantes qu’on appelle euphémiquement de beaux restes. Massenet les traitait comme si elles avaient eu vingt ans, les couvrait de fleurs et de couronnes. Néanmoins, son œil agile, franchissant le cercle de ces portraits de famille, cherchait la jolie et la jeune pour de bon, modestement demeurée en arrière. Quand il l’avait trouvée, il bondissait vers elle, se jetait à quatre pattes, dansait la pyrrhique, bref se signalait par mille folies, à la stupeur amusée ou hérissée de celle qui devenait aussitôt son point de mire, sa Dulcinée. Le sincère de la chose était une sensualité inflammable d’oiseau-lyre ou de paon qui fait la roue. Ses yeux pâmés et frivoles criaient, imploraient : « Là, tout de suite ! ». Mais comme il y a des convenances mondaines et aussi des incompatibilités, comme les maris sont quelquefois là, comme l’existence est faite de traverses, il cherchait, vite résigné, une dérivation dans la musique et contait sa peine au piano. Là, il était incomparable. » (1)

Où l’on voit que certains aspects de la personnalité de Massenet n’étaient pas franchement reluisants (mais peut-être faut-il relativiser, Léon Daudet adorant les jeux de massacre) : mondain, soucieux de plaire à n’importe quel prix, homme à femmes, séducteur impénitent, d’une incroyable frivolité, du moins en apparence, mais toujours à l’affût de ce qui pourrait lui servir dans sa carrière. Bref, ce que notre époque nommerait un « lèche-botte opportuniste ».

Alors pourquoi Le Jongleur de Notre Dame, où la frivolité et le paraître n’ont pas leur place ? A chacun de choisir sa réponse car il n’en existe pas « d’officielle ». Peut-être le clinquant de l’apparence cachait-il une profondeur mystique… Peut-être fut-il séduit par ce qui justement représentait le contraire de son attitude en société… Allez savoir ! Ce qu’il y a de sûr, c’est que celui qu’on appela « le musicien de la Femme » tant il savait, avec un éblouissant lyrisme, traduire en musique les émotions, les pulsions de l’amour sensuel ne fut pas rebuté par le fait que le livret ne comportait aucun rôle féminin. Tout se passe strictement entre hommes. Certes, le livret prévoit bien de très petites interventions féminines mais deux sont soit invisibles (les anges qui chantent dans la coulisse) et la troisième est muette (l’apparition de la Vierge, rôle confié en général à la plus jolie des danseuses du corps de ballet), ce qui est quand même un comble dans un opéra.

L’ouvrage fut créé le 18 février 1902, à l’Opéra de Monte-Carlo dont le directeur était un ami de Massenet. Il fut fort bien accueilli et entra au répertoire de l’Opéra Comique en mai 1904 et bénéficia de 400 représentations en une soixantaine d’années. Mais un ouvrage sans Prima Donna était une incongruité inacceptable dans le monde de l’art lyrique et quelques cantatrices s’essayèrent au rôle du jongleur en travesti, avec plus ou moins de bonheur. La toute première fut la créatrice de Mélisande, Mary Garden, qui créa l’ouvrage à New York en 1908. Marthe Chenal, à Paris, en 1915, suivit son exemple. Et il y en eut d’autres…

(1) Cité par Maurice Tassart dans le livret de présentation de l’opéra.

ARGUMENT : L’action se passe à Cluny, devant et dans l’abbaye bénédictine au 14ème siècle.

Acte I – Sur la place principale de Cluny, devant l’entrée de l’abbaye. C’est jour de marché à Cluny et l’on danse sur la place. Un son de vielle se fait entendre et entre Jean l’acrobate. Il commence son boniment mais se fait huer par la foule. Désespéré de n’avoir aucun succès, il se résout à chanter, après avoir demandé pardon à la Vierge dont on voit une statue vers l’entrée de l’abbaye, une chanson profane, « l’Alléluia du vin », reprise en chœur par la foule. Le Père Supérieur, furieux d’entendre une telle horreur à cet endroit, sort de l’abbaye et invective la populace qui se disperse. Resté seul, Jean montre un sincère repentir et le Prieur, ému, l’invite à abandonner son métier et à entrer au monastère. Jean est tenté mais renoncer si jeune à la liberté lui paraît bien difficile. Arrive à point nommé le frère Boniface, revenant du marché et dont l’âne porte un chargement de fleurs, de victuailles et de bouteilles. Le Prieur plaide alors les avantages matériels de la vie au couvent et Frère Boniface, cuisinier de l’abbaye, passe en revue le magnifique choix de provisions qu’il ramène pour la plus grande gloire de la Vierge et le plus grand confort de ses serviteurs. De l’intérieur de l’abbaye monte le Benedicite. La cloche retentit, appelant les moines au déjeuner. Jean craque et emboîte le pas aux bénédictins.

Acte II – A l’intérieur de l’abbaye, la salle d’étude. Quatre moines fignolent leurs travaux : le moine sculpteur, le moine poète, le moine peintre et le moine musicien. Jean, à l’écart, n’a rien à faire. Il avoue au prieur, qui lui reproche gentiment de ne pas chanter comme les autres, ne pas connaître le latin et ne savoir que des chansons profanes en français. Il estime n’être bon à rien et n’avoir pas sa place au couvent. Les autres frères, sous couvert de vouloir l’aider, se mettent à vanter chacun sa spécialité au détriment de celle du voisin : il en résulte une dispute d’enfer, digne de celle qu’on trouve entre les Maîtres dans Le Bourgeois Gentilhomme. Le Prieur doit intervenir pour faire cesser la querelle et tout le monde prend le chemin de la chapelle en emportant la nouvelle statue de la Vierge. Resté seul avec Jean, Boniface essaie de le réconforter et lui explique que la Vierge peut se passer de latin, de rime, de sculpture ou de musique savante et se contenter d’une humble dévotion sincère. Il lui conte la légende de la sauge, humble fleur qui sauva l’Enfant Jésus des tueurs d’Hérode. Puis, il regagne sa cuisine. Jean comprend ce qu’il a à faire.

(Entre le deuxième et troisième acte, l’orchestre joue une pastorale mystique.)

Acte III – La chapelle de l’abbaye. Sur l’autel trône la statue enluminée de Notre-Dame que le moine sculpteur et le moine peintre viennent de terminer. Le moine peintre admire son œuvre puis voyant arriver Frère Jean avec une vielle et une besace, se cache derrière un pilier. Sûr de n’être pas dérangé à cette heure, il vient faire à sa manière ses dévotions. Le jongleur quitte sa robe de bure, revêt ses anciens habits et joue tout son répertoire. Le moine peintre s’éclipse discrètement afin d’aller prévenir le père Prieur. Les autres moines arrivent peu à peu, sans que le jongleur, inspiré, s’en aperçoive. Le récital s’achève sur une danse échevelée qui scandalise les moines et le Prieur, Boniface excepté car il a compris ce qui se passait. Jean finit par s’effondrer au pied de la statue, et l’ensemble de la communauté va se précipiter vers le coupable lorsque Boniface les arrête. La statue s’anime, la Vierge incline son visage souriant vers le pauvre jongleur et fait un geste de bénédiction, tandis que les anges entonnent un vibrant « Hosanna ». Jean s’éveille de sa transe et s’attend, épouvanté, à être puni ; l’autel rayonne soudain d’une clarté surnaturelle. Tous les moines célèbrent le miracle et Jean s’effondre, mort, entrevoyant le paradis, après un dernier chant de louanges.

VIDEO 1 : Acte I – « Voulez-vous des tours de jonglerie » - Alain Vanzo

VIDEO 2 : Acte II – La légende de la sauge – Giuseppe Danise (1926)

VIDEO 3 : Acte I – « Liberté » - Mary Garden (1911)


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